Yacine Diallo, ancien ministre : « le président Lansana Conté a été trompé par les voyous de la République »

Demain vendredi, 22 décembre 2017, marquera le 9ème anniversaire de la disparition du Président Lansana Conté. Et, dans la matinée de ce jeudi 21 décembre 2017, un journaliste de Guineematin.com est allé à la rencontre de monsieur Boubacar Yacine Diallo, journaliste-éditorialiste, ancien Directeur de la RTG, ancien président du Conseil National de la Communication (CNC) et ancien ministre de la Communication, qui a parlé des qualités et des défauts du deuxième président de la Guinée indépendante.

Décryptage !

Guineematin.com : Demain, 22 décembre 2017, marquera le neuvième anniversaire de la mort du président Lansana Conté. Vous qui l’avez côtoyé, qu’est-ce que vous retenez de l’homme ?

Boubacar Yacine Diallo : Je voudrais rappeler que le Général Lansana Conté est décédé le 22 décembre 2008 aux alentours de 18 heures -18 heures 30’. La nouvelle n’a été connue que bien plus tard sur les antennes de la télévision nationale lorsque le président de l’Assemblée nationale d’alors, Elhadj Aboubacar Somparé (qui est aussi décédé il y a près de deux mois : ndlr) et les autres présidents d’institution sont venus à la télévision pour annoncer le décès.

Pour revenir à votre question, le Général Lansana Conté était un homme en tout. C’était un bon militaire. C’est l’un des rares à avoir gravi tous les échelons normalement. Je voudrais rappeler aussi qu’il a fait la guerre d’Algérie. Et, le 22 novembre 1970, c’est lui et ses hommes retranchés sur l’île de Tamara, qui avaient défendu la capitale Conakry et qui avaient chassé les mercenaires de la ville. Il fut aussi un bon Président parce que déjà, le 22 décembre 1985, dans son discours-programme, il avait annoncé deux mesures importantes. La première, c’est celle de construire un Etat de Droit, respectueux de toutes les libertés, y compris la liberté de la presse. La deuxième chose est de démonopoliser le secteur du commerce, le secteur privé. Cela a été suivi de faits. Voilà en peu de mots, l’image que j’ai du Général Lansana Conté.

Guineematin.com : Vous venez de citer beaucoup de bonnes qualités du défunt Général Lansana Conté ; mais, on suppose qu’il avait aussi des défauts ?

Boubacar Yacine Diallo : Bien sûr, il avait des défauts. Son premier défaut, c’était sa déformation professionnelle. Comme haut gradé, il a passé le meilleur de sa vie à donner des ordres et en recevoir très peu. Et, quand il est devenu Président, il a vécu cette déformation professionnelle. Il a pensé qu’il fallait donner des ordres à tout le monde, y compris à ses opposants et que tout le monde devrait les exécuter sans murmure. Ça été une erreur ! Mais, je l’ai justifié par la déformation du militaire qu’il fut. En même temps, il avait aussi un autre défaut ; c’est que quand il a une idée derrière sa tête, il était plutôt poussé à l’exécuter ; même s’il peut par la suite reconnaître l’erreur et la corriger. Par exemple, dans sa politique de décentralisation, il a poussé l’analyse jusqu’à croire que nommer un ressortissant d’une ville était la meilleur solution. Donc, il a désigné les préfets selon leur lieu de naissance. Cela a été catastrophique.

Guineematin.com : Tout à l’heure vous avez parlé de la libéralisation des ondes pendant son régime qui était, rappelons-le, un régime militaire ; aujourd’hui, on constate que les médias sont de plus en plus menacés par un régime civil. Que dites-vous de ces deux situations ?

Boubacar Yacine Diallo : Vous savez que le Général Lansana Conté a libéralisé les ondes et je voudrais rappeler qu’il y avait beaucoup d’oppositions et d’opposants à cette libéralisation.

Finalement, il a compris que pour bâtir un Etat de droit, il fallait naturellement accepter la libéralisation des ondes. Cela a été arraché de haute lutte ; mais, c’était naturellement avec son accord parce que c’est lui qui a pris le décret de libéralisation le 20 août 2005. Je le dis d’autant plus que deux jours avant il m’a nommé président du Conseil National de la Communication (CNC) à l’effet d’aider à faire appliquer sa décision de libéraliser les ondes. Aujourd’hui, la presse est en difficulté avec le pouvoir qui réclame des arriérés de dues et je pense que ce sont des questions qui vont être régler entre patrons de presse et pouvoir. Je voudrais simplement espérer que la liberté rêvée et matérialisée sous le régime de Lansana Conté se perpétue aujourd’hui.

Guineematin.com : Votre mot de la fin ?

Boubacar Yacine Diallo : Je voudrais me souvenir du Général Lansana Conté lorsqu’il est parti à Pyongyang en Corée du Nord. C’est un homme qui sait négocier. Mon cameraman avait pris Kim Il-Sung de dos. Il avait une bosse. Lorsque je suis revenu à Conakry et j’ai diffusé cette image, l’ambassade de la Corée avait réagi négativement. Les gens ont pensé qu’il y aurait eu un incident diplomatique. Lorsque le Président Lansana Conté a été touché du sujet, il a dit tout simplement ceci : « le Président Kim Il-Sung a-t-il une bosse ou pas ? La réponse était oui ! Il a dit alors pour moi cette question ne peut pas être discutée ».

Ensuite, le deuxième souvenir que j’ai de lui est que lorsqu’il a visité la prison de Fidel Castro au Cuba, il avait écrit dans le livre d’or que le monde entier devait admirer Fidel Castro. Je lui avais demandé l’autorisation de ne pas diffuser cet extrait que je trouvais exagéré. Il s’est mis à rire et m’a dit : « tu es un journaliste et tu fais ce que tu veux ». Voilà deux souvenirs qui sont restés dans ma tête et je pense que c’était un homme qui aimait la Guinée. Malheureusement, il a été trompé par les voyous de la République. Je suis même choqué quand je vois ces mêmes voyous aujourd’hui polluer tous les lieux privilégiés et qui continuent toujours à mentir.

Guineematin.com : merci monsieur le ministre

Boubacar Yacine Diallo : merci

Entretien réalisé et décrypté par Alpha Assia Baldé pour Guineematin.com

Tél. : 622 68 00 41

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