Interdiction des prières nocturnes dans les mosquées : ce qu’en dit l’islamologue Ibrahima Mansaré

Ibrahima Mansaré, islamologue en master en analyse des discours de la charia
Ibrahima Mansaré, islamologue en master en analyse des discours de la charia

Les réactions continuent de se faire entendre suite à l’interdiction des prières nocturnes dans les mosquées pendant les dix derniers jours du ramadan. Une décision annoncée lundi dernier par le secrétariat général des Affaires religieuses et que les autorités justifient par l’état d’urgence sanitaire en vigueur dans le pays. Dans un entretien qu’il a accordé à Guineematin.com, ce mercredi 5 mai 2021, Ibrahima Mansaré, islamologue en master sur l’analyse des discours de la charia, a dénoncé une décision révoltante. Toutefois, il demande à la population guinéenne de respecter cette mesure pour ne pas être en contradiction avec la loi islamique.

Décryptage !

Guineematin.com : le gouvernement guinéen, à travers le secrétariat général des Affaires religieuses, a interdit les prières nocturnes pendant les dix derniers jours du mois de ramadan, en cours. On invoque l’état d’urgence sanitaire en vigueur dans le pays pour justifier la mesure, très impopulaire. Que pensez-vous de cette décision des autorités guinéennes ?

Ibrahima Mansaré, islamologue en master en analyse des discours de la charia

Ibrahima Mansaré : pour commencer, je voudrais d’abord rétablir les faits dans leur contexte. C’est vrai qu’on est dans un contexte sanitaire très difficile qui nous préoccupe depuis 2019. L’islam est venu pour sauver la vie de l’Homme, normaliser les sociétés et permettre de vivre avec des traits de caractères recommandés d’une société civilisée et responsable. De ce fait, le mois de ramadan est l’un des piliers de l’islam. Et, la dernière dizaine de ce mois contient la nuit de Laylat Al-Qadr, autrement dit la nuit du destin. Celle-ci est la plus importante du mois de ramadan, parce que l’adoration faite pendant cette nuit vaut mieux que toute autre adoration faite pendant plus de mille mois (en dehors de la nuit de Laylat Al-Qadr).

De ce fait, le prophète Mohamed (PSL) et sa famille avaient des pratiques qu’ils faisaient pendant ce mois béni du ramadan. Ils les intensifiaient pendant les dix derniers jours du ramadan. Dieu a dit dans un verset du coran qu’il vous est recommandé à vous les fidèles musulmans de faire des prières nocturnes pendant les dix derniers jours du mois de ramadan. Donc ce verset est venu renforcer ces pratiques-là pour qu’elles soient intensifiées. Selon les hadiths, la mère Aïcha, épouse du prophète Mohamed (PSL) a dit que le prophète doublait, triplait ou quadruplait les actes d’adoration en ce mois de ramadan plus précisément à la dernière dizaine. Il faisait beaucoup de prières.

Maintenant, les prières nocturnes sont de deux catégories : les prières de 20 heures et celles qui se font tard la nuit. Donc un compagnon du prophète a rapporté que les gens doivent se retrouver dans les mosquées pendant les dix dernières nuits du mois de ramadan pour accomplir les actes d’adoration ensemble. Accomplir ces actes d’adoration pendant les dix dernières nuits du mois de ramadan relève d’une recommandation divine dans le coran et de la sunna du prophète Mohamed (PSL) dans beaucoup de hadiths. Donc si certains trouvent aujourd’hui qu’il faut interdire cet héritage du prophète, sa famille et de ses compagnons qui est recommandé par le coran et la sunna, cela mérite d’être un révoltant. Moi, je demande à ce que l’Etat revienne sur cette décision.

Guineematin.com : mais, les autorités invoquent l’état d’urgence sanitaire instauré dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 pour justifier cette décision. Ne comprenez-vous pas cet argument ?

Ibrahima Mansaré : aujourd’hui, cette pandémie ne couvre pas la totalité du territoire national. Nous avons des préfectures, des sous-préfectures et des secteurs où il n’y a même pas un cas positif, où il n’y a pas de menaces sur les citoyens qui y vivent. Ceux-ci peuvent aller dans les mosquées, accomplir les actes d’adoration, en respectant bien sûr même s’il y a de cas positifs, les mesures barrières, notamment le port de masque, la distanciation sociale, le lavage des mains et tout. Par contre, dans les régions ou bien les localités où il y a de gros risques, les habitants de ces zones-là peuvent prier chez eux, dans leurs familles respectives.

Ils peuvent se mobiliser en famille pour prier, parce que certains n’ont pas le coran en tête, ils ne savent pas lire, en respectant les mesures sanitaires pour ne pas rater les récompenses liées à l’adoration d’Allah pendant ces dix dernières nuits du ramadan. L’Etat doit donc faire de sorte qu’il ne heurte pas la sensibilité de la communauté musulmane. Cette affaire de pandémie ne date pas d’aujourd’hui. Au temps du prophète, il y a eu des pandémies, mais il y a eu aussi des recommandations islamiques. Donc ce n’est pas un fait nouveau. Mais que cette décision soit prise par le gouvernement, c’est un fait nouveau. En pareil cas, il faut mettre en place toutes dispositions nécessaires permettant aux fidèles d’aller faire leurs prières.

Il faudra mettre des dispositifs sanitaires importants dans et autour des mosquées, notamment le gel hydro alcoolique, des agents de sécurité pour sensibiliser les fidèles, des mesures nécessaires pour la distanciation sociale et des bavettes à un nombre suffisant.  Les responsables des mosquées sont des matures, ils vont sensibiliser les fidèles au respect des mesures barrières. C’est ce qui devait être la bonne politique du gouvernement au lieu d’interdire aux fidèles musulmans d’aller dans les mosquées au moment le plus béni de leur vie.

Guineematin.com : selon vous, quelles peuvent être les conséquences de cette décision ?

Ibrahima Mansaré : les conséquences de cette décision, c’est que beaucoup peuvent perdre l’opportunité de faire les prières collectives nocturnes dans les mosquées. Aussi, cette décision peut causer du mécontentement, de la frustration au niveau de la population. Ça peut amener de la révolte, contre quoi nous sensibilisons d’ailleurs les fidèles. Nous leur disons de ne pas désobéir les chefs parce que cela est déconseillé par l’islam. L’autre aspect, c’est que certains avaient déjà commencé leur retraite spirituelle dans les mosquées. Leur dire de sortir et rentrer à la maison sans accomplir leur mission, c’est grave. Ce sont entre autres des conséquences difficiles que cette décision d’interdiction peut entraîner.

Guineematin.com : que recommandez-vous aux fidèles musulmans face à cette décision ?

Ibrahima Mansaré : Je demande aux fidèles musulmans qui peuvent vraiment prier à la maison de se regrouper pour faire leurs prières chez eux. Je demande aux fidèles musulmans de surseoir à toutes manifestations de colère et de rester derrière les autorités. Je leur demande de prier intensément surtout en faveur des dirigeants et demander à Dieu de les guider sur le bon chemin pour que les communautés musulmanes soient elles aussi éclairées, responsables, mieux orientées et mieux outillées par rapport à la pratique islamique. Surtout je demande aux fidèles musulmans de prier intensément en implorant Dieu de nous épargner de cette maladie. Je demande aussi à l’Etat de consulter la communauté musulmane à la base désormais pour prendre une telle décision.

Mamadou Bhoye Laafa Sow pour Guineematin.com

Tel: 622919225

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