Elections Présidentielles : Une victoire vaut-elle la défaite de toute une nation ?

Tibou Kamara, ancien ministre, Transition, Par Tibou Kamara (ancien ministre d’Etat, ministre secrétaire général à la présidence de la République)- Les résultats de l’élection présidentielle du 11 octobre dernier sont attendus avec une certaine angoisse par des Guinéens qui craignent des violences, à cause du refus de l’opposition de les reconnaître et accepter. Ces résultats, avant même d’être proclamés par la CENI, seule habilitée à le faire, sont contestés et rejetés par les challengers du Président sortant Alpha Condé. Derrière la victoire ou la défaite de l’un ou l’autre camp, se profilent des enjeux personnels considérables qui pourraient expliquer pourquoi le ton est monté et les positions paraissent irréconciliables.

A chacun son problème : Alpha Condé espère rempiler dès le premier tour de l’élection présidentielle. Cellou Dalein Diallo compte établir la majorité qu’il a toujours revendiquée, surtout après une campagne électorale réussie. Peut-être voudrait-il aussi renforcer sa légitimité et son autorité à la tête de l’UFDG pour parer à la querelle de sa succession qui pourrait être âprement disputée en cas d’échec : Combien de prétendants dans l’anti-chambre ?

Mais, avant tout et tout le monde, il y a la Guinée qui est le bien individuel et commun à tous les Guinéens. Même s’il est vrai que certains se sentent aujourd’hui moins Guinéens que d’autres et la colère et les frustrations exprimées ça et là à travers le pays pourraient être parfois légitimes, compte tenu des manquements aux droits reconnus et le sentiment de beaucoup de citoyens qu’il n’y a aucune perspective pour eux.

Cependant, il n’y a qu’une Guinée pour tous les Guinéens et qui survivra à tous les Hommes  » passagers du temps et de l’histoire » et qui résistera aussi, parce qu’elle en a les ressorts aux différents régimes.

Face aux heures graves que traverse une Guinée encore fragile et vulnérable, chacun a une responsabilité devant l’histoire et un engagement à honorer face à l’avenir commun. La paix en Guinée, dans les prochains jours, dépendra des propos que chacun tiendra et des actes que tous auront à poser. C’est pourquoi, la défiance des uns et les intimidations des autres constituent une escalade qui n’a pas sa place en Démocratie et en République. L’histoire est le juge de chacun et de tous. Quand les Guinéens l’auront compris, ils seront meilleurs, quand la Guinée tiendra davantage compte de la vérité et de la justice, elle se portera mieux. Parce que la violence dont le spectre plane sur le pays et la fragilité des institutions découlent à la fois de la démission de toujours des élites guinéennes, de la loi du plus fort dans le pays ainsi que de l’absence de recours dans la mesure où peu de citoyens ont confiance dans leurs lois et croient que la justice est encore possible. A qui la faute ?

Tout le monde est d’accord qu’en République, force reste à la loi, mais personne ne peut contester qu’en Afrique, c’est sous l’arbre à palabres que se règlent les conflits dans la société.

Que demande l’opposition ? La reconnaissance de ses droits, à défaut, avoir des recours pour arbitrer dans les contentieux en matière électorale notamment dans un esprit d’impartialité et d’équité, c’est-à-dire républicain et démocratique.

Que demande le pouvoir ? La reconnaissance de sa légitimité souvent contestée, le respect de l’autorité de l’Etat tout le temps défiée au risque d’ébranler les institutions et d’entraîner le pays dans l’aventure.

Les exigences des uns sont-elles incompatibles avec les attentes des autres ? Bien sûr que non, si chaque partie est animée de bonne foi et considère l’intérêt général.

La CENI, seule coupable

Les élections dont la Guinée vient de faire une nouvelle fois l’expérience dans sa quête légitime de démocratie ont montré l’intérêt des Guinéens pour la chose publique et leur foi dans la démocratie. Elles ont aussi révélé d’une part la faiblesse de certains responsables notamment de la CENI et d’autre part la nécessité impérieuse d’une cohabitation inévitable entre les forces politiques et les différentes entités sociales du pays.

En effet, la CENI qui, par le passé déjà, avait été source de conflits et de tensions, est le véritable ennemi de la démocratie guinéenne et la seule menace contre la paix sociale. En refusant le débat à propos de la préparation des élections et en excluant tout éventuel report justifié ou non, elle sera entièrement responsable de toute crise post-électorale. Surtout que les faiblesses et dysfonctionnements relevés pouvaient être évités et n’ont pas permis que le scrutin capital pour le pays se déroule dans de meilleures conditions de confiance et de sérénité. Par sa faiblesse devenue très chronique qui interpelle chacun à propos du système électoral guinéen, voir de l’avenir de notre jeune démocratie, elle a rompu le  » contrat de confiance et de coexistence pacifique » entre le pouvoir et l’opposition et qui a permis chaque fois d’aller aux élections et surtout de prévenir le pire pour le pays.

Chacun sait qu’en Afrique où les résultats des élections donnent lieu à des contestations sans fin et provoquent parfois de graves crises, il est important de tout faire pour que les élections, à défaut d’être parfaites, soient organisées dans des conditions optimales.

Qu’à cela ne tienne, tous mis devant un fait accompli, que faut-il faire aujourd’hui pour que la Guinée que nous aimons tous profondément, soit saine et sauve, préserve son honneur et son intégrité ?

Quels qu’ils soient, les résultats à venir dans l’ordre que les électeurs auront décidé en âme et conscience , le RPG au pouvoir et l’UFDG sont au-dessus de la mêlée et se partagent l’électorat du pays.  C’est pourquoi , les deux partis politiques condamnés à une cohabitation forcée ont l’obligation de réfléchir au devenir de la nation guinéenne en sortant de la logique d’épreuve de force électorale systématique pour aller vers un pacte politique et social sincère qui n’aura pas pour seul mérite de réduire les clivages dans le pays, mais favorisera aussi et surtout  une meilleure intégration de toutes les communautés , donc l’unité et la réconciliation nationales.

L’exclusion n’a pas d’avenir

Pendant le mandat d’Alpha Condé qui s’achève, nonobstant les obstacles et toutes les préventions, ce n’était pas normal au regard du poids de l’UFDG sur l’échiquier électoral que ce parti sont exclu du processus de décision, de la direction des affaires nationales. Certes, il existe maintenant un statut de chef de fil de l’opposition qui consacre l’opposition démocratique et ses droits, mais pour tous les Guinéens qui ont choisi Cellou et lui font confiance, il était essentiel que sa voix soit plus entendue et compte dans le débat national et la gestion des affaires publiques. Il serait encore illusoire d’envisager l’avenir sans lui.

Aujourd’hui , Alpha Condé qui est au pouvoir encore,  en attendant le verdict annoncé des urnes , la communauté internationale et toutes les bonnes volontés devraient l’exhorter à cela, a le devoir de créer le cadre et les conditions d’un dialogue politique et social national afin de surmonter la crise de confiance et de légitimité, de statuer sur les désidératas légitimes de l’opposition. La démarche consiste,  indépendamment des résultats qui seront proclamés, à ramener la sérénité dans le débat et à amorcer un nouveau départ pour la Guinée et les Guinéens. Les élections, au lieu d’être alors le problème qu’elles semblent constituer aujourd’hui seront une solution d’avenir paisible pour chacun et tous. Si la Guinée gagne, personne ne sera perdant.

Tibou Kamara

 

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