Disparition de Sadou Nimaga : un silence « inquiétant » autour de l’enquête

Me Mohamed Traoré, avocat à la Cour et ancien bâtonnier du barreau de Guinée

Depuis plusieurs mois, la disparition de Sadou Nimaga, cadre du ministère des Mines, demeure une énigme non résolue. Malgré l’ouverture annoncée d’une enquête, sa famille et ses avocats, dont Me Mohamed Traoré, peinent à obtenir des réponses concrètes sur son sort. Dans un contexte où les disparitions forcées d’activistes suscitent de vives inquiétudes, les interrogations demeurent quant à leur sort. Dans un entretien accordé à un reporter de Guineematin.com, maître Mohamed Traoré, revient sur l’état de l’enquête, les démarches entreprises par la famille, les obstacles rencontrés et l’attitude des autorités face à cette situation. Il dresse un constat déplorable sur la gestion de ce dossier et exprime ses préoccupations quant à un phénomène qui, selon lui, risque de se banaliser si rien n’est fait pour garantir la sécurité et les droits des citoyens.

Décryptage !

Guineematin.com : cela fait plusieurs mois que M. Sadou Nimaga, ancien secrétaire général du Ministère des Mines, a disparu. C’était le 17 octobre 2024 à Conakry. Où en est l’enquête et quelles sont les démarches entreprises par sa famille et ses avocats pour obtenir des réponses ? 

Me Mohamed Traoré : Très malheureusement, au moment où je vous parle, je ne peux pas vous dire où en sont les enquêtes qui ont été ouvertes à la suite de l’enlèvement de M. Sano Sadou Nimaga. Aux premières heures qui ont suivi son enlèvement, la famille et moi avions quand même de l’espoir parce que le procureur général près la cour d’appel de Conakry avait instruit le parquet d’instance de Kaloum d’engager une enquête afin de déterminer les conditions dans lesquelles Sadou Nimaga était enlevé, qui l’a enlevé et où est-ce qu’il se trouve. Malheureusement, moins d’une semaine après, cet espoir pratiquement a disparu parce qu’on avait l’impression que le procureur général lui-même était impuissant face à la situation. J’ai personnellement accompagné l’épouse de M. Sadou Nimaga ainsi que son chauffeur à la direction centrale de la police judiciaire afin qu’il soit entendu par ceux qui s’étaient présentés comme chargés du dossier au niveau de ce service de police judiciaire. Ils ont été effectivement entendus ; mais depuis lors, nous n’avons constaté aucune évolution, nous n’avons eu aucune information par rapport à cette enquête au point que je me pose aujourd’hui la question de savoir est-ce qu’il y a eu véritablement l’ouverture d’une enquête à part cette double audition de son épouse et de son chauffeur.

En tant qu’avocat de M. Nimaga, quelles sont les principales difficultés juridiques et administratives que vous rencontrez dans ce dossier ? Avez-vous le sentiment d’un manque de volonté ou de transparence de la part des autorités ?

La principale difficulté ou la seule difficulté en réalité, c’est qu’à mon avis, il n’y a pas d’enquête. Et même s’il y a des enquêtes, les résultats de ces enquêtes tardent à être portés à la connaissance de la famille de M. Sadou Nimaga et de son avocat que je suis. Il est vrai qu’une enquête se mène dans la confidentialité, dans le secret, mais à un moment donné, pour quand même rassurer la famille et rassurer toutes les personnes qui sont, disons, intéressées par cette affaire, on aurait pu quand même organiser ne serait-ce que des points de presse à la diligence du procureur de la République en charge du dossier pour éclairer la lanterne des citoyens par rapport justement à l’évolution de cette enquête. Malheureusement, on n’a d’informations ni au niveau de la direction centrale de la police judiciaire ni au niveau du parquet d’instance de Kaloum, encore moins au niveau du parquet général. Et en fin de compte, je peux dire qu’on a quasiment baissé les bras et on s’en est remis à Dieu. Donc la difficulté, comme je l’ai dit au départ, c’est qu’on nous fait croire qu’il y a des enquêtes, mais en tant qu’avocat, j’aurais quand même été l’un des tout premiers à savoir s’il y a véritablement des enquêtes et quels sont les résultats auxquels on est parvenus. Malheureusement, ce n’est pas le cas. C’est regrettable qu’un avocat puisse affirmer cela, mais c’est malheureusement la réalité et je ne peux pas donner de faux espoirs à la famille de Sadou Nimaga.

Pas de faux espoirs à donner à la famille. Pensez-vous que c’est la complexité, c’est le manque de moyens ou c’est le manque de volonté qui fait que le résultat des enquêtes retarde toujours ? 

Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un manque de moyens, parce que vous vous souviendrez qu’il y a quelques semaines, un opérateur économique avait été enlevé, mais qui a été retrouvé, disons, quelques jours après son enlèvement, parce que les services de sécurité avaient mis tous les moyens qu’il fallait dans cette enquête, afin que l’intéressé soit retrouvé et rendu à sa famille, comme l’avait promis le ministre en charge de la sécurité. Si les mêmes efforts, si la même volonté avait été exprimée, avait été déployée en ce qui concerne M. Sadou Nimaga et toutes les autres personnes qui ont disparu, peut-être qu’on n’en serait pas là aujourd’hui. Je pense plutôt qu’il s’agit d’un manque de volonté. Le constat, il est déplorable, mais il faut en parler. C’est cela le constat. Il est triste, mais on ne peut pas dire autre chose que cela.

Cette disparition s’inscrit dans un contexte plus large d’activistes portés disparus ou détenus. Pensez-vous que ce phénomène traduise un problème systémique au sein de l’administration et de la justice guinéenne ? 

Ce que je peux dire, c’est qu’il y a eu un premier cas, il y a eu un deuxième cas. Nous allons bientôt avoir peut-être dix cas de disparition forcée. Et moi, je m’étonne vraiment qu’on parle de disparition parce que nous ne sommes pas dans une situation de conflit, nous ne sommes pas dans une période de guerre où le phénomène de disparition forcée est beaucoup plus fréquent. Je pense que s’il y a des citoyens auxquels des faits infractionnels, des faits délictueux sont reprochés, la meilleure méthode est de leur adresser une convocation afin qu’ils répondent de leurs actes devant la justice. Et puisque nul n’est censé être au-dessus de la loi et chaque citoyen est justiciable de la justice de son pays ; Donc à mon avis, les phénomènes de disparition forcée ne devraient pas avoir droit de citer.
Et ce qu’il faut craindre…?

À l’occasion de la journée internationale des fonctionnaires portés disparus ou détenus, quel message souhaitez-vous adresser aux autorités et à la communauté internationale pour améliorer la protection des fonctionnaires et garantir le respect de leurs droits ? 

Je pense qu’avant de s’adresser à la communauté internationale, il faut s’adresser plutôt aux autorités, parce que la sécurité des personnes et de leurs biens incombe en tout premier lieu, disons, à l’État. L’État entendu au sens du gouvernement. La fonction d’assurer la sécurité des citoyens, c’est une fonction que l’État ne délègue même pas à des particuliers ou à des groupes privés. C’est une fonction régalienne qu’elle exerce exclusivement. Donc, il incombe à l’État de prendre les mesures qu’il faut pour que les citoyens puissent être en sécurité, aussi bien dans leurs personnes que dans leurs biens. Donc, si j’ai un message à lancer, c’est à l’endroit des autorités de faire en sorte que la sécurité des citoyens et de leurs biens soit une priorité, que les moyens nécessaires soient mis à la disposition des forces de défense et de sécurité, afin que sur chaque mètre carré du territoire national, que les citoyens se sentent en sécurité.

La toute dernière question par rapport au vol notamment de bébés ou d’enfants qui devient de plus en plus récurrent dans la cité. En tant qu’avocat, quels mots avez-vous à dire par rapport à cela ? 

Cela aussi entre dans la question globale de la sécurité des personnes et de leurs biens. Il est vrai qu’on peut lancer un appel aux parents en ce qui concerne le cas particulier des enlèvements d’enfants. Il faut que les parents fassent preuve de plus de prudence pour quand même mettre leurs familles, les enfants et autres en sécurité. Les parents ne doivent pas être distraits, les parents doivent être beaucoup plus attentifs. Mais au-delà, encore une fois, il y a la question de la sécurité qui incombe à l’État. Si un enfant ou des enfants sont enlevés, on doit pouvoir vraiment sentir la présence de la machine de l’État dans la traque des personnes qui se livrent à ces enlèvements. Mais si on ne voit pas l’État, ce n’est quand même pas un citoyen ordinaire qui a les moyens de faire des recherches afin de procéder par exemple à des investigations jusqu’à mettre aux arrêts les personnes. Tout cela incombe à l’État d’une façon générale.

Propos recueillis par Mamadou Laafa Sow pour Guineematin.com

Tél: (+224) 622919225

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