Polémique autour des élections de conseils de quartiers et districts en Guinée : éclairage d’un juriste !

image-de-fin-du-dialogue-politiqueDepuis un certain le débat en Guinée tourne autour du récent accord politique notamment sur le mode de désignation des conseils de quartiers et de districts. On entend beaucoup de commentaires mais rarement fondés sur des vrais questions de droits. Les uns considèrent que la loi est violée et les autres pensent le contraire. Les journalistes épiloguent selon les orientations qu’ils tirent de l’un ou l’autre des deux camps.

Malheureusement aucun sinon très peu de journalistes lisent les textes qui gouvernent les élections en guinée notamment la Constitution et le Code électorale et animent le débat politique de façon partielle. En lisant ces deux textes on se rend compte de l’évidente contradiction qui existe entre eux sur diverses dispositions plus précisément sur celles relatives au mode même de désignation des conseils de Quartier et Districts. Je m’emploierai juste à relever quelques-unes à titre d’exemple :

I – Sur le mode de désignation des Conseils de Quartier et de Districts

Celui-ci est traité par le titre II de la loi électorale. En effet, l’article 98 de ladite loi dispose, conformément à l’article 135 alinéa 2 de la constitution qui dispose que «… la création des collectivités locales et leur réorganisation relèvent du domaine de la loi », les quartiers et districts sont des sections des collectivités locales. A ce titre, elles s’administrent librement par des conseils élus ; ils sont donc des collectivités locales si on se limite au principe de librement administration expressément mentionné par le législateur. Cet article est en contradiction flagrante avec les dispositions de l’article 99 de la même loi qui dispose ceci « Un arrêté du Ministre en charge des collectivités locales fixe le nombre de conseillers, les attributions et le mode de fonctionnement du conseil de quartier et de district. L’article 111 de la même loi toujours ajoute une nouvelle contradiction en disposant ceci « Le fonctionnement des conseils de district et de quartier, leurs attributions, leurs relations avec l’Etat et les avantages s’il y a lieu, feront l’objet d’un décret ». A préciser que tous ces deux actes sont règlementaires et interviennent dans le domaine de la loi donc du législateur.

En admettant que les quartiers et districts sont des collectivités locales donc devant s’administrer librement par des conseils élus, rien ne les distinguent alors des Commune et des Régions. Ils disposent dès lors et au même titre que ces dernières de :
• la personnalité juridique
• l’autonomie financière et sont
• soumis au contrôle de tutelle (contrôle de légalité), d’où la problématique du territoire de la commune et du lien entre elle et le quartier, du lien entre le conseil communal et celui du quartier ou du district.

Mais quelles compétences l’Etat transfèrera-t-il aux quartiers et districts alors que les Communes en ont déjà 32 qu’elles n’arrivent jusqu’à présent pas à mettre correctement et efficacement en œuvre ? D’où proviendront leurs ressources? Qui les mobilisera et comment vont- elles être gérées ? Pour quel programme de développement également différent de celui figurant dans le plan de développement local de la Commune ?
Quelle autorité de la Commune, de la Préfecture ou de la sous-préfecture assurera le contrôle de tutelle, sachant bien entendu que la loi interdit à une collectivité locale d’assurer un quelconque contrôle sur une autre ?
Autant de question qui méritent à mon avis une réflexion sérieuse et des réponses claires et réalistes au-delà des clivages politiques et dans l’intérêt des populations. Quel statut juridique pourrons-nous consacrer à nos quartiers et districts pour nous éloigner graduellement des contradictions politico politiciennes et promouvoir la cohésion sociale ?

II – Statut possible du Conseil de Quartier et de District

Que peut-on entendre par conseil de quartier et quel pourrait être son objet en Guinée ?

En effet, Le Conseil de quartiers ou de district peut être entendu comme un outil de renforcement de la démocratie ; il complète la démocratie représentative et le rôle des élus de la collectivité, au sens de la participation du plus grand nombre des habitants au processus participatif.

Il est une instance de participation qui ne saurait en aucun cas se substituer au conseil communal, issu du suffrage universel. Les Conseils de quartiers ou de districts devraient être créés par délibération du Conseil communal.

L’objet du Conseil de quartiers ou de districts doit consister à traiter principalement les questions ayant un lien territorial ou un intérêt direct avec le quartier ou le district. Les questions qui concernent la Commune dans son ensemble ou plusieurs quartiers ou districts, seront abordées en recherchant la coopération entre les Conseils concernés.

Dès lors, le Conseil de quartier ou de district doit être :

• un lieu d’information pour la collectivité sur les attentes et les propositions des habitants ; un lieu d’information des habitants sur l’action municipale.
• un lieu de consultation : il doit permettre aux élus de consulter les habitants sur les projets qui les concernent, de recueillir ainsi une connaissance approfondie des problèmes rencontrés par les habitants, de leurs usages et de leurs pratiques ainsi qu’entendre leurs avis.
• un lieu de dialogue, d’expression et de réflexion : le Conseil de quartiers ou de district est un lieu de dialogue citoyen entre habitants et élus, un lieu d’expression de la demande sociale ainsi qu’un lieu d’élaboration de réflexions partagées sur la vie du quartier, du district ou de la commune, en particulier sur le développement durable de la collectivité et son environnement.
• un lieu d’échange, de renforcement du lien social, de solidarité et d’amélioration de la cohésion sociale : le Conseil de quartiers ou de district doit participer à la vie des quartiers, favorise les rencontres entre habitants, contribue à créer du lien social, de la cohésion dans le quartier ou dans le district par le biais de projets communs, en lien avec tous les acteurs du quartier ou du district. Le Conseil doit contribuer au développement d’une véritable vie de quartier ou district.
• un lieu de formation : le Conseil de quartiers contribue au renforcement des compétences du citoyen tant au niveau des compétences techniques permettant de comprendre et agir sur l’environnement dans lequel il vit, que les compétences citoyennes permettant de participer et agir sur la décision publique.
• un lieu de concertation sur les projets communaux : les Conseils de quartiers ou districts sont des instances qui peuvent être concertées et associées dans l’élaboration des projets municipaux concernant la vie d’un quartier, d’un district ou de la ville dans son ensemble.
• un lieu d’élaboration de propositions : ils participent à la construction de la décision. Ils expriment l’expertise citoyenne, celle des pratiques des habitants. Leurs avis, suggestions et propositions pourront être examinés par les commissions municipales compétentes et présentés pour délibération au Conseil communal.

La démocratie est fondée sur le principe de la délibération, à la fois comme aboutissement du travail d’une assemblée décisionnelle et comme processus de discussion. Lors des élections communales à venir, les citoyens guinéens vont déléguer au travers de leur vote, leur pouvoir de délibération aux conseillers communaux qu’ils éliront pour les représenter pendant cinq ans. C’est le principe de démocratie représentative. Les élections locales (communales) permettent aux électeurs de choisir entre plusieurs équipes et plusieurs orientations pour leur commune et de leur donner la légitimité juridique et morale pour agir.

Elles se fixent comme objectif d’enrichir la démocratie représentative par la démocratie participative au sens de la participation du plus grand nombre de ses habitants aux processus délibératifs. Car au-delà de la volonté démocratique, l’intérêt de cette participation est triple, elle permet :
• d’améliorer les politiques publiques au travers de l’échange entre habitants – premiers « experts » de leur territoire – et les élus,
• d’améliorer la cohésion sociale en favorisant les rencontres et les solidarités entre les acteurs du territoire,
• d’améliorer l’information et la formation des habitants afin d’en faire des citoyens éclairés ayant les éléments et les outils pour se déterminer librement.

Par Docteur Oumar Baïlo Doumbouya

Téléphone : 622 61 33 36

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