Condamnation de Thianguel et Cie dans l’affaire Koula : l’intégralité de la décision du juge

C’est un véritable coup de théâtre qui s’est produit dans la soirée d’hier, mardi 09 janvier 2018, au Tribunal de Première Instance de Dixinn. Alors que personne dans la salle ne pouvait imaginer une condamnation de Souleymane Thianguel après le réquisitoire du procureur qui a demandé l’acquittement de ce dernier, le juge Mangadouba Sow a surpris tout le monde. Il a condamné le responsable de la communication de l’UFDG à la réclusion criminelle à perpétuité et ordonné la libération des deux suspects qui étaient détenus depuis deux ans environ dans le cadre de l’assassinat du journaliste Mohamed Koula Diallo.

Guineematin.com vous propose ci-dessous le prononcé de la décision du juge.

« Nous n’avons cédé à aucune pression possible. Mais, avant de prononcer la décision, le tribunal a fait les observations suivantes.

Aujourd’hui encore, nous avons l’avantage d’être des guinéens, rien que des guinéens, en tout cas pour ceux qui sont concernés. Les mis en cause, comme les acteurs professionnels que sont les magistrats, les avocats et les greffiers. La Guinée, notre patrie et notre bien commun. Tous ici partout où nous allons, c’est dans l’instinct, que je sois conscient ou inconscient, que je sorte librement du pays ou que je sois en fuite, de façon volontaire ou involontaire, nous pensons à ce pays qu’on appelle la Guinée.

Je voudrais vous rappeler deux choses. J’ai vu la collection littéraire du XVlllème siècle. Des textes m’ont particulièrement intéressé. Pour ceux qui ne savent pas, c’est eux qui ont annoncé la révolution française de 1789, c’est eux qui ont annoncé tout ce que nous sommes en train de faire aujourd’hui : droits de l’Homme, liberté, c’est eux les précurseurs. Pour vous dire jusqu’où le pays où l’on est né, le pays de notre première nationalité, notre nationalité guinéenne, il est cher à chacun.

Dans l’encyclopédie, Denis Diderot était le président, Voltaire l’éminent secrétaire, avec comme membre un écrivain très lucide, Jean Jacques Rousseau qui n’était pas français. Parce qu’il était Suisse, il a fui la Suisse, il est venu se réfugier en France. Il a milité dans les grands salons. Alors, il y a eu un prix littéraire qui est d’origine de l’inégalité. Tous ont essayé, Jean Jacques Rousseau, qui venait de loin qui n’était pas français, a eu le premier prix. Prix que convoitait Voltaire de France.

Alors, ils se sont mis à échanger, ils se sont écris des lettres. Mais, à chaque fois qu’ils écrivaient, Jean Jacques Rousseau avait le meilleur signe. Finalement, Voltaire lui a écrit une lettre avec ce bout de phrase. « Monsieur Jean Jacques Rousseau, je vous apprends quelles que soient les peines qu’on essuie dans notre pays, mieux vaut y rester ».

C’est dire que personne d’entre nous n’a intérêt à ce que la Guinée brûle. Que nous soyons ici ou ailleurs, quel que soit le mal que nous commettons, il est souhaitable que nous vivions en Guinée. Que nous ne partions ailleurs qu’en quête de bonheur pour revenir vivre dans notre patrie. Mais, puisque Jean Jacques Rousseau avait mal quitté la Suisse, la phrase l’a blessé, l’a indigné, l’a ulcéré. Quelles que soient les peines que vous essuyez dans votre pays, mieux vaut y rester.

J’ai effectué une partie de mon stage dans la ville de Mamou. Pour ceux qui connaissent cette ville, non loin du carrefour de la gendarmerie, il y a une chapelle. Le prête qui était là s’appelait Monseigneur François Kamano. Je viens à Kindia pour rendre visite à mes parents ; en allant, je ne trouve pas de voiture taxi. Je voulais retourner à Mamou, j’étais au bord de la route, heureusement pour moi, bien habillé. Le prête est venu me trouver, il voyageait seul. Parmi une foule de personnes, il m’appela. Il me salut, il me demande où je vais, je lui dis que je vais à Mamou. Il dit, est-ce que vous serez gentil de venir avec moi ? Il se présente, je monte dans la voiture.

C’est lui qui m’a dit que pour tout homme ce qui compte, c’est quatre choses : naître dignement, grandir dignement, vieillir dignement et mourir dignement. Quand vous avez l’avantage d’avoir ces quatre choses, vous avez beaucoup dans votre vie. Je rappelle ça parce que dans ce dossier, monsieur Bah Oury a pris les radios, il a dit beaucoup de mauvaises choses de ma personne. Des avocats m’ont appelé pour me demander si je suis, j’ai dit que je suis, mais j’ai opté pour ça. J’ai mon quatrième enfant, une fille qui a terminé l’université. Elle m’a dit papa, on est en train de mal parler de vous. Elle me dit papa y a ça, y a ça. Je lui ai dit ne t’en fais pas, ce que je suis en train de faire comme travail ne m’attire pas que des amis, il y a beaucoup d’adversités. A chaque fois que je termine un procès, j’ai au moins un ennemi. Je dis donc, ne vous en offusquez pas. Tout ce que je sais, c’est que je suis né dignement, j’ai grandi dignement, je vieillis dignement et je ferai en sorte que je meurs dignement, s’il plait à Dieu. Voilà la réponse que j’ai eu à donner à mes enfants.

Vous avez soulevé beaucoup de choses. Ce n’est pas le moment d’en discuter ; mais, puisque vous les avocats vous avez dit que nous ne sommes les seuls, nous sommes ensemble. Avocats, magistrats, greffiers, notaires, huissiers et même la police judiciaire, nous sommes les maillons d’une même chaîne. Quand un maillon pourrit et se ronge, vous n’avez plus de chaîne. Vous avez dit que ce que l’officier de police judiciaire fait rejaillit sur la dernière décision de la cour suprême. En passant par les jugements de première instance, les arrêts à la cour d’appel, en tout cas en matière pénale. Parce que tout simplement, que l’on soit de la gendarmerie, de la police, juge d’instance, juge d’appel, juge de cassation, nous avons les mêmes outils. Le code pénal et le code de procédure pénale. Chacun de nous tire sa compétence, sa légitimité dans les codes-là. J’ai souvent rappelé que, eux et nous, nous prenons les mêmes aliments à plusieurs degrés de cuisson. Je crois que le juge n’est pas un fonctionnaire, le juge n’assume pas une fonction, il exerce une vertu. Et la vertu est une somme. Une somme de courage, une somme d’audace, une somme d’écritures et une somme de compétences et une somme de conséquences. Quand vous rendez une décision, il faut s’attendre à des conséquences. C’est comme si vous faites face au ciel vous crachez. Quoi que vous fassiez, les gouttes de salive vous reviennent sur le visage.

C’est pourquoi, statuant publiquement par défaut à l’égard de Thianguel, Alphadjo et Amadou Saidou Barry, contradictoirement à l’égard de Amadou Sow et Algassimou Keita en matière criminelle et en premier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi, sur l’action publique retient Thianguel dans les liens de la culpabilité, déclare dépôt contre lui, le condamne à la réclusion criminelle à perpétuité, décerne mandat d’arrêt contre lui à l’audience. Détient Alphadjo et Mamadou Saidou Barry dans les liens de la culpabilité, les déclare coupables de coups et blessures volontaires, déclare dépôt contre eux, les condamne à deux ans d’emprisonnement et au paiement de la somme d’un million à titre d’amende chacun, décerne mandat d’arrêt contre eux à l’audience. Déclare que les faits ne sont pas imputables à Amadou Sow et Algassimiou Keita, les renvoie des fins de la poursuite, ordonne leur acquittement pur et simple.

Sur l’action civile, constate la-non constitution de partie civile au PM3 de feu Mohamed Koula Diallo, de Amadou Oury Bah et de Abdoulaye Diallo. Condamne Thianguel, Alphadjo et Mamadou Saidou Barry aux frais de dépens envers l’Etat. Le tout en application de l’article 208, 239 du code pénal, 481,564,544, 548 du code de procédure pénal.

Telle est notre décision.

Abdoulaye Oumou Sow pour Guineematin.com

Tél. : (00224) 620848501

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