Calvaire des étudiants à Conakry : « Depuis que je suis venu, je n’ai pris le petit déjeuner que trois fois… »

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Dans la capitale guinéenne, où le rythme effréné de la vie se heurte aux exigences académiques, les conditions de vie des étudiants, surtout ceux venus des régions de l’intérieur du pays, sont de plus en plus pénibles. Entre le coût élevé du logement, la recherche d’emploi à temps partiel et les défis d’une vie sociale équilibrée, ces étudiants naviguent dans un environnement souvent perçu comme hostile.

Un reporter de Guineematin.com est allé hier, mercredi 12 mars 2025, à la rencontre de certains de ces étudiants pour parler de leur quotidien. Les concernés ont énuméré les difficultés auxquelles ils sont confrontés.

Décryptage !

Patrice Loua, étudiant en licence 1 à l’Université Général Lansana CONTE de Sonfonia

Patrice Loua, étudiant en licence 1 à l’Université Général Lansana CONTE de Sonfonia : « Je suis originaire de KPAYA (Nzérékoré). J’ai fait le bac l’année dernière. Après le bac, j’ai été orienté ici à Conakry. Mais pour dire vrai, ce n’est pas du tout facile. D’abord j’étais à Coyah dans les deux premiers mois de la rentrée. Vu les difficultés auxquelles je faisais face, c’est-à-dire me lever à 4 heures du matin et faire les travaux ménagers avant de me rendre à l’université, me mettait souvent en retard. Donc, j’ai décidé finalement de venir rester avec 3 de mes amis à Sonfonia casse ici. On paie le loyer à 450 000 francs par mois. C’est que les parents se battent pour nous satisfaire, mais les réalités sont très différentes et pas telles qu’ils pensent. Des fois on ne mange pas juste pour économiser, avoir du transport pour ne pas manquer les cours. Depuis que je suis venu, je n’ai pris le petit déjeuner que trois fois (les 3 premiers jours). Et certains soirs, si on ne gagne pas, on se couche comme ça. Cela joue beaucoup sur nous, car on doit suivre 6 heures de cours. On cherche souvent des petits jobs dans les restaurants, mais ils refusent en disant qu’on est étudiants et on n’est pas stable. Mais avec le courage, on a pu valider le premier module. Je lance vraiment un appel au gouvernement de revoir nos cas, car les bourses que nous recevons arrivent à des moments où nous avons presque fini de manger en dette. Et ça ne couvre même pas le minimum de nos besoins vitaux ».

Laurent Holie, étudiant en Licence 1 au département droit de l’Université Numérique de Guinée

Laurent Holie, étudiant en Licence 1 au département droit de l’Université Numérique de Guinée (Conakry) : « Je suis originaire de GBAGOUNAYE (Nzérékoré). De mon arrivée jusqu’à maintenant ici, à Conakry, c’est une autre vie que je n’ai jamais vécu auparavant. Surtout avec la méthode 0-0-1 qui est notre cas, ce n’est pas facile. Il y en a certains qui mangent 3 fois par jour. Ça, c’est la méthode 1-1-1. D’autres, c’est 2 fois. C’est la méthode 1-0-1. Être loin de sa famille en étant étudiant, c’est un calvaire. D’abord du point de vue transport, je dépense 30 000 francs par jour, et je n’ai pas un salaire. En ce qui concerne notre santé, ce n’est pas facile. Quand on est souffrant, on compte beaucoup sur les postes de santé qui sont dans les universités, mais malheureusement c’est le contraire. Car, le grand produit qui se trouve là-bas, c’est le paracétamol, peu importe ta douleur. Ils sont en manque de produits et cela complique de plus la situation. On habite à 5 dans une petite chambre. On dort tour à tour sur le matelas 3 par jour. Je sollicite vraiment les autorités pour qu’elles puissent construire des cités près des universités et instituts même si on paie par mois, mais pas comme la nôtre qui s’élève à 600 000 francs ».

Delphin Hervé Loua, étudiant à Sonfonia département philosophie

Delphin Hervé Loua, étudiant à Sonfonia département philosophie : « Moi je viens de KPAGHALAYE (Nzérékoré). Après mon bac, je rêvais à une vie simple une fois à l’université dans la capitale, comme celle de ma zone forestière où 5000 francs peuvent te nourrir durant toute une journée. Nous sommes 3 dans une même chambre que nous payons à 500 000 francs par mois. L’eau, le courant, la nourriture et surtout le transport, on en parle même plus. On a des bus qui sont trop petits où 50 personnes ne suffisent même pas. Parfois on est obligé de manquer le cours pour chercher de l’argent afin de pouvoir faire ces dépenses. D’ailleurs notre nourriture principale, c’est le pain 5 000 francs et la patte d’arachide 2000 francs. Du côté de la fac, on souffre aussi. Nous avons des salles à four où il fait excessivement chaut, surtout avec le nombre des étudiants dans les salles. Parfois on a très peur, car notre sécurité n’est pas garantie. Souvent nous sommes victimes de vol et de viol pour les filles. Donc, nous demandons de l’aide au gouvernement et aux bonnes personnes qui peuvent nous sortir de ces situations. »

Rosine Lamah, étudiante en Licence 1 département journalisme à l’ISIC de Kountia

Rosine Lamah, étudiante en Licence 1 département journalisme à l’ISIC de Kountia : « Franchement, je remercie Dieu. Depuis mon obtention du bac, jusqu’à maintenant, je n’ai pas encore connu de souffrance comme je pense ou comme vivent certains de mes amis. Je remercie beaucoup mon oncle et ma tante, car ce sont eux qui font tout pour moi ici. Actuellement je vis avec mon oncle, car il est plus proche de mon université que ma tante. Seulement ce que je peux dire à mes amis, c’est de prendre courage et de beaucoup se concentrer sur les cours. Et aussi aux élèves, car une fois au lycée, on se dit souvent qu’une fois à l’université, je vais me reposer, je vais faire ceci et cela. L’Université, c’est un autre monde. Les cours sont difficiles et intenses. C’est avec le courage. »

Alain Kéno Haba, étudiant en médecine à l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry

Alain Kéno Haba étudiant en médecine à l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry : « Moi, c’est ma deuxième année ici à Conakry, j’ai eu mon bac en 2023. La vie estudiantine n’est pas du tout facile. C’est de la catastrophe, un vrai calvaire auquel nos autorités doivent faire face. La bonne condition d’un seul étudiant ne signifie pas pour tous les autres. Nous souffrons beaucoup et c’est seulement avec le courage qu’on tient le coup. Je suis dans une maison entrée-couchée que je paie à 500 000 francs. Et, c’est vraiment difficile. L’étudiant, c’est pour étudier, mais si les coûts augmentent ainsi, comment faire pour vivre ? Aller à l’université ou aller chercher de l’argent pour pouvoir vivre ? Le marché est très cher et ici, c’est chacun pour soi Dieu pour tous. Pour le transport même, on ne peut pas entrer en profondeur. Et ce que le gouvernement donne ne couvre même pas la moitié de nos dépenses. Les parents donnent souvent ce qu’ils ont, mais ce n’est pas facile. Nous sollicitons nos cadres de faire face à ces situations, car parfois on risque d’abandonner les études pour d’autres choses. Et du côté de nos sœurs, certaines se livrent souvent pour gagner quoi manger. Nous avons beaucoup de nos frères qui sont gérants de bars, de maquis et de boîtes de nuit. A la fin de leurs études, ils sortent avec un diplôme, mais une tête nulle. »

Roger Blémou pour Guineematin.com

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