Baisse de la croissance, Droits de l’Homme, corruption : Dansa Kourouma fait le bilan de 2019

Dr Dansa Kourouma, président du Conseil National des Organisations de la Société Civile Guinéenne
Dr. Dansa Kourouma, président du CNOSC

La Guinée a connu de nombreux soubresauts sociopolitiques en 2019. Au moment où l’heure est au bilan, un reporter de Guineematin.com a donné la parole à Dr Dansa Kourouma, président du Conseil National des Organisations de la Société Civile Guinéenne (CNOSCG). Même s’il garde toujours espoir quant à l’avenir de notre pays, Dr Dansa Kourouma dit avoir noté plusieurs manquements surtout dans le cadre du respect des Droits de l’Homme avec les nombreuses tueries lors des manifestations sociopolitiques à Conakry.

Décryptage !

Guineematin.com: en tant que président du CNOSC qu’est-ce qui vous a marqué de plus durant cette année 2019 dans notre pays ?

Dr Dansa Kourouma : la chose la plus importante à signaler est que l’année 2019 a été une année de contradictions sociales et politiques, une année qui a dépeint l’ambiance globale de développement de la Guinée. Au même moment que la situation sociale et politique se dégradait, on a enregistré des violations des droits de l’homme, notamment les tueries lors des manifestations. Au jour d’aujourd’hui, malgré la promesse du gouvernement, nous ne savons pas encore quelles sont les causes de ces tueries, les auteurs et les commanditaires. Alors, cette situation d’impunité m’a beaucoup marqué et m’a beaucoup affecté à la fois sur le plan humain, mais aussi sur le plan intellectuel parce que je vois une situation dégradante dans le pays et je n’ai pas le pouvoir de changer les choses, je n’ai pas le pouvoir de rendre justice à ces victimes et je n’ai pas le pouvoir d’amener les acteurs politiques à sortir des considérations bellicistes pour s’asseoir autour d’une table comme des grands et vaillants hommes pour trouver des solutions aux problèmes de la Guinée.

La deuxième chose qui me semble être importante est que la mésentente sociale et politique a entraîné une stagnation économique parce que les indicateurs de développement économique de la Guinée se sont dépréciés en 2019. Le taux de croissance a baissé, la Guinée s’est encore requalifiée au niveau du taux de corruption qui a augmenté. Les acteurs politiques de tout bord confondu continuent encore à rendre le vivre ensemble presque impossible en Guinée à cause du manque de perspectives politiques fiables. Chaque entité politique surfe sur l’élan ethnique, sur l’élan communautariste avec des discours trompeurs qui ne permettent à la population guinéenne d’avoir un discernement pour s’engager dans une perspective d’analyse critique mais aussi de positionnement éclairé sur le présent et l’avenir de notre pays.

Guineematin.com : est-ce que tout a été négatif en 2019 en Guinée ?

Dr Dansa Kourouma : du côté positif, il faut reconnaître que nous avons assisté à une sorte d’accalmie globale en termes de grève ou de remous sociaux. L’impact de ces remous en termes de l’éducation, de la santé et sur l’administration a laissé des séquelles. Pour les remonter, il va falloir que les autorités du moment puissent mettre en application de manière courageuse les différentes réformes politiques, économiques et sociales pour que la gouvernance, qui est l’élément clé de l’évolution d’un pays, soit la priorité de toutes et de tous. L’espoir est encore permis parce que notre pays n’a pas encore balancé dans une situation de crise incurable. Nous sommes dans un pays qui est encore exempt des djihadistes. Au moment où les autres pays se battent pour leur sécurité interne, en dehors des maux que je viens de déclarer, la Guinée reste un pays qui, sur la plan sécuritaire, est plus ou moins acceptable, malgré les menaces qui planent sur le pays. Le PNDES (Plan National de Développement Economique et Social) est aussi un élément phare que je vais saluer parce que c’est une orientation à la fois politique, économique et sociale de notre pays vers la trajectoire de l’atteinte de la vision 2040 et qui va permettre à la Guinée d’être un pays émergent. Donc, je crois au PNDES ; mais, je crois que c’est encore un document beaucoup plus théorisé et politisé. Il faut qu’on soit capable, avec pragmatisme et responsabilité, de dérouler le PNDES sur le plan d’indicateurs clés et simples à apprécier en termes d’amélioration des conditions sociales, économiques de la population.

Guineematin.com : en ce qui concerne vos activités au niveau du CNOSCG, quel bilan peut-on tirer au titre de cette année 2019 ?

Dr Dansa Kourouma : il faut reconnaître que le CNOSCG en 2019 s’est porté mieux que les années précédentes. Malgré la situation politique dans laquelle le pays se trouve autour de la réforme constitutionnelle ou pas, autour de la défense des valeurs de la République et autour d’une sorte de création de plusieurs lignes de front pour exprimer les points de vue à la fois citoyens et politiques, le CNOSCG, sur le plan de l’atteinte de ses objectifs, a eu des performances beaucoup plus importantes. D’abord, on a compris que quand une organisation se conforme aux lignes d’impartialité, d’indépendance, mais aussi de défense des intérêts des citoyens, elle peut valablement s’approcher de ses objectifs en matière de promotion de développement social et économique. Nous avons fait notre bilan annuel à Dabola. J’ai le plaisir de vous annoncer que pendant mon mandat passé, nous avons mobilisé 17 milliards de francs guinéens en termes de mobilisations des ressources issus des activités que nous menons sur le territoire national. En termes des activités, c’est l’identification du CNOSCG en tant qu’institution championne dans la lutte contre la malnutrition et la promotion d’une sécurité alimentaire pour permettre à la Guinée d’atteindre les Objectifs du Développement Durable. Au-delà de cela, notre implication dans la promotion d’une bonne gouvernance dans le secteur de la santé pour permettre aux citoyens d’être associés à la gestion de leurs propres problèmes de santé dont ils financent à environs 60% ; mais, ils n’ont pas leurs mots à dire. Ils ne peuvent pas contrôler et ne peuvent pas évaluer les soins de santé qu’on leur procure. Dans le cadre du projet de mobilisation de la société civile pour la gouvernance de la santé, c’est un projet phare de 2019. Sur le plan des droits de l’homme, il faut reconnaître qu’un membre du CNOSCG a eu le prix de « Palm national » sur les droits de l’homme en Guinée. Et, en matière de renforcement des capacités de l’institution, il faut reconnaître que nous avons réalisé, seulement en 2019, une dizaine de formations au niveau régional et plus d’une cinquantaine sur le plan des territoires hors Conakry. Les réformes du CNOSCG de 2019 nous ont permis d’aligner le fonctionnement du bureau national et des démembrements sur les objectifs de développement socio-économique fixés par le PNDES et dans le cadre de la vision 2040. Si on doit contrôler l’action du gouvernement, il faut qu’on soit capable d’avoir les ressources humaines, l’expertise technique pour pouvoir évaluer ce qui se fait et avoir le courage de sortir un rapport qui puisse refléter la réalité. La société civile, c’est la défense des aspirations des populations, c’est le contrôle de l’action gouvernementale, c’est l’interface entre les citoyens et les pouvoirs publics. Toute autre action qui s’inscrit en dehors de cette ligne est tout simplement de la récupération politicienne.

Guineematin.com : maintenant, est-ce qu’on peut se faire une idée sur vos attentes en 2020 ?

Dr Dansa Kourouma : l’attente la plus importante pour moi, c’est la justice. On est entrain de se battre pour la démocratie, pour les élections, pour les droits de l’homme, pour le développement économique de la Guinée ; mais, sans une justice qui constitue le talon d’Achille de l’Etat, qui constitue le référentiel même de la société, nous n’allons pas réaliser des performances sur le plan politique et sur le plan économique. Et pourtant, la performance politique est inéluctablement liée à la performance économique. Donc la justice, c’est la demande fondamentale du CNOSCG et nous allons veiller à ce que la justice guinéenne se bouge. Vous avez vu ces derniers temps, la justice commence à avoir le courage de tenir certains langages, du fait que l’UFDG a remporté son procès en recours pour excès de pouvoir au niveau de la Cour Suprême. C’est une avancée de la justice guinéenne. Du fait que les membres du FNDC ont été libérés grâce à la décision de la Cour d’appel, c’est une victoire à arroser. Si vous m’avez remarqué, j’ai toujours dit à la classe politique qu’on ne peut pas prétendre construire la paix en méprisant la justice. Il faut que chacun de nous souffre et se batte pour que la justice puisse faire son travail. Si non, il n’y a pas d’Etat, il n’y a pas de démocratie. Notre souhait le plus important aussi c’est de voir les élections s’organiser. Mais, les élections doivent s’organiser dans un consensus national qui doit être renforcé par la loi. Donc, tous les acteurs politiques doivent accepter de faire avancer notre processus électoral. Je demande aussi à la CENI de sortir de son isolement et de son arrogance pour dérouler un processus électoral résilient. Il n’y a pas de commissaires de la mouvance et de commissaires de l’opposition. C’est une haute trahison de leur serment. Ils doivent tous être des commissaires qui se battent à l’interne et à l’externe pour que la CENI soit conforme au Code électoral et aux bonnes pratiques en matière électorale et de gestion financière.

Mon vœux de 2019 est que tous les guinéens, dans une unité d’action, malgré nos contradictions internes, qu’on accepte de renouveler l’Assemblée nationale et qu’on accepte en 2020 qu’on organise les élections présidentielles conformément aux normes de bonne gouvernance et aux bonnes pratiques en matière de démocratie pour que l’alternance soit possible dans la paix et dans la quiétude à travers des élections intègres.

A la population guinéenne, aucun guinéen ne doit mourir pour avoir exprimé son opinion politique. Aucun guinéen ne doit mourir pour avoir manifesté pacifiquement. Sur ce plan, la justice doit faire son travail mais également, l’Etat doit comprendre que si la justice n’est pas rendue aujourd’hui, elle sera rendue tôt ou tard. Aux hommes politiques, l’apologie de la violence est un déni de démocratie. Il faut exprimer sa désapprobation de manière pacifique. Les cailloux, les barricades, les tirs, les utilisations d’armes blanches dans les manifestations, le refus d’accepter le refus des nos autorités locales quand il y a demande de manifestation et du respect des itinéraires quand il y a manifestation, doivent cesser. C’est pour éviter que notre pays enregistre des nouvelles victimes en 2020. Je souhaite surtout que la presse guinéenne, sans formalisme, joue son rôle dans la sérénité, dans la responsabilité et dans le professionnalisme. Il n’y a pas de démocratie sans une presse libre, indépendante et professionnelle et il n’y a pas une paix durable sans une presse responsable.

Pour finir, je souhaite à tous les guinéens mes meilleurs vœux. Nous n’allons pas baisser les bras malgré la situation difficile et nous allons continuer à nous battre dans le respect de la loi, de l’opinion des autres et dans le respect de l’unité nationale.

Entretien réalisé par Alpha Assia Baldé pour Guineematin.com

Tél : 622 68 00 41

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