Conakry : un avocat porte plainte contre le Directeur de la Police Judiciaire

Maître Mamoudou Sané, avocat à la Cour, a saisi le Procureur Général d’une plainte pour abus d’autorité contre le directeur central de la Police Judiciaire, le commissaire Aboubacar Fabou Camara. Dans cette plainte, l’avocat accuse le patron de la DPJ d’avoir ordonné son arrestation le mardi 18 février 2020, « en plein exercice de ma profession d’avocat ».

Selon maître Sané, « le directeur central de la Police Judiciaire a ordonné aux agents de la BRB, dont six étaient cagoulés, de m’arrêter avec sept (7) de mes clients. Ces faits se sont passés à Kobaya, commune de Ratoma, sur le site de la Société 2CE Construction SARL, laquelle est sous la protection juridique de mon Cabinet ».

Pour maître Mamoudou Sané, cette société est impliquée dans un dossier judiciaire à double ramification (Civile et Commerciale) qui est pendant à la Cour d’Appel de Conakry.

L’avocat proteste contre les agents sous ordre du commissaire Fabou Camara, qui l’ont « arrêté, brutalisé, injurié et humilié » à la présence de sa famille avant de l’embarquer.

Dans la plainte, il est précisé qu’en vertu de l’article 65, alinéa 2 de la Loi 014 régissant la profession d’avocat, le Conseil de l’Ordre doit être préalablement avisé avant toute arrestation d’un Avocat, même si celui-ci a commis un crime ou un délit.

Pour maître Sané, cette loi a été violée par le Directeur Central de la Police Judicaire qui a abusé de son autorité.

Guineematin.com vous propose ci-dessous l’intégralité de la plainte de l’avocat.

 

Réf. n°1171/CAB/CD/MS/20

Conakry le, 24 Février  2020

Objet : Plainte pour abus d’autorité

Victime : Maître Mamoudou SANE

Avocat à la Cour

 

A Monsieur le Procureur Général

près la Cour d’Appel de Conakry

Monsieur,

Dans l’après-midi du Mardi 18 février 2020, étant en plein exercice de ma profession d’Avocat,  le Directeur Central de la Police judiciaire a ordonné aux agents de la BRB, dont 6 étaient cagoulés, de m’arrêter avec Sept (7) de mes clients. Ces faits se sont passés à Kobaya, Commune de Ratoma, sur le site de la Société 2CE construction Sarl laquelle est sous la protection juridique de mon Cabinet.

Quelques heures après notre arrivé à la DPJ à bord de leur Pick up et devant Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats venu intervenir pour ma libération, le Directeur central justifie son acte par le fait que j’aurais « refusé de prendre le téléphone de son chargé des opérations pour parler avec lui ». Que sur le site j’étais « en train de crier et attirer l’attention du public sur une opération commandée qu’il a initiée à la demande du Procureur Général». Il ajoute avoir « reçu des instructions fermes du Procureur Général de prêter main forte à Monsieur Claude André Gindein, un expatrié australien, de récupérer des biens se trouvant sur le site de Kobaya appartenant à une tierce société ».

Ces affirmations, comme vous le verrez après vérifications, sont absolument contraires à la réalité.

Pour la petite histoire, je suis l’avocat  de la société 2CE Construction Sarl dirigée par Madame Rouguiatou BAH laquelle est également l’épouse de Monsieur Claude André Gindein, un expatrié australien. Ce  couple vivant dans la communauté des biens a créé la Société à responsabilité limitée dénommée 2CE Construction (Pièces n°1, 2 et 3). Cette société dispose d’un site à Kobaya, Commune de Ratoma dans lequel se trouvent leurs machines. Dans le même site se trouve gardées, à titre onéreux depuis le 14/04/2015 soit 57 mois, d’autres machines appartenant à la Société NRW GUINEA SARL.

Les frais de gardiennage des machines de cette tierce Société pour les 57 mois s’élèvent à un montant total de Six Cent Quatre-Vingt-Quatre millions de de francs guinéens (684, 000, 000 GNF). Soit une mensualité de 12, 000, 000 GNF/mois  x 57 mois. La Société NRW GUINEA SARL n’a jamais payée cette créance. C’est plutôt la société 2CE Construction Sarl qui a supporté ces frais dans l’espoir d’être remboursée après contrat. Ces derniers temps d’ailleurs, la société 2CE Construction Sarl a mis en demeure sa créancière de s’acquitter au risque de se voir opposée le droit de rétention prévu dans les articles 67 et 68 de l’Acte Uniforme sur les Suretés (Pièce n° 4).  Une action en paiement est même engagée devant le Tribunal du Commerce de Conakry (Pièce n°5).

Au départ, ce couple qui a créé la société 2CE Construction Sarl était dans la cogérance jusqu’à la démission de l’époux le 3 juin 2018 (Pièce n°6). S’en suivra une procédure de divorce engagée devant le  Tribunal de Première Instance de Conakry 2 qui s’est soldée par le prononcé du divorce entre les époux, la garde des enfants est confiée à l’épouse et le partage des biens communs ordonné (Pièce n°7).

Contre cette décision, l’époux Monsieur Claude André Gindein a fait appel et l’affaire est pendante devant la Cour d’appel. Pendant ce temps, sachant bien que les biens seront partagés un jour, l’époux  réussit, au mois de juin 2019, à faire signer un second contrat au propriétaire du site alors que le premier contrat n’est pas encore résilié avec le bailleur.

Sur le site, chacun d’eux a mis des gardiens pour empêcher l’autre de sortir une machine avant le partage. Ce matin du 18 février 2020 je revenais d’un baptême avec ma famille (ma femme et mes deux enfants) quand Madame Rouguiatou BAH m’appelle pour me dire que des agents de la DPJ arrivent sur le site et veulent arrêter ses gardiens et prendre des machines.

Je me suis alors précipité à y venir. Là étant, je stationne devant le portail du site et dis à ma femme de m’attendre avec les enfants.  Quelques minutes après, deux Pick up de la BRB sont arrivées. Je me présente aux policiers en tant qu’avocat de la société 2CE Construction Sarl et leur  demande ce qui se passe. Ils me disent avoir reçu l’ordre du Directeur central de la Police judiciaire d’arrêter tous les gardiens placés par la société 2CE Construction Sarl et de prendre des machines. Alors, je leur ai demandé s’ils avaient une convocation, des mandats ou une décision de justice les permettant d’agir ainsi. Je leur informe également que le Tribunal du commerce et la Cour d’appel sont déjà saisis de cette affaire à double ramification (civile et commerciale).

Pendant ce temps, ils embarquaient les gardiens que la société 2CE Construction Sarl avait placés sur le site. Arrive mon tour d’être embarqué Mani militari dans la Pick up. Ils m’ont tiré de force jusque devant le portail où se trouvaient leurs Pick up. Puis, ils m’ont jeté à bord comme un délinquant.  Au nombre de 8 (les 6 gardiens, Madame Rouguiatou BAH et moi), nous avons été arrêtés et conduit à la DPJ. Avant de bouger, je réussi à jeter la clé en direction de ma femme et lui demande de ramener les enfants à la maison.

Et en cours de route, j’ai pu envoyer un message d’information sur le forum du Barreau de Guinée. Tout de suite, un agent cagoulé assis à mes côtés informe le chargé des opérations judicaires de la BRB que j’ai envoyé un message. Immédiatement, il gare la Pick up et ordonne à celui-ci de me retirer mon téléphone, de me mettre à même le sol et flanquer son pied sur ma jambe. Ce que j’ai refusé. Mais il a, tout de même, pu retirer de force mon téléphone. Je lui dis de me le restituer pour que je puisse rentrer en contact avec ma femme. Il  me demande de « la fermer sinon il me mettrait les menottes » et m’a traité de « malhonnête ».

Ainsi, pour ne pas subir d’autres violences de la part de ces agents cagoulés et coléreux, j’ai gardé ma sérénité jusqu’à notre arrivé à la DPJ. A ce niveau, le Directeur Central de la Police judiciaire avoue, devant Monsieur le Bâtonnier et Maître Moussa DIALLO (venus intervenir) qu’il « a seulement dit à ses agents d’embarquer tout le monde y compris l’Avocat et qu’après il va trier à la DPJ ».

Cet acte n’est donc ni plus ni moins qu’un abus d’autorité pour lequel je porte plainte. Car « refuser de prendre l’appel du Directeur central de la police judiciaire» n’est pas une infraction, et demander à ses agents s’ils ont une convocation, un mandat ou une décision de justice était bien mon rôle en tant qu’Avocat, pour la défense de mes clients. Mieux, même en « mission commandée » on ne doit pas arrêter un Avocat, sans au préalable aviser le Barreau. C’est en tout cas l’esprit de l’article 65 alinéa 4 de la loi 014 régissant la profession d’Avocat :

« Le cabinet de l’Avocat est inviolable. Nul ne peut y pénétrer par la force.

 En cas d’infraction à la loi commise par un Avocat, les perquisitions ne peuvent être exécutées qu’en présence du Bâtonnier ou de son représentant, ou de trois membres du conseil de l’Ordre.

Les convocations, mandat de comparution, mandat d’amener, mandat d’arrêt ne peuvent en aucun cas être délivrés directement à un Avocat. Ces actes doivent être adressés obligatoirement au Bâtonnier.

 Hormis le cas de délit ou crime flagrant aucun avocat ne peut être poursuivi ou arrêté sans information préalable du Conseil de l’Ordre.

 Le conseil de l’Ordre peut solliciter une solution amiable.

 L’Avocat ne peut déférer à une convocation ou injonction de l’autorité administrative avant que le conseil de l’Ordre n’en soit saisi et ait entendu l’Avocat.

 Toute convocation doit préciser son objet et ne peut comporter la mention « pour affaire le concernant ».

 Cette loi exige donc que le conseil de l’Ordre soit, préalablement, avisé avant toute arrestation d’un Avocat, même si celui-ci a commis un délit ou un crime. C’est cette loi qui a été manifestement violé par le Directeur central de la police judiciaire qui a abusé de son autorité. Alors que selon l’article 4 du code de déontologie de la Police nationale il doit respecter les droits de l’homme, la constitution, les conventions internationales et les lois. Y compris la loi 014 sur la profession d’Avocat. De ce fait, le Directeur central tombe sous le coup de l’Article 643 du code pénal dispose que : « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, d’ordonner ou d’accomplir arbitrairement un acte attentatoire à la liberté individuelle est puni d’un emprisonnement de 2 à 5 ans et d’une amende de 5.000.000 à 10.000.000 de francs guinéens ou de l’une de ces deux peines seulement.

Lorsque l’acte attentatoire consiste en une détention ou une rétention d’une durée de plus de 7 jours, la peine est portée à un emprisonnement de 10 ans et l’amende à 15.000.000 de francs guinéens ».

Par ailleurs, ce que le Directeur Central appelle « mission commandée » n’était en réalité qu’un maquillage d’une bavure policière, puisqu’il a agi sur la base d’une simple plainte de Monsieur Claude André Gindein et sans instruction formelle du Parquet Général, sans convocation, sans mandat et sans aucune décision de justice dans un domaine qui ne relève pas de sa compétence. Car cette affaire pendante devant les Cours et Tribunaux est purement et simplement civile et commerciale.

Monsieur le Procureur Général,

Même si j’avais commis une quelconque infraction, le Directeur Central se devait d’aviser, préalablement, mon Bâtonnier comme le dispose l’article 65 alinéa 4 de la loi 014 régissant la profession d’Avocat. Il n’avait pas le droit de m’arrêter, il devait tout simplement me laisser « crier » sur le site, comme il le soutient.

Je porte donc plainte contre le Directeur central de la Police judiciaire qui a été le donneur de l’ordre de m’arrêter (article 14 portant sur les devoirs généraux des fonctionnaires de la police nationale). Les agents qui ont exécuté cette illégalité m’ont brutalisé, injurié, humilié devant ma femme, mes enfants, confisqué mon téléphone et m’ont illégalement arrêté dans l’exercice de ma profession.

Que justice soit faite !

Dans cette attente, recevez Monsieur le Procureur Général, mes remerciements pour le soutien apporté au feu de l’action.

 

La victime

Maître Mamoudou SANE

Avocat à la Cour

AMPLIATIONS :

-Barreau de Guinée,

-Ministre de la Sécurité et de la Protection Civile,

-Inspecteur General des services de Sécurité

Facebook Comments Box