Coup d’Etat militaire du 03 avril 1984 : les souvenirs du journaliste Boubacar Yacine Diallo

Boubacar Yacine Diallo, ancien président du Conseil National de la Communication et ancien ministre
Boubacar Yacine Diallo, ancien président du Conseil National de la Communication et ancien ministre

Le 03 avril 1984 constitue un tournant décisif dans l’histoire de la Guinée avec la prise du pouvoir l’armée, après 26 ans de règne sans partage du PDG-RDA dirigé par Sékou Touré. Le Colonel Lansana Conté, à la tête d’un groupe de miliaires, va prendre le pouvoir et mettre fin au régime du parti unique et redonner espoir aux Guinéens, fortement éprouvés par le régime du responsable suprême de la Révolution.

Trente six ans jour pour jour après ce putsch, un reporter de Guineematin.com a donné la parole à Boubacar Yacine Diallo, actuel vice-président de l’Institution Nationale Indépendante des Droits Humains (INIDH), témoin de cette journée historique. Au moment des faits, monsieur Diallo était jeune journaliste à la Voix De la Révolution (actuelle Radio Télévision Guinéenne).

Décryptage !

Guineematin.com : le 03 avril 1984, l’armée guinéenne, à sa tête le Colonel Lansana Conté, s’emparait du pouvoir une semaine après la mort d’Ahmed Sékou Touré. Quel souvenir gardez-vous de cette date historique qui marque un tournant dans la vie politique de notre pays ?

Boubacar Yacine Diallo : je voudrais me souvenir de ce 03 avril 1984. J’étais très jeune journaliste à la Voix de la Révolution. Et, ce 03 avril en réalité, le Bureau Politique National et le Comité Central devaient se réunir au Palais du Peuple pour confirmer la désignation de Lansana Béavogui pour assurer l’intérim de la vacance de pouvoir. Contrairement à ce qui était attendu, c’est un communiqué de Traoré qu’on a entendu vers 07 heures qui dressait un bilan du régime du président Ahmed Sékou Touré et en même temps qui déclarait que l’armée s’était donnée finalement le mandat de contrôler la situation du pays, compte-tenu de tout qui s’était passé. Et puis, deuxième étape, l’armée a décidé d’ouvrir les portes du Camp Boiro. Et, comme jeune journaliste, j’ai eu la chance exceptionnelle de me retrouver avec l’équipe de reportage au Camp Boiro. L’adjudant Gbago Zoumanigui de l’équipe est venu, il a tiré trois fois le pistolet en l’air et les portails se sont ouverts. Et, nous nous sommes retrouvés nez à nez avec ceux qui étaient détenus, en tout cas ceux qui vivaient encore. Ensuite, il y avait beaucoup de malades qui ont été transportés à l’hôpital Donka et tous les autres ont été embarqués pour se retrouver au Camp Alpha Yaya Diallo et c’est là-où j’ai vu pour la première fois le Colonel Lansana Conté avec ses compagnons, Facinet Touré et beaucoup d’autres. La seule chose qu’il a dite à ceux qui venaient de recouvrer leur liberté, c’était de leur dire, rentrez en hommes libres et puis nous aurons le temps de nous reparler de la Guinée. Et, nous sommes revenus à la Voix de la révolution et à la hauteur de Sans fil, les femmes avaient déjà entonné « Sa bara Mafindi » et c’est en ce moment-là que le technicien Moise Condé, paix à son âme, a pris ce son. Aussitôt arrivé à la RTG, ce son a été diffusé. Je voudrais rappeler que moi je n’avais pas accès au studio ce jour-là, Odilon Théa et puis quelques-uns avaient accès pour aider un peu à lire les communiqués de presse. Donc, c’était une chance exceptionnelle que j’ai eue d’avoir vécu ces moments important dans l’histoire de la Guinée.

Guineematin.com : dès après la prise du pouvoir par l’armée, quels ont été les changements apportés par le nouveau régime ?

Boubacar Yacine Diallo : la première nouveauté, c’est que l’armée a décidé de dissoudre les institutions qui étaient en place, l’assemblée populaire, et les seules organisations qui n’ont pas été dissoutes, c’était les syndicats. Tout le reste a été mis à terre et l’armée a promis de bâtir un Etat de droit, de restituer les libertés fondamentales et individuelles aux Guinéens qui en avaient tant besoin ; et puis un peu plus tard, le 22 décembre 1985, dans le premier discours programme, le président Lansana Conté a décidé avec ses camarades, de laisser l’économie libre, de privatiser une bonne partie de l’économie qui était nationalisée et de construire un Etat de droit. Ce sont déjà les éléments clés du discours programme et ce discours a eu pour conséquence en 1990, l’adoption d’une nouvelle constitution et des élections libres.

Guineematin.com : vous dites que le président Lansana Conté avait promis d’instaurer un Etat de droit, mais les victimes et parents des victimes du tristement célèbre Camp Boiro réclament toujours justice. Aujourd’hui, en tant que défenseur des droits de l’homme, quel est votre avis là-dessus ?

Boubacar Yacine Diallo : j’ai un profond regret d’avoir appris qu’on a démoli les cellules du Camp Boiro parce qu’effectivement, on aurait pu les laisser pour que les familles y viennent faire leur deuil, mais ensuite, faire en sorte que les martyrs, ceux qui sont morts-là, puissent être réhabilités. Je me souviens avoir accompagné le président Lansana Conté au Cuba et lorsqu’il a visité la prison de Fidel Castro sur l’île de la Jeunesse, il était effondré au point qu’il a écrit dans le livre d’or que tout le monde entier doit adorer Fidel Castro. Donc, je pense que ceci était contraire à ce qui s’est passé au Camp Boiro. Il est vrai que ce n’est pas lui qui a anéanti le Camp Boiro, c’est ceux qui sont venus après. Mais, c’est un profond regret parce que j’ai vu le Camp Boiro ce 03 avril 1984 lorsqu’il a été ouvert et je pense que c’est quelque chose qui n’est pas bien. Ensuite, à mon avis, le pont des pendus (le pont 8 Novembre à l’entrée de Kaloum, ndlr) aurait pu garder un souvenir, au moins une stèle pour permettre aux familles de venir faire le deuil, mais ensuite au monde entier de venir voir là où des cadres émérites ont été exécutés de la façon la plus cruelle possible. Ce sont mes regrets. Pour le reste, les violations des droits de l’homme ont été en masse ici, il faut le reconnaitre. Il est vrai que rarement il y a eu des enquêtes et j’espère qu’il y aura des enquêtes plus approfondies pour que les victimes soient rétablies dans leurs droits et ceux qui sont morts tout récemment soient réhabilités.

Guineematin.com : quel est votre mot de la fin ?

Boubacar Yacine Diallo : je voudrais me souvenir du Général Lansana Conté, que j’ai vu Colonel lorsqu’il a pris le pouvoir. J’ai eu le privilège, comme d’autres journalistes, de l’accompagner tant à l’intérieur qu’à l’étranger. Et d’ailleurs, je suis heureux d’annoncer que très prochainement, je vais publier un livre sur ce que j’ai vécu sur les pas du Général Lansana Conté. Je voudrais m’en tenir à ça pour ne pas livrer le contenu de ce livre. Je me souviens de cet homme qui était un homme de paix. Il était un grand chef et il connaissait la Guinée et les Guinéens. Je pense que son exemple doit pouvoir inspirer les chefs d’Etat qui vont se succéder dans notre pays.

Propos recueillis par Siba Guilavogui pour Guineematin.com

Tel : 620 21 39 77/ 662 73 05 31

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