Massacre du 22 janvier 2007 : Mouctar Diallo réclame des stèles pour les victimes (interview)

Comme annoncé précédemment sur Guineematin.com, la date de ce lundi 22 janvier 2018 marque le 11ème anniversaire de la marche de 2007 réprimée par le régime du président Lansana Conté. L’un des acteurs de ces évènements, en l’occurrence Mouctar Diallo, actuel président des Nouvelles Forces Démocratiques (NFD), a accordé une interview à deux reporters de Guineematin. Il a été question de ses souvenirs sur ces évènements, du travail de fond élaboré avant cette date et des conséquences de ladite marche sur la vie de nos compatriotes.

Guineematin.com : cela fait onze ans aujourd’hui qu’une marche du mouvement social guinéen était réprimée par le régime  d’alors. Quel souvenir gardez-vous de cette du 22 janvier 2007 ?

Mouctar Diallo : c’est un triste souvenir que je garde de ces évènements. Je commence par exprimer une pensée pieuse à l’endroit des victimes des évènements du 22 janvier, mais aussi de janvier et février 2007. Des évènements qui ont été réprimés dans le sang même si le 22 janvier rêvait un caractère particulier en termes d’organisation de la marche et en termes de nombre de victimes. Le 22 janvier, c’était l’hécatombe. Je prie Dieu d’accueillir dans son paradis tous ceux qui ont perdu la vie au cours de cette triste période. Nos prières aussi vont à l’endroit des autres victimes qui sont devenus infirmes à vie ou qui ont perdu les leurs. Malheureusement, onze ans après ces évènements, nous n’avons toujours pas la lumière sur cette hécatombe. Des guinéens, des patriotes qui voulaient le meilleur pour la Guinée, le changement dans notre pays, des gens qui se sont révoltés contre l’injustice, la mal-gouvernance et qui ont décidé de manifester pacifiquement pour exiger un changement, ont été tués.

Guineematin.com : qu’est-ce qui s’est passé ce jour-là ?

Mouctar Diallo : je me rappelle que nous avions organisé une marche bien structurée qui a conduit les gens de tous les bords, de toutes les communautés, jusqu’au pont 8 novembre. A ce niveau, il y avait eu un barrage, des militaires furieux, amés jusqu’aux dents, comme si nous étions en période de guerre. Ils ont tiré à bout portant sur les manifestants pacifiques qui étaient désarmés. Ils ont poursuivi certains jusque dans la cour du cimetière de Cameroun pour les assommer, pour les tuer. J’ai été un témoin malheureux de ces évènements qui auraient pu emporter ma vie.

Guineematin.com : comment en était-on arrivé là ?

 Mouctar Diallo : ces événements n’étaient pas spontanés comme certains le pensent. J’en étais l’un des principaux organisateurs. Nous étions au CNOSC (Conseil National des Organisations  de la Société Civile)  qui jouait le rôle de société civile, un concept nouveau à cette époque. J’étais le coordinateur national du forum des jeunes de la société civile et Dr Dansa Kourouma, actuel président du CNOSC, était mon adjoint. Nous étions avec d’autres jeunes leaders au sein du forum et nous avions fait un travail de fond en collaboration avec nos ainés comme Ben Sékou Sylla (paix à son âme), le ministre Aliou Diaouné (paix à son âme), Dr Ibrahima Fofana (paix à son âme). A l’époque, nous travaillions de façon concertée pour organiser ces revendications.

Guineematin.com : quelle était la stratégie mise en place par votre mouvement ?

Mouctar Diallo : bien sûr qu’à l’époque on parlait  plus de syndicat qui avait déclenché officiellement la grève. Mais, au delà du syndicat, la CNTG est membre du CNOSC. Donc, il y avait toute une organisation derrière, un travail de fond sur le terrain. Nous avions à l’époque des équipes qui se rendaient dans les bases les plus reculées à Conakry pour sensibiliser les citoyens, les jeunes en particulier, pour une forte mobilisation pour la marche du 22 janvier 2007, que moi j’ai personnellement coordonné au niveau de la société civile. Il y a une forte mobilisation avec beaucoup d’autres forces qui ont contribué à appuyer cette dynamique de la société civile. Donc, tut était mis en place pour une marche réussie. Dans le cadre du dispositif mis en place, très tôt le matin, j’avais lancé le coup d’envoi pour que les premiers manifestants bougent à partir de l’intérieur. On a appelé tous les contacts, toutes les bases, on a mis tout le dispositif en place qui a commencé à marcher à partir d’une heure fixe à peu-près. Par la suite, il est vrai qu’il y a eu beaucoup d’autres qui ont rejoint le mouvement de façon spontanée. Mais, on avait bien  organisé cela. De la haute banlieue jusqu’au pont 8 novembre, il n’y a eu aucune casse. On avait mis en place des ceintures de sécurité pour qu’on ne touche pas aux commerces. Aucune station d’essence, aucune boutique, aucun magasin, aucun bureau, rien n’a été touché sur toute la ligne. Donc, c’est pour vous dire c’était bien organisé. C’est quand il y a eu cette foule immense, énorme, composée de tout le monde,  y compris même des femmes qui avaient leurs bébés, c’est là que les militaires ont sévi.

Guineematin.com : vous attendiez-vous à une telle réaction de l’armée ?

Guineematin.com : nous ne pensions pas que des militaires guinéens allaient tirer à bout portant sur leurs compatriotes qui étaient désarmés. Les gens étaient même entrain de chanter l’hymne nationale. Mais, quand il ya eu la  répression, certains manifestants ont carrément pris la mer. Il y a les deux tronçons qui avaient été occupés, à savoir l’autoroute Fidèle Castro et la route Le Prince pour Donka. D’autres devaient quitter aussi Kaloum pour venir au pont 8 novembre. Cela a été programmé dans les réunions qu’on avait tenues. On avait demandé aux gens de Kaloum d’organiser une autre marche pour venir en appui à ceux qui devaient venir de la banlieue pour justement faire sauter le barrage du 8 novembre.

Guineematin.com : qu’est-ce que ça vous fait de voir aujourd’hui soit oubliée, qu’il n’y ait pas de commémoration pour rende hommage aux victimes ?

Mouctar Diallo : je dirais qu’on a très vite oublié les héros, les combattants de la démocratie dans ce pays et malheureusement, on ne reconnait pas les combats menés par certains braves citoyens dans ce pays. Je pense que l’ingratitude est la chose la mieux partagée en Guinée. Nos gouvernants sont peu portés sur  les symboles dans le cadre du combat pour la République. Aujourd’hui, ces braves guinéens qui ont donné leurs vies pour la liberté, la démocratie, devraient être honorés par des stèles, par la commémoration, par des journées déclarées fériées, chômées et payées, en mettant leurs familles dans de bonnes conditions en reconnaissance du service rendu à la République. Malheureusement, tout cela  est oublié, on ne parle jamais d’eux. L’élan qu’on avait pris en janvier et février 2007 a été interrompu.

Guineematin.com : est-ce que ce combat mené en 2007 par le mouvement social avait finalement porté fruit ?

Mouctar Diallo : je dirais non. Les résultats n’ont pas été à la hauteur des sacrifices consentis par les guinéens. Les évènements de janvier et févier 2007 avaient mobilisé toute la Guinée. Il y avait eu des manifestations sur l’ensemble du territoire national en dehors de 3 préfectures de la Basse Côte liées au général Lansana Conté. Toute la Guinée s’était mobilisée comme un seul homme pour dire halte à la mal-gouvernance, pour exiger un changement, pour la démocratie. Malheureusement, cet élan n’a pas été valorisé par ceux qui sont venus après. Vous connaissez l’histoire. Il y a eu la mise en place d’un gouvernement de large consensus. Mais, ce gouvernement ne s’est pas appuyé sur cet élan, il n’a pas valorisé cette force pour parachever le changement, puisqu’il ya eu d’autres agendas qui ont fait qu’on est revenu à la case départ. Il n’y a pas eu de changement. Si des mesures avaient été prises, si les auteurs des tueries de janvier et février 2007 avaient été jugés, on n’allait pas connaitre le massacre du 28 septembre 2009.  C’est une évidence. L’impunité régnant, on a connu 2009. C’est dommage que la vie soit humaine soit banalisée, démystifiée, foulée au sol. Aujourd’hui, la priorité des acteurs politiques que nous sommes, c’est de combattre pour que la Guinéen soit un pays normal où les droits humains sont respectés, où les principes de démocratie sont appliqués.

Propos recueillis par Alpha Mamadou Diallo et Ibrahima Sory Diallo pour Guineematin.com

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