Boubacar Yacine Diallo à Guineematin : « les journalistes doivent être jaloux de leur liberté »

Boubacar Yacine DialloA l’occasion de la journée internationale de la liberté de la presse, un reporter de Guineematin.com a rencontré hier, mardi 3 mai 2016, un journaliste très expérimenté. Ancien directeur général de la RTG, ancien président de l’AGEPI, ancien président du CNC, ancien ministre de la Communication, ancien conseiller à la présidence de la République…, monsieur Boubacar Yacine Diallo est le fondateur du journal « L’Enquêteur » et la radio Horizon Fm. A l’occasion de l’entretien qu’il a nous a accordé, nous avons parlé de la liberté de la presse, de la convention collective, mais aussi de l’avenir des médias en République de Guinée.

En attendant la version vidéo, Guineematin.com vous propose ci-dessous le décryptage de l’intégralité de cet entretien.

Guineematin.cm : Quelle lecture faites-vous de la liberté de la presse en Guinée ?

Boubacar Yacine Diallo : Je voudrais commencer par rendre hommage à tous ces journalistes qui, dans l’exercice de leur métier, ont parfois perdu leur vie, parfois perdu leur liberté et parfois perdu le matériel de travail qu’ils disposaient. Je m’incline pieusement devant la mémoire de nos confrères disparus.

Pour parler de la liberté de la presse en Guinée, il faut tout d’abord se réjouir qu’au jour d’aujourd’hui, aucun journaliste n’est détenu pour des délits commis par voie de presse et aucun citoyen n’est détenu à cause de ses opinions livrées dans la presse. Maintenant, l’état de la liberté s’est dégradé si on en juge par le classement fait par Reporters Sans Frontières. Vous vous souvenez que la Guinée occupait la 102ème place l’année dernière et même l’année d’avant et cette année nous occupons la 108ème place. Ce qui signifie que nous avons perdu six points. Et, d’après mes informations, l’assassinat des journalistes à Womey lorsqu’ils s’y sont rendus pour faire un reportage sur la maladie d’Ebola a beaucoup joué sur les notes de la Guinée. Ensuite, cette volonté des pouvoirs publics à vouloir accroître la surveillance des médias a beaucoup joué en défaveur de la Guinée. Pour le reste, on peut considérer que les journalistes sont entièrement libres dans l’exercice de leur métier, même s’il y a beaucoup de menaces qui sont relayées, que les journalistes signalent aux associations. Naturellement, il faut regretter le meurtre commis sur la personne du journaliste, Elhadj Mohamed Diallo, que tout le monde a déploré. Cela s’est passé pour des faits politiques, ce qui est totalement condamnable. Voilà ce qui concerne l’état des lieux en République de Guinée, à mon avis.

Guineematin.com : En tant qu’ancien responsable de l’URTELGUI, est-ce qu’il y a des activités qui sont prévus dans le cadre de la célébration de cette fête ?

Boubacar Yacine Diallo : Je voudrais vous signalez que je ne suis plus qu’un président d’honneur de l’URTELGUI. Le président de l’URTELGUI, c’est monsieur Sanou Kerfalla Cissé. Je ne sais pas si des choses ont été prévues, j’étais absent. Je ne suis rentré que la veille. Mais, toujours est-il que l’URTELGUI s’est illustrée dans le combat pour la liberté de la presse aux côtés des autres associations de presse comme l’AGEPI, l’AGUIPEL et bien d’autres. Je pense que ce combat doit être mené parce qu’il y a toujours des tentations d’intimidation, des tentatives de censure, des tentatives de surveillance, de manipulation à la fois des pouvoirs publics et des pouvoirs politiques de toute tendance confondue. Il faudrait naturellement que cela cesse. D’ailleurs, vous avez remarqué que le thème de la journée de cette année, c’est « Accès à l’information et aux libertés fondamentales, c’est un droit ». Voilà le thème qui a été choisi. Cela signifie tout simplement que les citoyens ont droit à une information équilibrée, objective, recoupée. Et, en même temps, l’autre sens du message, ça veut dire que c’est un devoir pour les journalistes de diffuser, de publier par les canaux dont ils disposent d’information objective, recoupée. Naturellement, tout cela dépend du professionnalisme dont les journalistes doivent pouvoir faire montre. Et, cela est parfois regrettable dans notre pays. Beaucoup de journalistes ignorent l’éthique et la déontologie, ignorent les lois qui régulent les médias et le travail de journaliste. Cela est regrettable. Ensuite, il y a plein d’autres qui se livrent plutôt à des trafics d’influence par la presse ou ils reçoivent de l’argent pour ne pas diffuser une information. C’est une forme  d’autocensure inacceptable ou alors ils reçoivent de l’argent pour diffuser des fausses infirmations, des informations diffamatoires sur des personnes totalement innocentes. Voilà des faits regrettables que nous remarquons aussi dans notre profession.

Guineematin.com : Monsieur le ministre, vous êtes une icône et un grand combattant pour la liberté de la presse en République de Guinée. Aujourd’hui, on parle d’une convention collective pour les médias. Où est-ce qu’on en est sur ce sujet ?

Boubacar Yacine Diallo : Je ne suis pas attentivement ce qui se passe dans les détails dans les médias. Vous savez que depuis un an, je suis à l’institution nationale des droits humains, en qualité de vice-président chargé de l’administration. Naturellement, à parti de là, on observe aussi ce qui se passe dans la presse parce que justement qui dit défense des droits de l’Homme commence par la défense de la liberté d’opinion, la liberté d’expression et par voix de conséquence la liberté de la presse. Donc, une convention collective, elle est tout à fait souhaitable en République de Guinée. Elle suppose qu’il y ait des journalistes compétitifs, de qualité, qui coûtent cher. Cela suppose aussi qu’il y ait des entreprises de presse solides. Comme vous le savez, la presse, c’est souvent le reflet d’un pays, le reflet de son économie. Notre économie ne brille pas, il faut avoir l’honnêteté de le dire. Cela se récent dans la vie des entreprises de presse. Elles ont du mal à fonctionner financièrement, elles ont du mal à rémunérer les journalistes et autres cadres qui travaillent dans la presse lorsque les journalistes sont payés. Il y en a qui ne sont pas payés, c’est regrettable, mais il faut le signaler. Une convention collective est tout à fait souhaitable, mais dans les circonstances actuelles de l’état de l’économie et de notre presse, ça va être très difficile. Mais, c’est souhaitable parce que cela suppose que les entreprises de presse payent correctement les journalistes. Que des tâches soient définies et que les journalistes puissent normalement s’acquitter de ces tâches. C’est à la fois toute une panoplie de droit et de devoir. Je crois penser que les journalistes bénéficient au moins du SMIG. Si cela n’est pas le cas, ce serait triste et les patrons devraient faire déjà un effort pour que les journalistes puissent toucher au moins le SMIG. En attendant, cette convention collective, elle est tout à fait souhaitable. Si mon expertise était sollicitée, je n’hésiterais pas à y apporter mon concours.

Guineematin.com : Quel avenir pour la presse guinéenne ?

Boubacar Yacine Diallo : L’avenir de la presse guinéenne dépend de ce que les journalistes voudraient en faire. Parce que vous savez quelqu’un le dit souvent et Souleymane Diallo du Lynx le répète « La liberté ne s’use que quand on ne s’en sert pas ». Donc, les journalistes doivent être jaloux de leur liberté. Ils doivent être jaloux de leur indépendance. Mais, en même temps, ils doivent être respectueux de l’éthique, de la déontologie, des lois qui régissent la profession, mais également de la bonne morale. Le journaliste, c’est d’abord une vitrine et le journaliste doit avoir peur du jugement de ses pairs. Pas seulement le jugement de ses pairs, il peut avoir des soucis lorsqu’il diffuse une infirmation parce que souvent, nos sources nous manipulent également, nos sources ont des intentions cachées parfois que nous ne maîtrisons pas. Et, parfois, elles nous livrent des fausses informations et le journaliste doit avoir la capacité intellectuelle, professionnelle comme on le dit de discerner le vrai du faux. En tout cas, circonscrire le vraisemblable. Je pense que cela c’est un pan de la lutte ; et, l’autre pan, c’est plutôt du côté des pouvoirs publics qui doivent pouvoir permettre aux journalistes d’exercer librement leur profession, de permettre aux journalistes d’accéder aux sources d’informations. Je pense que c’est un gros problème dans notre pays. Il est très difficile d’accéder aux sources d’informations publiques. Maintenant, il est vrai que le gouvernement a mis en place une cellule de communication qui renvoie très souvent des communiqués de presse, mais il aurait été plus souhaitable que les journalistes puissent, de visu observer ce qui se passe dans le cœur du pouvoir pour qu’ils puissent en faire une restitution plus objective, plus équilibrée et qu’ils puissent aussi parfois aller à l’analyse. Permettez-moi de regretter que beaucoup de journalistes aujourd’hui s’abstiennent de l’analyse. Ils restent sur la façade blanche de l’information. Ils sortent l’information, ils l’a diffusent, mais on s’arrête là. Je pense que le journaliste doit faciliter la compréhension en faisant des analyses, parfois en faisant des commentaires, si c’est nécessaire.

Pour le reste, il faut que les pouvoirs s’abstiennent d’exercer de la censure. Egalement, il va falloir former des journalistes à la base. Souvent, j’entends parler de séminaire de gauche à droite, je pense que ces séminaires de mise à niveau est une bonne chose, mais c’est totalement insuffisant. J’ai l’impression que beaucoup de gens se sont spécialisés dans ce domaine pour plutôt prendre de l’argent au lieu de former les journalistes. Je pense qu’il est du devoir de l’Etat, du gouvernement, de former des journalistes comme il forme des médecins, comme il forme des ingénieurs, parce que justement quand le journaliste fait mal, les risques peuvent être plus étendues, plus graves que ceux d’un simple chirurgien dans son bloc opératoire qui pourrait tuer une ou deux personnes et puis après, le conseil de l’ordre l’arrête. Quand c’est le chez le journaliste, les gens peuvent mourir innocemment et parfois assez nombreux. Cela doit être évité. Donc, je voudrais inviter les journalistes et les médias à faire preuve de responsabilité, mais à imposer leur indépendance vis-à-vis de tous les pouvoirs. Qu’il soit politique, économique, tous les pouvoirs je dis, sans exception parce que chacun a envie de manipuler la presse et la presse devrait pouvoir le refuser systématiquement.

Guineematin.com : Votre mot de la fin ?

Boubacar Yacine Diallo : le mot de la fin, c’est de souhaiter une excellente fête à l‘ensemble des médias. Je voudrai souhaiter dorénavant que les journalistes se retrouvent pour célébrer leur fête parce que cette fête a été décrétée par l’assemblée générale des Nations Unies. C’est pour permettre aux journalistes de faire l’état des lieux, de voir si leurs libertés sont intacts, si leurs libertés ne sont pas atteintes, mais aussi de se souvenir de ceux qui sont morts dans l’exercice de leur métier pour leur rendre hommage. Mais aussi de voir les perspectives d’avenir. Je souhaite que les journalistes et les associations prennent conscience de la nécessité de célébrer notre fête. Je vois que les journalistes sont très enthousiastes quand ce sont les journées des travailleurs, de la météo, de la forêt. C’est essentiel, mais quand on doit célébrer notre fête, nous devons pouvoir aussi mener des activités utiles pour permettre aux journalistes au moins de se retrouver et de parler de leur profession et de leur avenir. Je souhaite bonne fête à tous les journalistes et je souhaite bonne fête à tous les médias.

Guineematin.com : Merci monsieur le ministre

Boubacar Yacine Diallo : Je vous remercie aussi.

Interview réalisée et décryptée par Alpha Assia Baldé pour Guineematin.com

Tél : 622 68 00 41

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