Détention prolongée d’opposants en Guinée : Me Thierno Souleymane Baldé dénonce la procédure et exige un procès

Me Thierno Souleymane Baldé, avocat
Me Thierno Souleymane Baldé, avocat

« Comme ce sont des détenus de monsieur Alpha Condé, il ne veut pas qu’ils soient libérés. L’objectif, c’est de les empêcher d’être libres pour les empêcher de continuer à contester la légitimité et la légalité de son troisième mandat. Donc, pour les maintenir en détention, on traine les pieds… », a dit Me Thierno Souleymane Baldé.

Comme on le sait, plusieurs centaines d’opposants guinéens, notamment des membres de l’UFDG, croupissent à la maison centre Conakry depuis plus de deux mois, sans jugement. Dans une interview qu’il a accordée à journaliste de Guineematin.com hier, samedi 9 janvier 2021, Me Thierno Souleymane Baldé, l’avocat de ces « détenus politiques » a fait part de son inquiétude. Tout en dénonçant la procédure qui a prévalu à l’arrestation de ses clients, cet avocat au barreau de Guinée exige la tenue d’un procès afin que ses « prisonniers d’Alpha Condé » soient situés sur leur sort.

Décryptage !

Guineematin.com : plusieurs acteurs politiques, notamment de l’UFDG et de l’ANAD sont détenus à la maison centrale depuis plus de deux mois. Où en est-on aujourd’hui sur ce dossier ?

Me Thierno Souleymane Baldé : la procédure suit son cours. Comme vous le savez, ce sont des prisonniers politiques. Malheureusement, il y a un problème par rapport à l’indépendance de la justice guinéenne. Mes clients sont des prisonniers politiques de monsieur Alpha Condé. Puisque vous savez les conditions dans lesquelles ils ont été arrêtés. Depuis leur arrestation jusqu’à maintenant, nous nous battons pour que la loi soit respectée. Mais, nous avons toutes les difficultés du monde pour y arriver. Dans les conditions normales, chaque citoyen a le droit de jouir de sa liberté sans aucune restriction. Si effectivement il y a un citoyen qui commet un acte quelconque qui est contraire à la loi, il y a des règles qui définissent des procédures qui doivent amener à son arrestation. Quand vous prenez la plupart de ceux-là qui sont en prison aujourd’hui, ils ont été arrêtés sur la base de la commission rogatoire qui a été décernée par un des juges de Dixinn. Et, dans cette commission, il y a des instructions qui vont au-delà de ses prérogatives. Nous savons très bien que le juge d’instruction, et dans le contenu de la commission rogatoire, demande aux policiers d’abord d’identifier les personnes qui pourraient détenir des armes, de fabriquer ; et, ensuite, les faire arrêter avant de les déférer à son niveau. Et, les quartiers en question sont très bien déterminés : il s’agit notamment de Kakimbo, Wanindara, etc. Mais, il y a d’autres quartiers qui ne relèvent même pas de la compétence du juge. C’est comme par exemple, au niveau de la Cimenterie et de Fofomèrè qui relèvent de Dubréka. Et, lorsque vous prenez les cas de Mamadou Cellou Baldé de Labé, d’Abdoulaye Bah de Kindia, ce sont des gens qui ne relèvent pas de la compétence du tribunal de Dixinn. Monsieur Baldé relève du tribunal de Labé, monsieur Bah de Kindia. Et pourtant, ils sont en détention à Conakry. Si les règles de Droit sont respectées, lorsque ces personnes sont arrêtées et déférées devant le tribunal, et on constate effectivement qu’ils ne sont pas concernées par la commission rogatoire, on devrait les libérer purement et simplement. Mais jusqu’au moment où nous parlons, ils sont en prison. Donc, cela pose un problème fondamental au niveau de la consolidation d’un Etat de Droit dans notre pays.

Guineematin.com : qu’est-ce que vous, en tant que avocat de ces personnes détenues, comptez faire pour faciliter leur libération ?

Me Thierno Souleymane Baldé : vous avez suivi, dès leur arrestation, nous nous sommes constitués afin de les assister devant le juge d’instruction. Nous avons fait valoir leurs droits. Mais, nous avons constaté qu’au niveau du tribunal de première instance de Dixinn, il est assez difficile pour les détenus politiques de veiller à ce que leurs droits soient respectés. Je vous donne des exemples : il y a eu un certain nombre de personnes qui sont tombées malade. Dans les conditions normales, même en temps de guerre, quand une personne est arrêtée, elle est malade, elle doit bénéficier de soins médicaux avant qu’elle ne soit détenue à nouveau. Nous avons fait des demandes d’hospitalisation, ces demandes ont été purement et simplement rejetées. Vous avez vu le cas de Elhadj Sow. C’est à la dernière minute, lorsqu’il était au seuil de mourir, qu’on l’a envoyé à l’hôpital Ignace Deen. La loi prévoit même au niveau des officiers de la police judiciaire, 3 heures après l’arrestation d’une personne, elle a le droit d’avoir une consultation médicale si elle en fait la demande. Malheureusement, ces dispositions ne sont jamais respectées. Et, comme nous notre arme ce sont les lois qui sont en vigueur dans notre pays, si ces lois ne sont pas respectées, nous sommes complètement désarmés. Et, c’est la raison pour laquelle, comme la loi aussi nous le permet, nous avons demandé le dessaisissement du juge d’instruction du tribunal de Dixinn au profit du tribunal pour enfant. Puisqu’il y avait certains mineurs qui étaient impliqués dans le même dossier. Là aussi, la loi est assez claire : lorsqu’il y a des mineurs qui sont arrêtés, la juridiction compétente, c’est le tribunal pour enfant. On ne devrait pas attendre que les conseillers des victimes, c’est-à-dire les avocats, fassent une demande pour que la loi soit correctement respectée. Puisque quand on parle du ministère public, il est là pour défendre l’intérêt de la société et non un pouvoir politique. Et, c’est là où il y a tout le problème.

Guineematin.com : Justement, le tribunal de Dixinn s’est récemment dessaisi du dossier de Cherif Bah et Cie au profit du tribunal pour enfant. Où en est-on aujourd’hui dans cette procédure ?

Me Thierno Souleymane Baldé : le dossier est arrivé au niveau du tribunal pour enfant. Mais, comme vous le savez, ce tribunal se trouve dans des locaux exigus. Pour tout le tribunal, si je ne me trompe, il ne dispose que de trois bureaux. Donc, pour un dossier d’une telle ampleur, il faudrait quand-même que les juges soient dans des conditions minimales de travail. Le pool de juges qui a été demandé a sollicité qu’on puisse leur permettre d’avoir un local adéquat pour faire leur travail. Dans les conditions normales, cela peut se faire immédiatement. Mais, comme ce sont des détenus de monsieur Alpha Condé, il ne veut pas qu’ils soient libérés. L’objectif, c’est de les empêcher d’être libres pour les empêcher de continuer à contester la légitimité et la légalité de son troisième mandat. Donc, pour les maintenir en détention, on traine les pieds. Mais, finalement, il y a une salle qui a été trouvée au niveau du tribunal militaire. Nous espérons que dès la semaine prochaine les auditions vont commencer afin qu’on puisse être situés sur le sort que la justice leur réserve.

Interview réalisée par Ibrahima Sory Diallo pour Guineematin.com

Tél. : (00224) 621 09 08 18

Facebook Comments Box