Eaux usées dans les rues de Conakry : « elles ont des impacts négatifs sur la santé publique »

Dr Ibrahima Sory Traoré, ingénieur biomédical et chef service de la maintenance au CHU de Donka
Dr Ibrahima Sory Traoré, ingénieur biomédical et chef service de la maintenance au CHU de Donka

A Conakry, voir des eaux usées couler dans la rue est devenu normal. Car cette situation est visible tous les jours dans tous les quartiers de la capitale guinéenne. Pourtant, ce phénomène représente un véritable danger pour la santé publique et même pour l’environnement. C’est en tout cas l’alerte donnée par Dr Ibrahima Sory Traoré, le président de l’ONIB-Guinée (l’Organisation Nationale des Ingénieurs Biomédicaux de Guinée), également Chef Service Maintenance au CHU Donka. Dans un entretien qu’il a accordé à Guineematin.com, ce spécialiste de la question a expliqué les risques liés aux eaux usées et la nécessité de mettre en place des systèmes de traitement de ces eaux.

Décryptage !

Guineematin.com : à longueur de journée, nous voyons des eaux usées couler dans les quartiers de Conakry. Un phénomène qui, selon les spécialistes, peut avoir de graves conséquences tant sur le plan sanitaire que celui environnemental. Parlez-nous des dangers liés à cette situation.

Dr Ibrahima Sory Traoré : d’abord, je précise que les eaux usées sont des eaux polluées par la manipulation humaine. On a trois grands types d’eaux usées. Il par exemple les eaux que nous utilisons dans les toilettes sous toutes les formes. Il y a les eaux usées en provenance des industries qui sont les plus difficiles à traiter parce que produites par les industriels. Vous avez par exemple les eaux qui découlent des traitements de bauxite, de l’or, des usines de fabrication de ciment. Toutes les entreprises de ce genre produisent des eaux usées et qui sont d’ailleurs très difficiles à traiter. Il y a aussi les eaux usées pluviales ou de ruissellement. Ce sont les trois grandes catégories d’eaux usées.  

Naturellement, ces eaux usées dans toutes leurs catégories, ont des impacts négatifs sur la santé publique. Parce que les personnes non protégées en contact avec ces eaux ont tous les risques de contracter des maladies de toutes sortes. Telles que les maladies infectieuses, dermatologiques, diarrhéiques, le paludisme. Donc il y a beaucoup des maladies qu’on ne peut toutes citer ici, qui sont liées aux eaux usées. Les eaux usées qui sont déversées dans les rivières, fleuves, dans les mers et océans ont aussi des conséquences négatives sur les populations animales aquatiques.

Certaines espèces aquatiques qui ne peuvent pas supporter la pollution quittent les zones polluées par les eaux usées et migrent vers d’autres zones très lointaines. Et en pareils cas, si c’est dans nos eaux territoriales, nous perdons en ressources. Des fois même, certaines espèces peuvent quitter un pays vers un autre. Ça, c’est les conséquences directes du non traitement des eaux usées. L’autre conséquence, c’est la mort de certaines espèces aquatiques, s’il y a la présence de produits chimiques dans les eaux usées qui se déversent dans la mer.

Guineematin.com : comment peut-on traiter ces eaux usées pour éviter les conséquences néfastes que vous venez d’énumérer ?

Dr Ibrahima Sory Traoré : le traitement des eaux usées se fait par plusieurs méthodes. Mais il y a certaines méthodes qui sont le plus  souvent respectées. Les eaux usées qui coulent dans nos caniveaux doivent être récupérées et traitées. D’abord en ce qui concerne les caniveaux d’évacuation, il faut les faire avec un plan de lotissement bien bâti avant que les eaux qui couleront dedans ne soient déversées dans les rivières, les fleuves, les mers et les océans. Avant le déversement de ces eaux, il faut mettre en place une centrale de dépistage grossière. Après les centrales de dépistage, il y a des stations pompage.

Après les stations de pompage, il y a des pompages précis avec des filtres et des réservoirs de sable aérés qui permettent de retenir ici les grosses molécules, et les déchets là sont enfouis. Ça, c’est la façon la plus simple. Derrière ce système, il y a une centrale de traitement qu’il faut installer. Et, elle doit être au niveau de toutes les structures de grande concentration humaine. Ce sont les structures notamment sanitaires, scolaires, hôtelières et toutes zones de forte concentration tels que les marchés, les grandes usines. Toutes ces structures doivent avoir chacune sa centrale de traitement d’eaux usées avant qu’elles ne soient conduites à la centrale communale ou préfectorale de traitement (…).

Ces eaux usées déversées dans la mer en provenance des toilettes, de la vaisselle et des usines sont des eaux mélangées avec celle de la mer que les sociétés de traitement prennent et traitent pour la consommation domestique et plus loin pour la distribution et la commercialisation. Ce sont donc ces eaux traitées que nous consommons et réutilisons pour satisfaire nos besoins. Vous voyez combien de fois ce sujet d’eaux usées doit être compris par les pouvoirs publics ? Donc c’est vraiment intéressant parce que c’est un problème de santé publique. Il faut qu’il y ait des systèmes de traitement d’eaux usées qui répondent aux normes internationales pour éviter de tuer les ressources halieutiques en cas de déversement dans la mer de produits inappropriés. 

Guineematin.com : quels sont les avantages liés à la mise en place de ces systèmes de traitement des eaux usées ?

Dr Ibrahima Sory Traoré : l’utilisation planifiée des eaux usées traitées et partiellement traitées pour les services d’écosystèmes peut améliorer l’efficacité de la ressource et fournir des avantages aux écosystèmes en réduisant les prélèvements d’eau douce, en recyclant et réutilisant des nutriments, en permettant aux pêches et autres écosystèmes aquatiques de prospérer grâce à la réduction de la pollution hydrique, et en rechargeant les aquifères épuisés.

La récupération de sous-produits utiles

Le vaste potentiel des eaux usées en tant que source de ressources, tel que dans l’énergie et les nutriments, peut être exploité. L’énergie peut être récupérée sous la forme de biogaz, de production de chauffage/refroidissement et d’électricité. Il existe des technologies pour la récupération d’énergie in situ, à travers des processus de traitement des boues/biosolides intégrés dans les usines de traitement des eaux usées, leur permettant, en tant que grands consommateurs d’énergie, d’effectuer une transition vers la neutralité énergétique, voire même de devenir des producteurs nets d’énergie.

La récupération énergétique peut également aider les sites à réduire leurs coûts d’exploitation et leur empreinte carbone, et leur permettre d’augmenter leurs revenus grâce au marché du carbone… Il y a également des opportunités pour la récupération combinée d’énergie et de nutriments. La récupération d’énergie hors-site implique l’incinération de boues dans des usines centralisées par le biais de processus de traitement thermal. Le développement de technologies pour la récupération d’azote et de phosphore à partir des eaux usées ou des boues d’épuration avance.

La récupération de phosphore grâce à des installations de traitement in situ, telles que les fosses septiques et les latrines, peut être faisable du point de vue technique et financier en transformant les boues des fosses septiques en engrais organique ou organo-minéral. La collecte des urines et leur utilisation est important dans la gestion des eaux usées, étant donné qu’elles contiennent 88% de l’azote et 66% du phosphore que l’on trouve dans les déchets humains, composants essentiel pour la croissance végétale.

Propos recueillis par Mamadou Bhoye Laafa Sow pour Guineematin.com 

Tel: 62291922

Facebook Comments Box