La Guinée et les mandats à vie : après le Contéisme, le Condéisme

Dix ans après son élection in extremis, Alpha Condé ne veut pas quitter la présidence de la République. Il a changé la constitution qui lui interdisait plus de deux mandats et a annoncé une quatrième République avec une nouvelle constitution, laissant entendre que les compteurs sont désormais à zéro.

Englués dans une corruption généralisée et à grande échelle, des Guinéens- même convaincus que ce président n’est pas la solution- le soutiennent pour mieux soutirer leur part du pognon. « Tous les opposants actuels ont fait pareil sous Lansana Conté. C’est ce qui leur permet aujourd’hui de tenir dans le combat politique », arguent certains promoteurs d’un 3ème mandant du Professeur-Président Alpha Condé.

Le bégaiement de l’histoire politique en Guinée

Sidya Touré : le sauveur a été laudateur avant de monter sur le ring politique

Nommé Premier ministre le 9 juillet 1996, suite à la mutinerie des 2 et 3 février 96, Sidya Touré a réussi, en moins d’un an, à redonner espoir aux Guinéens avec des réformes courageuses ; et, les résultats ne se sont pas faits attendre. Mais, le fulgurant succès de l’ex Directeur de cabinet du Premier ministre Alassane Ouattara n’a pas fait que des heureux. Dans l’entourage du président Lansana Conté, on a commencé à soupçonner des velléités au Premier ministre-planteur. Des ragots et des raccourcis ont convaincu le Général-Président que cet intellectuel raffiné a des appétits du pouvoir. Ses prérogatives sont alors rabotées et il est de moins en moins dans les confidences du chef de l’Etat.

Pourtant, rien de tout ce qu’il initiera ne pourrait se matérialiser sans un réel soutien du président de la République. En face, une opposition des plus farouches est menée par d’autres intellectuels qui, comme lui, ont vécu et servi ailleurs. Bâ Mamadou, Alpha Condé, Siradiou Diallo, Jean-Marie Doré et autres Alfa Sow étaient dans l’arène politique bien avant la légalisation des partis, cinq ans plutôt. Ils savaient donc s’attaquer au régime qu’ils vilipendaient à longueur des sorties. Un Premier ministre rendu impuissant par les caciques du pouvoir pouvait alors facilement être soupçonné de comploter contre son patron, d’autant qu’un des virulents opposants a vécu comme lui au pays d’Houphouët Boigny. Comment alors rassurer le chef de l’Etat que son Premier ministre n’est pas un « traître à la Nation » ? C’est alors que Sidya Touré trouve le slogan qui lui colle encore à la peau : « Lansana Conté, ton pied, mon pied ». Il battra ainsi campagne pour la victoire du Général-Président, le Président-Paysan, à l’élection présidentielle de 1998.

Au lendemain du vote, le régime arrête le candidat et député Alpha Condé, arrivé troisième après Lansana Conté et l’honorable Bâ Mamadou. Le champion du RPG était à Piné, accusé de vouloir violer la fermeture des frontières. Il n’aurait même pas voté et a réussi à aller aussi loin de Conakry au moment où on espérait le voir dans son QG… A la télévision nationale, on expliquera que l’opposant radical s’était déguisé pour tenter de sortir du pays avec une importante quantité d’argent dont des devises, un téléphone satellitaire avec lequel il communiquait sans arrêt. On a alors accusé Alpha Condé de vouloir introduire des rebelles pour renverser le deuxième président de la Guinée indépendante. Contrairement au président de l’Assemblée nationale, Elhadj Boubacar Biro Diallo, qui s’offusquait et dénonçait sans arrêt l’emprisonnement d’un député ayant l’immunité parlementaire, le Premier ministre avait préféré sa fidélité à Lansana Conté et à son régime. Malgré tout, le chef de l’Etat a mis fin à ses fonction le 8 mars 1999. Et, c’est suite à son limogeage que Sidya Touré s’engagera en politique et prendra, en 2000, la tête de l’UFR, le parti de Bakary Goyo Zoumanigui.

Depuis, Sidya Touré s’est définitivement engagé dans le combat pour l’instauration de la démocratie en Guinée. Aux côtés des vétérans de l’opposition et du président de l’Assemblée nationale de l’époque, le patron de l’UFR s’était opposé au changement de la constitution qui avait permis à Lansana Conté de mourir au pouvoir.

Pro Conté et anti Alpha : Cellou Dalein face à la répétition de l’histoire

Contrairement à Sidya Touré, Cellou Dalein Diallo est un pur produit de l’administration guinéenne. De la banque centrale aux grands projets, il a été parmi les jeunes ministres du gouvernement Sidya Touré. Mais, après le départ du Premier ministre, « petit Cellou » (par opposition au défunt « vieux Cellou », le grand frère de Dalein qui avait piloté la campagne du Général-Président en 1998) se rapprochait davantage du chef de l’Etat. Il aura toute sa confiance et était d’ailleurs cité en exemple. Des anecdotes aussi incroyables les unes que les autres sont souvent racontées pour illustrer le respect quasi religieux de « petit Cellou » pour le Général Lansana Conté qui, en retour, le prenait pour son fils. L’ancien ministre des Travaux publics et des Transports avait battu campagne pour le changement de la constitution et pour le mandat de trop du Général Lansana Conté. Et, c’est souvent ce qui lui est reproché quand il fait la morale aux gouvernants actuels.

Les orteils des nouveaux ministres sur les traces laissées par les anciens

Malgré la gêne des opposants au régime Alpha Condé face aux slogans et engagements politiques au temps de Lansana Conté, d’autres acteurs (politiques et sociaux) ont, eux aussi, décidé de se butter sur le même obstacle. Et le pays avec !

Comme en 2003 (la dernière élection de Lansana Conté), ce n’est pas le président Alpha Condé qui annonce sa volonté de candidater. Ce sont des ministres, ministrons, présidents des petits partis et autres opportunistes. Dans les coulisses et face aux leurs, ils expliquent leur forfaiture par celle des autres. On n’hésite pas à avouer que le projet est dangereux. Mais, on s’empresse d’ajouter qu’il est très lucratif. Le plus important argument est de dire que d’autres avaient fait pareil avant. Ce qui leur avait donné assez d’argent et même une certaine notoriété. Or, si on peine à reconstituer les archives de cette histoire, c’est parce que tout n’était pas filmé à l’époque. Aujourd’hui, à l’heure des réseaux sociaux, tous les discours, toutes les vidéos et images sont systématiquement archivés et nul ne réussira à se débobiner. Il est donc quasi certain que les promoteurs d’un troisième mandat d’aujourd’hui ne réussiront JAMAIS à redorer leur blason qui sera définitivement terni ! Que dire de la fierté refusée à leur progéniture ?

Après Sékou Touré et Lansana Conté, Alpha Condé pour un pouvoir à vie ?

Il y a 19 ans que le président Lansana Conté changeait la Constitution pour s’offrir une présidence à vie à la tête du pays. C’est un Général-Président fragilisé par la maladie qui se fera réélire en 2003 pour son ultime mandat. Il avait déjà vaincu la rébellion deux ans plutôt sans avoir bénéficié d’aucune aide extérieure. On le présentait alors comme l’unique capable de protéger la Guinée et les Guinéens. Certains de ses adversaires étaient présentés comme des agents à la solde des ennemis de la Guinée… Une attaque de son cortège sur les rails d’Enco5 échouera deux ans après. Et, Lansana Conté mènera le pays, chancelant comme sa santé, jusqu’au soir du 22 décembre 2008, quand il arrêtera de respirer. On connaît la suite… Aujourd’hui, son parti est incapable d’élire même un seul député ! Le PUP, qui avait tout du vivant de Conté n’a pas la mairie d’une seule commune en Guinée.

Aujourd’hui, les démagogues ne parlent ni du père de l’indépendance de la Guinée, ni celui du multipartisme intégral. Sékou Touré et Lansana Conté sont oubliés dans les discours dithyrambiques. C’est le professeur Alpha Condé, celui-là même qui avait été condamné à mort par contumace par les hommes du premier régime et embastillé par ceux du deuxième pour rébellion et tentative de déstabilisation du pays qui est présenté par les nouveaux riches (au gouvernement et dans les affaires) comme le seul, l’unique à même de conduire la Guinée dans la paix, l’unité nationale, la cohésion et pour lequel on doit assassiner la démocratie pour lui « permettre d’achever son mandat »…

Alpha Condé sortira-t-il par la petite porte ?

Le moins évident est que le président actuel fasse deux autres mandats et passent le pouvoir à un autre élu dans un scrutin ouvert et démocratique. Il ne peut pas torpiller la démocratie en mettant fin à la Constitution sur laquelle il a juré deux fois pour quitter après avoir conforté ses prorogatives et éliminé tous ses opposants.

S’il réussit à se maintenir, il restera bien au-delà même de deux mandats puisque la constitution qu’il vient d’imposer pourrait également être changée pour créer une cinquième République et le champion du RPG sera à nouveau investi pour le premier mandat de la cette nouvelle République, ainsi de suite jusqu’à ce que Dieu, le Tout Puissant décide de le rappeler à Lui.

Le plus évident est que les forces qui s’opposent à un pouvoir à vie parviennent à empêcher Alpha Condé de s’accrocher au pouvoir après son dernier mandat. Et, l’échec de sa tentative de tuer la démocratie guinéenne pour son pouvoir personnel nuira, au-delà de la personne du chef de l’Etat, tous ses soutiens qui se coalisent aujourd’hui contre l’alternance et la démocratie dans notre pays.

Mais, sont-ils aujourd’hui conscients du risque qu’ils prennent ?

Nouhou Baldé pour Guineematin.com

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