Alerte pour 2020 : Quel est l’intérêt réel du changement de la Constitution ?

Libre Opinion : Comme seule la Guinée sait en produire, cette agitation autour d’une nouvelle constitution est une affaire étrange. De tous ceux qui la défendent, personne n’a vu à quoi elle ressemble. Mais, ils sont quand même déterminés à convaincre la terre entière que c’est le graal qui va permettre de résoudre tous les soucis de la Guinée. Néanmoins, personne n’est dupe ; car, tout le monde sait que le seul enjeu qui les anime est de faire sauter le verrou constitutionnel qui, à l’état actuel, va permettre aux guinéens de dire au revoir à Alpha Condé en 2020.

Faire avorter cette alternance permet à une oligarchie et ses affidés de continuer à se sucrer sur le dos de la pauvre population guinéenne. Pour y parvenir, tous les moyens sont bons : intimidations, divisions, victimisation, battage médiatiques… Tout y passe. Pourvu que l’objectif visé soit atteint peu importe les moyens.

Après avoir arrêté et traduit devant des tribunaux des citoyens opposés aux assauts contre la constitution, les propagandistes prétendent que les défenseurs de la constitution sont opposés à la liberté d’expression. Récapitulons : ils lancent des hostilités contre la constitution, des citoyens disent non, ces derniers sont persécutés, et c’est bien selon le régime, ceux qui réclament le respect de la loi qui violent celle-ci.

Mais quand on voit la brutalité avec laquelle sont traitées les voix discordantes, que ce soient les citoyens qui manifestent pour exiger la fourniture de services tels que l’électricité ou l’eau courante ou ceux exprimant une opposition au régime, on comprend encore un peu plus pourquoi ils n’aiment pas cette constitution qui garantit la liberté d’opinion, d’expression et de manifestation.

Mais à y réfléchir, en tant que citoyens, nous avons manqué d’exigence à l’égard de nos dirigeants. Cette complaisance pourrait expliquer leur condescendance à notre égard. Les postes qu’ils occupent ne leur inspirent que les avantages qu’ils peuvent en tirer. C’est pour eux un aboutissement. Les devoirs et contraintes liés à ces postes sont absents de leurs calculs. Quand une disposition légale leur est contraignante, soit elle est violée, interprétée de façon tendancieuse ou purement et simplement changée. Et on est très souvent étonné du décalage entre ce qu’ils doivent faire et ce qu’ils font.

Pourtant, une société complaisante à l’égard de ses dirigeants fabrique des Hommes politiques ; une société exigeante produit des Hommes d’Etat. Et des Hommes politiques, nous en avons à foison. Les Hommes d’Etat, on en cherche encore à la bonne place. L’absence de cette exigence qui pousse chacun à offrir le meilleur de lui-même, bride les potentialités quand elles existent. Dans cet attentisme, on se retrouve avec un leadership au rabais, une élite dirigeante qui n’apporte rien de positif à la société car elle se pense couverte de bénédictions que les autres n’ont pas. Et très souvent l’éloge de cette supposée bénédiction est faite par ceux qui auraient dû exiger des comptes.

Cette histoire autour de la constitution est peut être une opportunité de faire comprendre à ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui et par conséquent, à ceux qui y seront à l’avenir, que leurs droits sont limités, qu’ils ont des devoirs à respecter. Leur faire comprendre qu’il ne leur suffit pas juste de vouloir tordre la loi pour qu’elle épouse la forme qu’ils désirent.

Le principal slogan de ceux qui prennent d’assaut la constitution est de réclamer à ce qu’on laisse le régime finir son travail. Sans blague!!! On peut prendre l’assainissement urbain pour illustrer le travail dont ils parlent. Un autre domaine comme la sécurité aurait bien pu servir d’illustration. On est dans un pays où la plus grande décharge se trouve au milieu de la capitale. Où les ordures tuent à répétition des citoyens au sens propre du terme. Et ils osent sous-entendre une satisfaction en invoquant un travail. Des Hommes d’Etat auraient pris des mesures la première fois que cela s’est produit en 2017. Les politiciens que nous avons ont laissé l’exploit se reproduire. Des Hommes d’Etat auraient tiré la conclusion de l’échec en démissionnant quand cela s’est reproduit en 2019. Ils ont décidé de prendre des mesures : faire place nette aux ordures ! Les laisser où elles sont. Et on doit les laisser continuer à la fin du bail légal ? C’est de très mauvais goût.

Et même en supposant, après une bonne dose de complaisance et de mauvaise foi dans une réalité parallèle, que ce régime aurait fait un bon travail, il serait totalement irresponsable de laisser piétiner la constitution. Elle est ce qui définit nos institutions et en garantit l’équilibre. Il est difficile de voir en Afrique un régime qui a réalisé des infrastructures comme l’avait fait celui du Colonel Kadhafi. Il était le point fort de son système mais aussi son point faible. Ses ennemis (ou plutôt les successeurs de ceux-ci) ont eu raison de lui et de ses infrastructures. Avec des institutions fortes, une alternance au pouvoir, l’histoire aurait probablement été différente.

Pour la République de Guinée qui est née d’un référendum organisé par la France coloniale en Septembre 1958, l’idée d’un référendum est à première vue séduisante. Mais qui ose imaginer ce qu’en auraient été les résultats si notre actuelle CENI (Commission Électorale Nationale Indépendante) avait été en charge de ces votations ? En respectant la vérité des urnes qui lui était défavorable, la France nous a certes laissé là un grand défi à relever. Mais on ne va pas jouer à l’apprenti sorcier sur notre constitution en la laissant aux mains d’un organe qui s’est montré incapable d’organiser de façon apaisée la moindre votation.

Le seul héritage, et pas des moindres, que le président Alpha Condé peut laisser aux guinéens, c’est un successeur élu à la suite d’élections libres et transparentes en 2020. Ses amis devraient l’y encourager. Mais vu comme cela s’agite autour de lui, il n’a pas l’air de bien vouloir le faire. Et en tant que citoyens, nous devons maintenir la vigilance et faire comprendre que les petits calculs ne passeront pas.

De la constitution en vigueur, j’aime bien l’imprescriptibilité des crimes économiques inscrite dans le préambule. Peut-être que certains en plus de vouloir continuer à s’enrichir, ont du mal avec la possibilité qu’un jour on interroge l’origine de leur fortune grandissante. Le droit élémentaire à la vie consacré par l’article 6 est un idéal humain que chacun doit saluer. Que dire de l’article 27 (certainement celui que le pouvoir actuel déteste le plus) qui limite le mandat présidentiel dans la durée et le nombre ? Il garantit aux Hommes d’Etat chevronnés un repos mérité et nous protège des tyrans en devenir aussi longtemps qu’on ne transige pas avec le respect de la présente constitution. Il y a bien d’autres articles qui peuvent susciter de belles émotions et ils méritent tous d’être rigoureusement protégés.

Les institutions fortes font les nations fortes. Et la gardienne de ces institutions est la constitution. Elle n’a pas à être changée pour les caprices d’un homme ou l’appétit d’un groupe. Elle ne doit pas être taillée à la mesure de qui que ce soit, quelque soit ce qu’il est supposé nous apporter. S’opposer au tripatouillage constitutionnel est un devoir pour chacun de nous. Un devoir qui nous permet de prendre en main, en tant que citoyens, le destin de la Guinée. Faisons comprendre à tous ceux qui en doutent encore, que ça ne marchera pas. “Amoulanfe”.

Chérif SOW

Facebook Comments Box