Assemblée nationale : pourquoi un vote négatif de la LF 2015 ? Explications de Dr. Fodé Oussou Fofana

Fodé Oussou Fofana, vice-président de l'UFDG et président du groupe parlementaire des Libéraux-démocrates à l'Assemblée nationaleComme nous l’annoncions dans une de nos dépêches précédentes, le projet gouvernemental de la loi initiale des finances 2015 vient d’être adopté à l’Assemblée nationale ; ainsi que le projet portant statut particulier du chef de file de l’opposition. 

Mais, si la loi sur le statut du patron de l’opposition a bénéficié d’un OUI unanime de l’ensemble des députés, la loi des finances initiale, elle, a été adopté grâce à la simple volonté de la majorité : les républicains se sont abstenus et la libéraux/démocrates ont dit non.

Pourquoi refuser de voter POUR cette loi initiale des finances ? Guineematin.com vous propose, ci-dessous les explications intégrales du président dudit groupe, Docteur Fodé Oussou Fofana :

 

                                                               Assemblée Nationale                                                  République de Guinée
                                                                 3ème Législature                                                     Travail –Justice –Solidarité

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Groupe Parlementaire

Des Libéraux/Démocrates 

                                                             EXPLICATION DE VOTE SUR LE PROJET DE LOI DE FINANCES INITIALE 2015

Excellence Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,

Honorables Députés,

Mesdames et Messieurs les Membres du Gouvernement,

Excellences Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Monsieur le Représentant du Chef de l’Etat,

Mesdames et Messieurs du personnel de l’administration

Parlementaire,

Distingués Invités, tout protocole confondu,

Mesdames et Messieurs

Au terme de la Session budgétaire consacrée à l’examen du projet de loi de finances initiale 2015, je voudrais tout d’abord féliciter et encourager le personnel de l’administration parlementaire, qui nous a accompagné durant nos travaux en faisant montre d’assiduité, de disponibilité et de discipline.

Notre Assemblée Nationale peut se féliciter, à juste titre, de la mobilisation dans l’unité de l’ensemble des députés dans la campagne de sensibilisation des populations  dans lutte  contre  l’épidémie de la fièvre hémorragique à virus EBOLA.

Monsieur le Président,

Honorables Députés,

L’examen du projet de loi de finances initiale 2015 par notre Assemblée  a montré une des grandes limites du gouvernement, je veux parler de la planification et de la gestion des finances publiques.

En effet, le Budget est un déterminant fondamental de la gouvernance dans la mesure  où :

  • il est l’instrument principal de la mise en œuvre des politiques publiques susceptibles de concourir au développement économique, social et culturel du Pays ;
  • Il reflète et révèle l’orientation que le Gouvernement veut donner au développement de la Nation

Le projet de budget pour l’exercice 2015 ne tient aucunement compte des priorités affichées par le Gouvernement dans le cadre des OMD (Objectifs du Millénaire pour le Développement), du Plan Quinquennal 2011-2015 et de la Stratégie de Réduction de la Pauvreté 2013-2015.

En effet, il n’existe pas de liens entre les plans d’actions prioritaires du D S R P et les politiques sectorielles présentées par les membres du gouvernement. Pire, le niveau de prise en charge budgétaire de ces plans dans le cadre de la programmation des crédits de fonctionnement et d’investissement des Départements Ministériels dits prioritaires (éducation, santé, développement rural, justice, sécurité, etc.) reste très faible.

Aussi, la persistance des conflits d’attributions entre les différents Départements Ministériels et différents services centraux limite la réalisation efficiente des politiques sectorielles.

Les objectifs macroéconomiques pour l’année 2015 sont trop optimistes voir irréalistes. Aussi, il y a une incohérence entre le taux de croissance du PIB de 4,1 % et une hausse de 2% des recettes fiscales. Le taux  de croissance de 4,1 %  projeté  ne pourrait être atteint en raison des facteurs ci–après : (i) l’impact de la fièvre hémorragique à virus EBOLA sur les activités économiques, (ii) la chute drastique des cours mondiaux du fer à 65 Dollars la tonne, le plus bas niveau depuis 5 ans. Il est évident  que cette tendance baissière aura un impact négatif sur le secteur minier guinéen dont la plupart des projets  sont  arrêtés ; et (iii) l’année 2015 étant une année électorale, il faut s’attendre à un attentisme comme d’habitude des opérateurs économiques toutes catégories confondues. Il n’est pas absurde de dire que le taux de croissance du PIB en 2015 sera des plus faibles sinon négatif. La prise en compte de l’interdépendance des comptes macroéconomiques, nous amène à dire que les autres objectifs de 2015 en seront affectés.

Le taux d’inflation projeté ne reflète pas la réalité économique guinéenne car le champ de couverture est limité à la seule zone spéciale de Conakry. Il est évident que la baisse de l’inflation n’est pas le fruit des efforts macroéconomiques. C’est plutôt la conséquence du ralentissement des activités économiques qui s’est traduit par une baisse de la demande des ménages et des entreprises. Il serait important  que le champ de couverture pour détermination du taux d’inflation soit l’ensemble du Pays, comme c’est le cas dans tous les autres pays de la sous-région.

En tout état de cause, nous devons savoir Chers Collègues, que selon les estimations de la Banque mondiale, le taux de croissance de l’année 2014 se situerait autour de 0,5% (au lieu de 2,5% annoncé par le gouvernement), et qu’elle pourrait être négative en 2015.

Monsieur le Président,

Honorables Députés,

Mesdames et Messieurs,

Au cours des explications de vote sur les recettes  et les dépenses, mon groupe parlementaire avait déjà fait état de toutes les insuffisances et iniquités criardes qui transparaissent dans le projet de loi de finances 2015.

Au titre des recettes, nous avions relevé entre autres, la sous estimation des prévisions de recettes avec la CBK, les maigres revenus du secteur de la pêche au regard du potentiel halieutique de notre pays, les maigres ressources générées par la téléphonie mobile, la mauvaise gestion des recettes consulaires et la non inscription dans le budget de l’Etat des recettes issues des ventes des domaines publics le long du littoral de Conakry à Dubréka.

Vous conviendrez avec moi que la gestion de nos finances publiques souffre fondamentalement de manque de rigueur et de transparence, sinon comment expliquer, Monsieur le Président, que la société Forécariah Mining company ait extrait et exporté 1.300.000 tonnes de minerais de fer sans aucun paiement de droits et taxes au trésor public,  ou qu’on ait retrouvé aucune trace des paiements déclarés par la société Guiter Mining repreneur de l’ex Aredor ?

C’est inacceptable ! Cela interpelle la Représentation Nationale, toutes tendances politiques confondues.

S’agissant des dépenses, il est important de jeter un coup d’œil sur l’exécution du budget d’investissement avant de se pencher sur l’allocation des ressources budgétaires par secteur et par région.

L’exécution du budget manque de transparence dans la mesure où les mécanismes destinés à assurer le contrôle et le suivi de l’utilisation des fonds publics sont déficients. En effet, dans le domaine des travaux publics, à titre d’exemple, il faut citer le contrat de réhabilitation de la voirie urbaine de Conakry pour une longueur de 27 Km qui a été  attribué sur la base d’un marché de   gré à gré à l’entreprise Brésilienne OAS pour un montant de 279,51 milliards de GNF, soit un coût du KM estimé à10,9 milliards de GNF, alors que le coût du KM de la route Koundara à la frontière Sénégalaise est de 4 milliards de GNF. On pourrait citer d’autres projets routiers qui illustrent la mauvaise gestion des ressources publiques.

Est- il besoin de rappeler que les travaux de réhabilitation de la route Kankan –Kissidougou ont été confiés à une entreprise Burkinabé sur la base d’un marché de gré à gré  pour un montant de 305 millions d’euros, soit un coût du KM de

1.500.000 euros, environ 15 milliards de GNF. Aussi, c’est sur la base d’un marché de gré à gré qu’un cabinet de contrôle lui aussi Burkinabé a été recruté pour la surveillance des travaux.

Dans le domaine de l’électricité, il faut noter que la gestion du secteur est marquée par une faiblesse dans la planification, la mauvaise gestion des ressources financières et humaines. Un exemple parmi tant d’autres porte sur le projet d’adjonction thermique de 100 MW de Conakry avec une autre entreprise brésilienne pour un montant de 126,405 millions de dollars US avec un coût additionnel  26 millions de dollars US. Initié depuis le 5 septembre 2011 le projet n’a jamais vu le jour. Cela montre à suffisance la mauvaise gestion qui règne sous la 3ème République.

De tout ce qui précède, nous pensons qu’il est du devoir de l’autorité de régulation des marchés publics d’entreprendre, dans les plus brefs délais,  des audits de tous les grands contrats de marchés publics. En tout état de cause, l’Assemblée devrait initier des commissions enquêtes parlementaires pour faire la lumière sur tous ces contrats conclus dans des conditions non transparentes et dont les coûts sont exorbitants, dénotant ainsi une mauvaise qualité de la dépense publique.

Monsieur le Président,

Honorables Députés,

Mesdames et Messieurs,

L’analyse du  projet de budget 2015 fait ressortir des allocations des ressources avec des hausses significatives  pour certains Départements Ministériels  et Institutions et des baisses drastiques pour d’autres. A titre d’illustration, le budget de la Présidence enregistre une hausse de 43% par rapport à 2014, alors que celui de la Sécurité est en baisse de 12% .Les crédits budgétaires de la Sécurité et de la Justice sont  respectivement de 2% et de 0,75%. Voilà, la traduction chiffrée de la politique du gouvernement qui signifie moins de sécurité moins de justice. En outre, le budget de la Présidence représente 4 fois ceux de la justice et de l’enseignement technique réunis.

En outre, les parts dans le Budget de l’Etat de certains secteurs prioritaires restent  très faibles.  C’est ainsi que :

  • la santé a 3,96% du Budget tandis que l’OMS et la CEDAO recommandent de 15% ;
  • le développement rural a 4,15% du Budget au lieu des 10% retenus par les accords de Maputo dans l’optique de l’atteinte des OMD ;
  • l’Education a 12,99% (à peine 13%) du Budget au lieu des 30% recommandés par les standards régionaux et internationaux ;

A l’inverse, la Défense a encore 10,45% du Budget qui correspondent à 3,16% du PIB en dépit de ce que les standards régionaux et internationaux  prévoient que les dépenses militaires devraient se situer entre 1,5 et 2% du PIB ;

Un autre fait à relever, c’est la faiblesse des crédits budgétaires alloués aux gouvernorats qui ont chacun un montant de l’ordre 600 millions GNF tandis que les Préfectures souffrent également d’une insuffisance de ressources pour leur fonctionnement.

A notre avis, la restauration de l’autorité l’Etat tant prônée par le Gouvernement  passe, en tout premier lieu, par la création de  conditions de travail à travers des allocations adéquates de ressources aux autorités administratives territoriales.

La répartition régionale du budget national de développement dans le secteur des travaux publics traduit une inégalité de traitement des régions. En effet, la région administrative de Kankan seule reçoit plus de la moitié (61%) du BND, Conakry a 20% et les autres régions  les 19 % restants.

Il est difficile de comprendre qu’au cours d’un même exercice budgétaire qu’il soit programmé la réalisation, dans la Région de la Haute Guinée le bitumage de deux grands axes routiers et des voiries de huit villes, alors que des interruptions de circulations récurrentes sont enregistrées sur des axes routiers économiquement très importants comme Dabola-Kouroussa, Kankan-Kérouané, Kissidougou-Guéckédou, la Route du Café, et Kindia-Télimélé, Labé-Mali-Frontière de Sénégal, Labé-Tougué etc…

Enfin, il est important, de noter l’absence de lisibilité de l’intervention de certains bailleurs de fonds dans le cadre budgétaire. Ainsi, la non prise en compte dans le budget d’investissement du financement par le Japon  des travaux de construction du pont de KaKa dans la préfecture de Coyah en est une illustration.

Monsieur le Président,

Honorables Députés,

Le déficit budgétaire du projet de la loi de finances 2015 se chiffre à 4000 milliards de GNF. Son mode de financement tel que décrit ne prend pas en compte d’autres financements annoncés qui ont fait l’objet d’accords dont les autorisations de ratification ont été pourtant votées par notre Assemblée (BID, Fonds Saoudien,  BADEA, etc.).

Par ailleurs, la participation au financement des élections par les partenaires traditionnels tels que l’Union Européenne et d’autres bailleurs de fonds bi et multilatéraux ne figurent pas dans le projet de budget 2015. Or, le budget des élections locales et présidentielles présenté par la CENI indique un besoin de financement de 455,62 milliards de GNF dont 214,37 milliards au titre de la révision des listes électorales. Il est évident que la prise en compte du financement de nos partenaires dans le processus électoral permettrait de libérer des ressources qui pourraient alors être allouées à d’autres secteurs prioritaires.

Monsieur le Président,

Honorables Députés,

Chers invités,

Notre pays fait partie des Etats retenus comme étant fragiles. Les vecteurs de fragilité et de risque qui constituent des obstacles au développement économique et social sont essentiellement dûs la non fonctionnalité des institutions (Cour des Comptes, Cour Constitutionnelle, Haute Cour de Justice, Institution Nationale Indépendante des Droits Humains) et la malgouvernance. La malgouvernance est caractérisée par l’absence de dialogue politique, la mauvaise gestion des tensions sociales, la mauvaise gestion des ressources publiques, l’affectation déséquilibrée des ressources aux régions. Une bonne gouvernance suppose la gestion transparence de ressources publiques et la reddition des comptes.

Monsieur le Président,

 Honorables Députés,

 Chers invités

Pour terminer, je veux dire que notre Assemblée Nationale qui est le pouvoir législatif de la République et qui par conséquent contrôle l’action gouvernementale, doit donner l’exemple en matière de bonne gestion des ressources publiques.

C’est pour cela, que mon Groupe Parlementaire ne cessera jamais, d’insister sur l’impérieuse nécessité de conférer  plus de régularité et plus de transparence dans la gestion de notre Budget. Les Députés que nous sommes, ont le droit de savoir tout sur les ressources allouées à notre Institution et d’exiger de ceux d’entre nous qui les gèrent une reddition des comptes régulière et sincère.

Monsieur le Président,

Honorables Députés,

Chers Invités,

Par anticipation, au nom de mon Groupe Parlementaire, je vous souhaite à tous, ainsi qu’à vos familles respectives, une Bonne et Heureuse Année de 2015.

Que l’Année 2015 soit une année de Paix et de Bonne de Gouvernance pour le Peuple de Guinée.

Enfin, pour les raisons suffisamment développées tout à l’heure, je demande aux Libéraux/Démocrates de l’Assemblée Nationale d’émettre un vote négatif au projet de Loi de finances initiale 2015 présenté par le Gouvernement.

Je vous remercie !

Dr. Fodé Oussou Fofana, président du groupe parlementaires des Libéraux-Démocrates

 

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