Ets. Alseny Bangoura contre la BCRG : le ministre de la justice refuse le procès de Loucény Nabé

Loucény Nabé, Gouverneur de la Loucény Nabé, Gouverneur de la Banque centrale de la République de Guinée (BCRG)
Loucény Nabé, Gouverneur de la Banque centrale de la République de Guinée (BCRG)

C’est une affaire qui oppose les établissements Alseny Bangoura et associés à la Banque centrale de la République de Guinée (BCRG) et son gouverneur, Louncény Nabé. Et, cette affaire porte sur une « saisie attribution » d’un montant qui s’élèverait à ce jour à 47 milliards de francs guinéens. Cet argent a été saisi des avoirs de la direction nationale du patrimoine bâti public domicilié à la Banque centrale, a été cantonné au profit des établissements Alseny Bangoura et associés. Mais, malgré les décisions de justice (parfois revêtues de la formule exécutoire et régulièrement signifiées à la BCRG) ordonnant le paiement de ce montant aux établissements Alseny Bangoura et associés, la BCRG refuse mordicus de se libérer de cet argent. 

Et, pour ce refus de paiement (alors qu’aucun obstacle juridique ne s’oppose à ces paiements), la BCRG et son gouverneur ont été assignés en justice suivant une citation directe pour « rébellion et abus de confiance » devant le tribunal de première instance de Kaloum. Le procès s’est ouvert le 04 janvier dernier devant cette juridiction ; mais, contre toute attente, le procureur Alpha Seny Camara a pris faits et cause pour le prévenu (Louseny Nabé) et a refusé d’enrôler l’affaire pour la continuation du procès. Cependant, on soupçonne ce parquetier d’avoir agi sur instruction du ministre de la justice, Dr Mory Doumbouya. La partie civile dénonce des « dérives » du procureur et une « incursion » de la chancellerie dans une affaire en cours de traitement.

Selon des informations confiées à Guineematin.com, c’est en juin 1990, à l’occasion de la privatisation de certains hôtels appartenant à l’Etat, que les établissements Alseny Bangoura et associés ont obtenu et signé un contrat de rénovation et d’exploitation de ‘’ l’hôtel Niger ’’, sis à Almamyah, dans la commune de Kaloum. Ainsi, ce promoteur guinéen a investi plusieurs millions de francs guinéens dans la rénovation de cet édifice. Mais, avec l’implication injustifiée de la Direction Nationale du Patrimoine Bâti Public (DNPBP), il a rencontré d’énormes difficultés dans la gestion des lieux. Car, pendant plus de dix sept ans, la DNPBP a encaissé indûment les loyers des locaux de cet hôtel au détriment des Etablissements Alsény Bangoura et Associés. Ce qui a donné naissance à un litige entre les deux entités. Et, ce litige a finalement été transporté devant les juridictions compétentes (TPI de Kaloum, Cour d’Appel de Conakry) qui ont, tour à tour, rendu des décisions. Mais, les établissements Alseny Bangoura et associés ont triomphé sur la direction nationale du patrimoine bâti public.

A titre illustratif, le tribunal de première instance de Kaloum a, par jugement N°132, condamné le patrimoine bâti public à payer à Alsény Bangoura (représentants des établissements Alseny Bangoura et associés) un milliards de francs guinéens (à titre de loyers échus), 100 millions de francs guinéens (à titre de dommages et intérêts) et un million de francs guinéens (à titre d’astreinte par jour de retard).

Par la suite, le ministre de l’Aménagement du territoire, le ministre de la Justice et le procureur général près la Cour d’Appel de Conakry ont tous demandé à la direction nationale du patrimoine bâti public de s’acquitter des montants de la condamnation, mais en vain.

Ainsi, une « saisie attribution de créances » a été pratiquée sur les avoirs du patrimoine bâti public auprès de la BCRG, suivant procès-verbal d’huissier de justice. Cette saisie a ensuite été signifiée à la direction nationale du patrimoine bâti public et à l’Agence judiciaire de l’Etat pour toutes fins de droit.

Cependant, en réaction à cette saisie, la DNPBP a demandé à l’agent judiciaire de l’Etat de constituer un avocat pour elle, à l’effet de contester la saisie devant le tribunal compétent. Ce qui fut fait. Mais, à l’issue de la procédure de contestation de saisie, l’ordonnance N°133 du 23 Novembre 2010 du tribunal de première instance de Kaloum a donné effet à la saisie pratiquée dans les livres de la BCRG. En clair, le tribunal a jugé la saisie régulière. Mais, la DNPBP a interjeté appel contre cette décision devant la Cour d’Appel de Conakry. Malheureusement pour elle, par arrêt N° 98 du 17 décembre 2011, la Cour d’Appel va confirmer la décision du tribunal de première instance de Kaloum en ce qui concerne la validation de la saisie pratiquée. Et, cette décision revêtue de la formule exécutoire, parce qu’elle a acquis l’autorité de la chose jugée, a été régulièrement signifiée à la BCRG pour paiement du montant saisi.

Seulement, contre toute attente, la BCRG a refusé de se libérer de ce moment. Ce qui a conduit Alsény Bangoura à assigner la BCRG devant le tribunal de première instance de Kaloum pour « engager sa responsabilité professionnelle et civile » dans cette procédure. Et, dans un courrier en date du 08 octobre 2020, le procureur de la République près le tribunal de première instance de Kaloum, Alpha Seny Camara, a rappelé à la BCRG « l’accumulation continue des astreintes » dans cette affaire.

« J’attire votre attention que dans le cadre du paiement des montants légalement dus à l’Etablissement Alsény Bangoura et associés, représenté par monsieur Alsény Bangoura, plusieurs lettres vous ont été adressées sans suite, alors qu’aucun obstacle juridique ne s’oppose à ces paiements. Qu’en plus de ces lettres, des démarches ont été entreprises par mon parquet afin de procéder à une médiation pénale pouvant aboutir à une résolution du litige pénale à l’amiable, mais en vain. Il est à préciser surtout que l’attitude de votre institution relativement au refus d’exécuter les décisions de justice sus-référencées, sans aucun motif légal, constitue une violation grave et flagrante de la loi et du principe sacré selon lequel nul n’est au dessus de la loi. Ainsi, mon parquet tirera toutes les conséquences de droit et n’exclut pas une procédure contre la BCRG devant le Tribunal correctionnel afin de veiller à l’application stricte et correcte de toutes les décisions antérieurement rendues, conformément à la loi et pour une bonne administration de la justice », avait alors écrit le procureur Alpha Seny Camara au gouverneur de la BCRG, Louncény Nabé.

En réponse à ce courrier, la BCRG, en dépit de l’autonomie que lui confère son statut, a préféré s’abriter derrière le ministre de la justice pour justifier son refus de paiement.

« Contrairement à ce que disent les requérants (les établissements Alseny Bangoura et associés), la saisie a été faite en vertu de l’arrêt N°053 rendu le 27 janvier 2009 par la Cour d’Appel de Conakry, en faveur des Ets Alsény BANGOURA et Associés. Faisant suite à cet exploit de saisie, la direction juridique de la BCRG a indiqué au Gouverneur d’alors, que conformément aux dispositions des articles 38, 164, 168, 170 et suivants des Actes Uniformes de l’OHADA, le tiers saisi doit donner suite à l’acte en vue de dégager sa responsabilité. Ainsi, il a été instruit de cantonner le montant indiqué sur l’exploit d’huissier à la date du 18 octobre 2010. Contre toute attente, l’huissier des EABA a signifié à la BCRG le même jour l’exploit de la main-levée sur la saisie pratiquée. La BCRG s’est exécutée. L’huissier est revenu vers le soir du même jour avec un autre exploit de saisie pour le même objet. Devant cette situation, la BCRG a sollicité l’avis du ministre de la justice avant d’accéder à la requête de l’huissier. Et, le ministre de la justice a indiqué que le cantonnement pratiqué par la Banque serait en violation des articles 9 et 10 du Décret n°D/083/PRG/SGG du 05 mal 1997, portant organisation et attributions de l’Agence judiciaire de l’Etat… Par ailleurs, je vous prie de noter que dans le cadre du règlement des contentieux qui opposent l’Etat et ses démembrements aux particuliers, des séries de réunions ont été tenues sous la présidence du ministre de la justice, accompagné de ses Cadres, avec la BCRG, la Direction du Patrimoine Bâti Public et l’Agence judiciaire de l’Etat, auxquelles monsieur Alseny BANGOURA et son avocat ont été invités. Au terme des échanges, il a été convenu à l’unanimité que le dossier EABA soit pris en charge par le ministère de l’économie et des finances, à travers la direction nationale de la dette et de l’aide publique au développement », a écrit le gouverneur Louncény Nabé, dans un courrier en date du 16 novembre 2020 et adressé au procureur du TPI de Kaloum.

C’est donc eu égard à tous ces agissements du gouverneur de la BCRG qu’un recours a été introduit devant le juge des référés du tribunal de Kaloum. Lequel juge a constaté la créance et a condamné la BCRG à son paiement au profit des créanciers, assorti d’une astreinte de 10 millions de francs guinéens par jour de retard. Ce qui porte à ce jour la réclamation des établissements Alseny Bangoura et associés à la somme de 47 milliards de francs guinéens. L’ordonnance de référé a été régulièrement notifiée à la BCRG, mais sans succès jusqu’à ce jour.

C’est pourquoi, le 28 décembre 2020, une « citation à comparaitre pour rébellion et abus de confiance » a été introduite à l’encontre du gouverneur Louncény Nabé et la BCRG. Malheureusement, Louncény Nabé n’a pas daigné comparaître dans cette affaire. En tout cas, il a brillé par son absence à l’ouverture de son procès (le 04 janvier 2021) et à l’audience du 08 février 2021. Mais, à l’issue de cette dernière audience, un « mandat d’amener » a été décerné contre lui par le juge pour la prochaine audience qui devait avoir lieu le 22 février dernier. Mais, avant cette date, le ministre de justice, par un communiqué de presse, a ouvertement pris position pour le gouverneur Louncény Nabé dans cette affaire. Le Garde des sceaux a notamment annoncé qu’aucun mandat n’a été émis contre le gouverneur de la BCRG. Il aurait même invité, dans son cabinet, le gérant des établissements Alseny Bangoura et associés à l’insu de ses avocats. Ce qui a d’ailleurs été perçu par les avocats des établissements Alseny Bangoura et associés comme « une tentative de manipulation » de leur client.

Egalement, à la date du 22 février, alors que le gouverneur Louncény Nabé était attendu à la barre, le procureur Alpha Seny Camara a refusé d’enrôler l’affaire pour qu’elle soit jugée. Pire, le parquetier a pris le dossier pour aller « se réfugier » dans les bureaux du procureur général de la Cour d’Appel. Cet agissement de trop a alors suscité la colère des avocats des établissements Alseny Bangoura et associés qui, dans un courrier en date du 09 mars et adressé au Bâtonnier du conseil de l’ordre des avocats de Guinée, ont dénoncé « un acte grave, inédit, insolite, assourdissant, ahurissant, ignominieux et très irrespectueux » de l’indépendance de la justice en Guinée.

« Il est choquant qu’un procureur de la République exfiltre un dossier en cours de jugement du tribunal, donc empêche le juge de l’appeler et de le juger, pour le faire transiter sur le bureau du procureur général, en vue de sa transmission directe à monsieur le ministre de la Justice, où il (le dossier) se trouve actuellement… Mais, l’architecture, le maitre d’œuvre, le concepteur et le réalisateur de toutes ces dérives qui aboutissent malheureusement au blocage du service public de la justice est bien monsieur le Garde des sceaux. Cette incursion, cette interférence de la chancellerie dans les affaires, et plus grave celles en cours de traitement, intimide les magistrats, viole leur impartialité, sape leur intime conviction et étouffe leur indépendance… En tout état de cause, le ministre de la Justice a administré la preuve que la loi est pour les personnes vulnérables, les damnés de la terre », ont écrit Me M’Bomby Mara et Me Paul Yomba Kourouma, tout en exigeant le retour du dossier contre Louncény Nabé au Greffe du tribunal compétent, son inscription au rôle et l’exécution par le procureur de la République du mandat d’amener pour permettre la continuité de la procédure dans cette affaire.

Cependant, pour Alsény Bangoura, le représentant des établissements Alseny Bangoura et associés, la poursuite de la procédure pénale n’est pas une fin en soi, si le gouverneur de la Banque centrale fait preuve de bonne foi pour un règlement à l’amiable du différend qui les oppose.

« La BCRG a les moyens de me payer. Son gouverneur a la possibilité de m’appeler pour s’assoir ensemble et qu’on se met d’accord sur un échéancier de paiement. S’il n’y a pas tromperie dedans, nous on peut suspendre la procédure pénale, en attendant de constater la bonne foi du gouverneur de la Banque centrale. C’est vrai que nous sommes une entreprise locale guinéenne, nous sommes petits, mais il ne faut pas qu’il exagère », a dit Alseny Bangoura dans un entretien accordé à Guineematin.com en fin de semaine dernière.

A suivre !

Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

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