Absence de la Guinée au sommet de Paris : « c’est un camouflet pour les autorités guinéennes »

Bah Oury, président de l’Union des Démocrates pour la Renaissance de la Guinée (UDRG)
Bah Oury, président de l’UDRG

Que retenir du sommet de Paris sur le financement des économies africaines impactées par la Covid-19 ? Quels peuvent être les impacts de la non-participation de la Guinée à cette rencontre ? Ce sont entre autres les questions auxquelles l’opposant guinéen, Bah Oury, a répondu dans un entretien qu’il a accordé à Guineematin.com, ce mercredi 19 mai 2021. Selon le président de l’Union des Démocrates pour la Renaissance de la Guinée (UDRG), l’absence de la Guinée à ce rendez-vous fait perdre au pays des opportunités de financement qui pouvaient lui permettre de booster son économie.

Décryptage !

Guineematin.com : le sommet sur la relance des économies africaines, fortement ébranlées par la pandémie de Covid-19, s’est tenu hier à Paris, en présence d’une trentaine de chefs d’Etat africains. Même s’il n’y a eu aucun engagement ferme, les participants ont promis de poursuivre les discussions autour des droits de tirage spéciaux (DTS). Concrètement, de quoi s’agit-il au juste ?

Bah Oury : c’est une procédure, avec l’accord du Fonds monétaire international, qui permet à un pays d’avoir des ressources additionnelles pour son financement. Vous savez que très souvent, soit c’est la dette, soit c’est la mobilisation des ressources intérieures. Et la question des DTS permet d’avoir, de manière substantielle, des ressources financières disponibles pour aider les pays en difficulté, notamment les pays africains. C’est ça l’idée de fond.

Maintenant, l’objectif qui est fixé, c’est d’atteindre les 100 milliards de dollars et ce n’est pas encore acquis. Ce qui est plus ou moins certain, c’est qu’il y a la possibilité d’avoir les 33 milliards de dollars. Pour le reste, la différence, il faudrait l’accord de certains pays qui ont des quotas relativement importants en DTS et qui pourraient, avec leur assentiment et leur accord, utiliser leurs parts pour contribuer à financer la politique de relance des économies post-Covid des pays africains.

Guineematin.com : justement, Emmanuel Macron a déjà promis que son pays va céder sa part en DTS à l’Afrique et il compte convaincre les autres pays riches à en faire autant. Pensez-vous que cette démarche du président français peut aboutir ?

Bah Oury : si vous regardez à l’heure actuelle le monde, les changements des paradigmes en ce qui concerne la gouvernance sont très perceptibles. Le président Biden, à près de près de 1900 milliards de dollars, est en train d’engager un plan de relance extrêmement important du côté des Etats-Unis. Et donc, la politique libérale qui avait prévalu jusqu’à présent, qui est très restrictive en ce qui concerne ses démarches de type keynésien, est en train d’être battue en brèche, parce que l’Etat reprend disons un poids politique et un poids économique et financier très important. Je pense que les mentalités sont  en train d’évoluer.

Et il n’est pas exclu qu’avec la réunion qui pourrait se tenir avec les pays du G20, que cette question d’autorisation d’utilisation des tirages spéciaux de la part de certains pays financièrement plus solides soit un point qui pourrait être à l’ordre du jour. Je pense que le Président Macron va continuer à aller dans ce sens-là. Il a rencontré les principaux pays qui sollicitent cette aide, ensuite, il se fera l’Ambassadeur de ces pays vis-à-vis des autres puissances économiquement fortes du monde pour obtenir la possibilité que le Fonds monétaire international, avec son conseil d’administration, autorise la possibilité d’accroître les droits de tirages spéciaux et de permettre à certains pays d’utiliser leur quote-part pour reverser dans le palier de l’aide aux pays à faible revenu.

Guineematin.com : selon vous, comment devrait se faire la répartition de ces montants et en quoi serviraient-ils ?

Bah Oury : ces montants vont servir pratiquement à régler la question des investissements, à relancer les économies qui sont fragilisées, à lutter contre la pauvreté. Je pense que ça va être dans la même logique que la politique qui a été mise en avant à un moment donné en ce qui concerne l’effacement de la dette à travers l’initiative des pays très endettés. Et donc, il y aura des conditionnalités, des procédures qui pourront permettre à des pays d’être éligibles ou pas. Donc les critères de bonne gouvernance, les critères de ciblage des financements, etc. Je suis sûr que toutes ces questions seront à l’ordre du jour de manière bilatérale ou de manière plus approfondie au niveau de certains experts pour fixer la ligne qu’il faudrait mettre en avant pour l’utilisation opérationnelle de ces mesures des droits de tirages spéciaux.

Guineematin.com : la Guinée n’a pas pris part à ce rendez-vous, parce que n’ayant pas été invitée par les organisateurs. Est-ce qu’il y a tout de même une chance que le pays puisse bénéficier des retombées de ce sommet ?

Bah Oury : vous savez, la Guinée est en train d’accuser beaucoup de déboires sur la scène internationale. Nous avons été disqualifiés en tant qu’Etat par rapport au projet américain du Millénium Challenge du fait du non-respect des questions relatives à la gouvernance et au respect des droits de l’homme. C’est une perte sèche d’une possibilité de financement de près de 500 millions de dollars que nous avons enregistrée. Nous avons vu que les apports aussi bien du Fonds monétaire et la Banque mondiale pour certains pays.

Par exemple, le Ghana avait bénéficié de près de 1 milliard 100 millions de dollars pour la lutte contre les effets du Covid-19, alors que nous, je ne pense pas que le montant qu’on a obtenu ait été relativement substantiel. Donc la question de la Guinée, elle est intrinsèque à notre situation interne. La mauvaise gouvernance, l’incapacité de promouvoir les intérêts du pays font que nous sommes toujours en retard ou très souvent absents de là où les choses essentielles se dessinent.

Guineematin.com : avec son absence à cette rencontre, qu’est-ce que la Guinée perd concrètement ?

Bah Oury : la Guinée perd des opportunités de financement. La Guinée perd en image. Le fait même que le Président Alpha Condé ne soit pas invité, c’est aussi dans une large mesure, sur le plan diplomatique, un camouflet pour les autorités guinéennes. Là où les choses importantes du monde se dessinent et que vous soyez absent en plus que vous ne soyez même pas invité, cela veut dire que l’isolement relatif de notre pays sur la scène internationale est une réalité aujourd’hui.

Guineematin.com : contrairement à ce que vous dites, les proches du pouvoir eux, brandissent l’argument de la souveraineté de notre pays. Ne pensez pas qu’ils ont raison quelque part ?

Bah Oury : souveraineté, souveraineté, souveraineté, ce sont des choses que nous clamons à gauche et à droite lorsqu’on n’a rien d’autre à dire. Mais, ça c’est une perte de crédibilité, une perte d’image qui affecte la Guinée. On entend très souvent les autorités actuelles se glorifier d’avoir financé par leurs propres ressources trois élections en un an. Mais, elles ne disent pas à la population qu’elles ont ruiné financièrement le pays en accroissant l’endettement du trésor vis-à-vis de la Banque centrale de près 5000 milliards de francs guinéens, c’est-à-dire l’équivalent de 5 milliards de dollars au cours de l’année 2020 seulement.

Cela veut dire que nous vivons totalement à crédit et la planche à billet est l’élément qui permet dans une certaine mesure de satisfaire le financement des besoins de l’Etat. Ceci dit, vous regardez bien, il y a beaucoup d’institutions qu’on ne parvient même pas à financer parce que les ressources financières font défaut. Vous avez une incapacité d’accroître la mobilisation de vos ressources intérieures, vous avez le malheur également de faire en sorte que vous vous êtes fâchés avec la communauté internationale et la communauté financière internationale mondiale, qui auraient pu compenser vos déficits en d’autres termes.

Cela veut dire que la Guinée est dans une très mauvaise situation sur le plan financier et sur les autres aspects qui sont corrélatifs à l’absence de financement, c’est-à-dire la question économique, sociale et politique. La Guinée a besoin véritablement de réformes en profondeur. On ne peut plus tricher. On a triché pendant très longtemps en croyant que le fait de faire de grands discours permet de changer les réalités. Mais aujourd’hui, la Guinée ne peut plus se permettre de vivre comme elle a vécu jusqu’à présent. Les réformes sont indispensables et les changements sont à l’ordre du jour.

Interview réalisée par Alpha Assia Baldé pour Guineematin.com

Tél : 622 68 00 41

Facebook Comments Box