Augmentation du prix du carburant ? Cellou Dalein écrase les arguments du gouvernement

Cellou Dalein Diallo, président de l'UFDG

C’est une sortie fracassante qui met en lambeaux les arguments jusque-là avancés par le gouvernement guinéen pour justifier son ambitieux projet d’augmentation du prix du litre de carburant à la pompe. A l’occasion de l’assemblée générale virtuelle de son parti (Union des forces démocratiques de Guinée) hier, samedi 29 mai 2021, Cellou Dalein Diallo s’est exprimé sur les velléités du pouvoir Alpha Condé de revoir à la hausse le prix des produits pétrolier. L’économiste-opposant et ancien Premier ministre, à travers un cours magistrale sur la « structure des prix des produits pétroliers » actuellement appliquée en Guinée, a déclaré « inopportune » cette augmentation. L’ancien chef de file de l’opposition guinéenne a également démenti les propos selon lesquels le gouvernement subventionne le carburant. Il a aussi demandé aux autorités de surseoir à cette augmentation en cette période où la majorité des guinéens sont confrontés à la faim et à la malnutrition à cause la crise sanitaire qui a fortement effrité leurs économies.

Tout d’abord, Cellou Dalein Diallo s’est évertué à amener le gouvernement et ses arguments au pile au riz, en brandissant « la structure des prix des produits pétroliers » actuellement appliquée en Guinée.

« Comme vous le savez, cette augmentation est annoncée par le gouvernement qui essaie de défendre cette décision qui n’est pas du tout opportune. J’ai entendu dire que l’Etat subventionne à hauteur de 140 milliards de francs guinéens le carburant dans ce pays. J’ai sous les yeux les chiffres actuels de la structure des prix. Je rappelle que j’ai eu l’opportunité de contribuer à mettre en place ce qu’on a appelé à l’époque la structure des prix des produits pétroliers », a-t-il introduit.

Poursuivant son speech, le leader de l’UFDG a laissé entendre le prix de revient du litre de carburant qui se paye actuellement à 9000 francs guinéens à la pompe est de 6634 francs guinéens. Et, il est employé à étayer la manière dont ce montant (6634 francs guinéens) est partie entre l’Etat et les acteurs qui sont impliqués dans la chaine du carburant.

« Le fournisseur étranger qui facture en dollars, l’équivalent guinéen de sa facture c’est 5128 francs par litre. Ensuite vous avez les frais de passage à la SGP (société guinéenne pétrole), chaque litre paye 100 francs guinéens. La péréquation transport, lorsqu’on a négocié la privatisation de l’ONA du secteur pétrolier, on avait décidé et suggéré au gouvernement qui l’avait accepté, que le citoyen de Yomou ou de Lola paye au même prix à la pompe que le citoyen de Coyah ou de Kaloum. Donc, il y a une péréquation transport qui est mise en place pour payer le transport sur l’ensemble du pays. Et pour chaque litre, on prélève 550 francs guinéens. Il y a les importateurs, les grandes compagnies (Total, Shell…), ils ont une rémunération de leur implication dans le processus. Sur chaque litre, on leur paye 555 francs guinéens. Les distributeurs, c’est-à-dire les propriétaires de stations, reçoivent 300 francs guinéens par litre. C’est ce qui fait un total de 6634 francs guinéens. Le total des prélèvements de l’Etat et de ses démembrements c’est 2366 francs guinéens qui se décomposent comme suit : vous avez les droits et taxes divers qui font 2330 francs. C’est-à-dire 1643 plus 687 de droit de douane. Maintenant, à cela vous ajoutez deux montants faibles, mais prélevés par l’Etat. Vous avez l’ONAP (office national de pétrole) que l’Etat a mis en place et dont le fonctionnement est assuré par vous et moi à chaque fois qu’on achète un litre d’essence. Donc, nous payons à ce titre 20 francs par litre. Et, vous avez un projet de délocalisation du dépôt ailleurs. Sur chaque litre, chacun de nous paye 17 francs guinéens. Alors, l’ensemble des prélèvements opérés par l’Etat représentent 2366 francs guinéens », a expliqué Cellou Dalein Diallo.

Selon l’opposant au régime Alpha Condé, le problème actuellement du gouvernement réside dans le fait qu’il avait budgétisé beaucoup plus de prélèvements. Et, comme entre-temps la monnaie s’est dépréciée et le prix du carburant est monté sur le marché international, le prix qui devait revenir ici à moins de 4000 francs est à 5128. Egalement, le facteur d’ajustement qui est la taxe s’est réduit. Cependant, le leader de l’UFDG estime que cela ne doit pas conduire actuellement à une augmentation du prix du carburant.

« A cette chaque fois que vous achetez un litre de carburant, sachez que vous payez pour l’Etat, au titre des différents impôts et taxes, 2366 francs guinéens soit 26% du prix à la pompe. Vous pouvez comprendre que l’Etat n’a pas perçu ou budgétisé tout ce qu’il souhaite, mais l’Etat ne subventionne pas le carburant. L’Etat ne prélève pas autant qu’il avait prévu, mais il prélève quand-même. Donc, lorsqu’ils assurent qu’ils subventionnent le carburant, on se demande vraiment avec quelle sorcellerie. Parce que le prix de revient à la pompe, après avoir payé toutes les charges, c’est 6634 francs guinéens. Pour le moment ce n’est pas l’Etat qui nous aide à supporter. Il faut que ça soit clair… Ce n’est pas opportun actuellement d’augmenter le prix du carburant. Pourquoi ? D’abord, nous sommes en crise économique et sanitaire. Les conditions de vie sont difficiles, l’inflation est forte, on a 12 ou 13% d’inflation. Les prix sont montés. Il faut être juste. Il y a eu quelque part l’augmentation du frète maritime suite aux conséquences de la pandémie. Mais, il y a eu la mauvaise politique monétaire et budgétaire de l’Etat. Pourquoi ? L’Etat a organisé trois scrutins en 2020. Alpha Condé a dit : je ne veux pas du financement de l’Union européenne, de l’OIF, des Nations Unies ; parce que je ne veux pas que quelqu’un fourre son nez dans mes élections. Il y avait des fonds disponibles et on a organisé ces trois coups d’Etat constitutionnel et électoral en achetant les consciences et en commandant du matériel. Donc, l’Etat n’ayant pas suffisamment de ressources, la planche à billets a été utilisée. En 2020, la masse monétaire a augmenté de 23%. Parce que l’Etat n’ayant pas d’argent demande à la banque centrale de financer, on a utilisé la planche à billets. Et naturellement, la conséquence immédiate a été que les prix ont augmenté. Donc, c’est pour combler les défis créés par le détournement, la corruption et le financement du double scrutin (législatif et référendaire) et la présidentielle de 2020 qui ont creusé le déficit qu’on demande maintenant aux pauvres citoyens de payer », a indiqué Cellou Dalein Diallo.

Pour l’ancien Premier ministre, les arguments du gouvernement pour justifier l’augmentation du prix du carburant ne tient pas de bout. Et, une hausse du prix du carburant va sérieusement effriter les conditions de vie des guinéens.

« Bientôt la période de soudure ; et vous savez, pendant cette période de soudure les greniers sont vides. Les récoltes sont attendues pour octobre-novembre. Les paysans compensent ce déficit par l’importation de céréale, notamment le riz. Mais, vous connaissez l’état de nos infrastructures. Le prix du transport est déjà trop élevé en raison des charges d’entretien des véhicules qui résulte du mauvais état de la route… Le Fonds d’entretien routier, tout l’argent qui est rentré là-dans est sorti pour le double scrutin et l’élection présidentielle du 18 octobre. Alors, moi je dis, en augmentant le prix du carburant, même si les denrées de premières nécessités sont disponibles, elles ne seront pas accessibles à l’écrasante majorité des guinéens dont les revenus se sont fortement rétrécit ces derniers temps en raison de la pandémie et de l’inflation. Donc, c’est vraiment inopportun. Et, les arguments que développe le gouvernement ne sont pas pertinents. Parce que chacun de nous paye et il prélève, peut-être pas suffisamment, mais il prélève. Et, il ne prélève pas pour financer la consommation… Ils disent aussi que si nos prix sont bas et qu’à côté les prix ne sont pas aussi bas, il y aura un risque de réexportation. Sur le plan économique c’est neutre. Je suis contre la fraude (…), mais la réexportation n’a pas d’effet. Le carburant qu’on importe ici, on paye déjà l’impôt. C’est que le léonais qui importe son carburant de Guinée, le carburant là a déjà paye d’impôt. Et, pour l’acheter, il est obligé d’utiliser la Léone qui vient directement au marché de change, ou bien il finance des importations à partir de la Sierra Léone pour ici. Donc, du point de vue des réserves de change et de la balance de payement, il n’y a pas d’effet. Et, sur le plan des finances publiques c’est un avantage. Parce que vous vous prélevez d’impôt pour ravitailler la région ; et la région consomme des produits qui ont payé les taxes ici et non prélevé par le fisc de leur pays. Donc, c’est par ignorance que certains soutiennent que c’est dangereux », a martelé Cellou Dalein Diallo.

Le leader de l’UFDG estime aussi que l’Etat devrait se servir de la « plus-value » qu’il a engrangé lorsque le prix des produits pétroliers était bas pour compenser les « moins-values » qu’il enregistre actuellement.

« Ce n’est pas honnête. Parce que lorsque le prix du pétrole a dégringolé, il (l’Etat) a eu beaucoup de plus-values. Alors, ces plus-values devraient financer les moins-values de maintenant, étant donné que nous sommes dans un contexte de difficulté particulière. Mais, il semble que le gouvernement d’Alpha Condé veut malgré tout augmenter le prix et compliquer davantage la vie à ses compatriotes… J’ai pitié des guinéens, de mes compatriotes. Je sais comment on vit dans les villages à l’heure actuelle. Mais, on ne pense pas aux guinéens, c’est ça le problème. Le manque d’humanisme de nos dirigeants, c’est ça qu’on déplore et c’est pourquoi nous devons continuer à combattre pour que la Guinée soit dirigée humainement. Les gens sont confrontés à la faim et la malnutrition, on va augmenter le prix des denrées et il sera impossible de nourrir son enfant. Lorsque tu regardes ton enfant qui a faim, tu n’as pas les moyens de le nourrir, tu as honte de ton enfant, tu as honte de toi-même », a indiqué Cellou Dalein Diallo. 

Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

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