Dr Karamba Kaba alerte : « entre 3 000 et 4 000 enfants naissent par an avec un bec-de-lièvre »

S’il y a une maladie qui est méconnue en Guinée, malgré le nombre élevé d’enfants qui en souffrent, c’est bien la fente au niveau des lèvres et qui affecte tout le visage. Autrement appelée bec de lièvre, cette maladie est une malformation au niveau du visage. De nos jours, il existe en Guinée un centre spécialisé de traitement de la maladie où des centaines d’enfant sont opérés par mois.

Pour en parler, un reporter de Guineematin.com a rencontré, ce mardi 09 mai 2017, le Dr Karamaba Kaba, médecin-chef du service de chirurgie plastique, réparatrice et des grands brûlés de l’hôpital national Donka. En raison des travaux de rénovation de Donka, Dr Karamba Kaba est actuellement à l’hôpital HUAXIA de Nongo, dans la commune de Ratoma où il continue de traiter cette maladie

Guineematin.com : on connait cette maladie sous le nom populaire de bec de lièvre. Qu’est-ce que c’est concrètement ?

Dr Karamba Kaba : dans le langage simple et populaire on parle de bec de lièvre pour parler d’une pathologie qu’on appelle fente labio-palatine. Il s’agit d’une malformation congénitale, l’une des plus fréquentes au niveau du visage, qui consiste en une fissure, une fente au niveau de la lèvre, au niveau du palais ou au niveau du voile du palais. Elle est très fréquente malgré l’apparence qui fait que les gens n’en savent rien. Vous savez, sur chaque sept cent (700) accouchement, il naît un enfant avec une fente. Ce qui signifie qu’à l’échelle du pays, on doit compter en moyenne entre 3 000 et 4 000 enfants qui naissent par an avec une fente labiopalatine. C’est un grand problème de santé publique.

Guineematin.com : est-ce qu’on peut savoir les causes de cette maladie ?

Dr Karamba Kaba : dans la grande majorité des auteurs, c’est l’aspect héréditaire des fentes qui est évoqué. Nous-mêmes, on a constaté par nos consultations que 70% des enfants avec une fente sont issus de familles dans lesquelles on trouve au moins un cas de fente labiopalatine. Plus grave encore, 80% de nos enfants avec fente sont issus de mariages consanguins, c’est-à-dire que le papa et la maman sont liés par le sang, soit c’est des cousins qui se marient, parfois des frères éloignés. L’autre facteur qu’on peut incriminer chez nous ici, c’est la malnutrition. C’est les troubles nutritionnels, le stress en début de grossesse. Mais, dans la grande majorité des cas, c’est une maladie héréditaire qui se transmet de génération en génération et qui apparaît au sein de familles ou de phratries consanguines.

Guineematin.com : comment se passe la prise en charge des patients souffrant de cette fente ?

Dr Karamba Kaba : c’est au mois de mai 2016 que nous avons commencé le travail. Nous sommes déjà à 156 interventions, une liste d’attente d’une quarantaine de personnes. Tous les jours, ça ne fait que venir. Le traitement se fait gratuitement avec l’appui de l’ONG Américaine SMILE TRAIN. La prise en charge est absolument gratuite, que ce soit l’examen, l’opération, l’hospitalisation ou les médicaments postopératoires. Tout est compris dedans. Ce qui fait que les patients qui viennent sont pris en charge absolument au niveau de notre centre. Je vous disais tout de suite que c’est une maladie congénitale, on naît avec. Maintenant, il y a des enfants qu’on a la chance de voir très tôt, on les opère très tôt à partir du 3ème mois de la naissance. Il y’ en a qui viennent à 6 ans ou 7 ans, qui n’ont jamais été opérés parce qu’ils ne savaient pas cette maladie pouvait être traitée. Mais, on réussit à les traiter. Nous avons aussi opéré ici des personnes de plus de 65 ans, qui ont des fentes labiales jamais opérées. Il n’y a donc pas d’âge spécifique, on peut opérer à partir de 3 mois jusqu’à l’âge adultes.

Guineematin.com : quelles sont les différentes formes de fentes qu’on peut rencontrer ?

Dr Karamba Kaba : il y a beaucoup de formes de fentes labiales. Nous avons des fentes d’un côté (fente unilatérale), d’autres concernent les deux côtés (les fentes bilatérales). Maintenant, ça peut concerner la lèvre, le palais dur ou osseux, tout comme le palais mou situé dans la gorge. Ils peuvent être fendus selon différents types de degrés et on les répare conséquemment. Si vous voyez par exemple des enfants avec des fentes labiopalatines complets, là on fait trois opérations. Entre deux opérations, nous mettons 90 jours pour que l’enfant ait la possibilité de récupérer ses forces. Ce qui est recommandé, avant l’âge d’un an et demi, quand l’enfant commence à acquérir le pouvoir du langage parlé, que les opérations soient terminées.

Guineematin.com : quelles sont les conséquences d’une fente non opérée ?

Dr Karamba Kaba : une fente non opérée, c’est d’abord un déficit non seulement esthétique mais, c’est aussi un déficit du langage. La fente étant là, les patients perdent de l’air. Avec la grande fente qui est là, il ne peut prononcer correctement les mots. Il faut corriger ça très tôt pour que l’anatomie soit bien réparée, pur que l’enfant puisse parler, manger et se mouvoir correctement. Et c’est cela notre objectif, à savoir redonner le sourire aux enfants, pour qu’ils puissent se faire accepter par la société.

Guineematin.com : vos patients viennent de quelle partie de la Guinée ?

Dr Karamba Kaba : ils viennent des quatre coins de la Guinée. Avec les affiches que nous faisons et les battages médiatiques, les patients nous viennent de tout le pays actuellement. Même les pays voisins nous amènent des enfants ayant cette fente : la Guinée Bissau, la Sierra Léone, le Mali, le sud du Sénégal et même la Mauritanie. On a opéré deux enfants ici venant de la Mauritanie. Les gens ont entendu parler de notre centre et le fait que le traitement soit gratuit, voilà tout un cocktail réuni pour attirer les gens.

Guineematin.com : quel appel avez-vous à lancer Dr Kaba ?

Dr Karamba Kaba : c’est de faire comme monsieur Ousamne Diallo, DAAF de l’Université de Faranah. En cours de route, il a vu des enfants, il les a pris et est parvenu à convaincre les parents de les amener ici à Conakry. N’ayant pas les moyens, il les a embarqués et logés chez lui à Conakry. Ils ont été traités gratuitement ici et ils sont rentrés. C’est un acte de patriotisme qu’il faut louer. Si vous ne pouvez les amener, au moins il faut les informer. Dites leur que vous savez où on peut les soigner gratuitement. Cela ne coûte rien à quelqu’un. Pace que, c’est une enfance, une force qu’on perd. Ces enfants, avec la bouche ouverte dans le quartier, ils sont négligés, méprisés, font l’objet de raillerie. Ils développent un complexe d’infériorité qui fat que leur talent devient caché. Ils ne seront pas journalistes, ni médecins et seront abandonnés. Notre devoir à tous est de les amener vers la correction et aujourd’hui grâce à SMILE TRAIN et à notre clinique, nous redonnons l’espoir et le sourire à ces enfants.

Interview réalisée par Alpha Mamadou Diallo pour Guineematin.com

Tél. : 628 17 99 17

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