La date du 8 mars est dédiée chaque année aux droits des femmes. Officialisée par les Nations unies en 1977, cette journée trouve son origine dans les manifestations de femmes au début du XXe siècle en Europe et aux États-Unis, où elles revendiquaient l’égalité des droits, de meilleures conditions de travail et le droit de vote. En Guinée, cette journée est également une occasion de lutter pour les droits des femmes, mais aussi un moment pour dénoncer les injustices qu’elles subissent à tous les niveaux. Dr Mariama Djélo Barry, médecin gynécologue-obstétricienne et ancienne ministre, a encouragé les femmes à se battre pour obtenir leurs droits. Dans une interview accordée à une journaliste de Guineematin.com, cette figure exceptionnelle du pays partage son expérience, notamment sa « convocation » à la présidence par feu Sékou Touré suite à une émission radio à la RTG.
Tout d’abord, Dr Mariama Djélo Barry revient sur son parcours. « Après mes études en faculté de médecine en Roumanie, je suis rentrée en Guinée et j’ai commencé à travailler. Puis, en 1977, à l’occasion de l’anniversaire de la création du PDG, le 14 mai, la RTG a été inaugurée. J’ai participé à ma première émission télévisée avec feu Emmanuel Cathy. À l’époque, j’ai abordé des sujets tabous, notamment la violence faite aux femmes, en particulier celles à qui l’on refusait toute relation conjugale sous prétexte qu’elles étaient ménopausées. Moi, j’en voyais les conséquences à l’hôpital. J’ai donc décidé d’en parler sans tabou : j’ai expliqué ce que sont les règles, la ménopause… J’ai conclu en invitant nos compatriotes hommes à remplir leur devoir conjugal vis-à-vis des femmes ménopausées afin qu’elles puissent, en retour, leur témoigner de la compréhension lorsqu’ils seront andropausés, c’est-à-dire confrontés à une faiblesse sexuelle.
Après l’émission, j’ai été convoquée à la présidence. En arrivant, il y avait beaucoup de responsables. Le responsable suprême de la Révolution (Sékou Touré, ndlr) m’a alors dit, nous avons tous suivi ton émission avec intérêt, et c’est pour cette raison que nous t’avons fait appeler. Toutes mes félicitations. Je ne savais pas où me mettre. Par la suite, j’ai bénéficié de nombreuses formations et j’ai continué à travailler à la maternité de Donka en tant que gynécologue-obstétricienne », a-t-elle relaté.
Poursuivant son témoignage, Dr Mariama Djélo Barry déclare que son audace et sa persévérance lui ont permis de progresser dans sa carrière. « En 1984, après le décès du Responsable suprême de la Révolution, les militaires ont pris le pouvoir. Je me suis retrouvée seule femme dans le gouvernement du Comité Militaire de Redressement National (CMRN). C’est d’ailleurs pour cette raison que le Général Lansana Conté m’avait surnommée « Général », alors que lui-même était colonel à l’époque. J’ai laissé des traces indélébiles, et j’en suis fière. Même en étant ministre, j’ai continué à exercer en tant que médecin. Ainsi, lorsque j’ai été démise de mes fonctions, je suis simplement retournée parmi mes collaborateurs à la maternité de Donka », a confié cette ancienne ministre.
Cependant, son parcours n’a pas été facile. Dr Mariama Djélo Barry a dû surmonter de nombreux obstacles, y compris de la part des femmes elles-mêmes. « Le premier obstacle, c’était avec les femmes elles-mêmes. Ce n’était vraiment pas facile. Il y avait beaucoup de susceptibilité et d’incompréhension. La restructuration des responsabilités féminines décentralisées n’a pas été simple. Nous avions créé le Ministère de la Condition féminine, ce qui impliquait la suppression de certains postes, de nouvelles nominations, une augmentation des compétences, ainsi que des changements dans les directions. Mais cela n’a pas plu à tout le monde. À un moment donné, j’ai voulu que l’État subventionne le gaz afin de lutter contre le déboisement et protéger l’environnement. Aujourd’hui, on parle beaucoup de l’écologie, mais à l’époque, j’avais déjà soulevé cette question. Malheureusement, certains ont dénaturé mon initiative en disant aux charbonniers que le ministre des affaires sociales a interdit la vente du charbon. Il y a eu un mouvement d’ensemble des charbonniers Il a fallu que je me rende à Dubréka pour expliquer mon projet et demander aux charbonniers d’accepter de reboiser les sites exploités après l’abattage des arbres. Mais ça n’a pas été facile du tout », a-t-elle déclaré.
Membre fondatrice de plusieurs ONG féminines, Dr Mariama Djélo Barry invite les femmes guinéennes à se battre pour leurs droits. « Je voudrais d’abord rappeler un fait. Sous la Révolution, le 8 mars n’était plus célébré en Guinée. C’était plutôt la fête nationale M’Balya Camara, célébrée le 9 février. C’est seulement avec l’avènement de la Deuxième République que la Journée internationale des droits des femmes a recommencé à être célébrée. Cette journée est l’occasion de faire un bilan de la situation des femmes dans le monde, tant sur le plan économique que politique. Aujourd’hui, je veux encourager toutes mes sœurs à continuer le combat. Pour le bien-être de la famille et de la Guinée, pour les postes que nous méritons mais qu’on ne nous accorde pas, pour l’éducation de nos enfants, car ils sont la relève de demain, contre l’ethno-stratégie, qui divise notre pays et gangrène même nos familles, associations et ONG. Nous n’avons pas besoin de cette lutte interethnique. On a tous vu ce que cela a donné au Rwanda. Enfin, je dirais à mes sœurs, battons-nous pour qu’il y ait une nation guinéenne forte, dans l’intérêt de toute la population. Je leur souhaite une bonne fête des femmes et les invite à écrire. Nous avons toutes quelque chose à dire. Celles qui savent écrire doivent écrire, et celles qui ne le peuvent pas doivent se faire assister. Mais chacune de nous doit laisser une trace et raconter son parcours pour que cela serve d’exemple aux générations futures ».
Mariama Barry pour Guineematin.com