Les mots et les maux de la ministre

Habib Yembering Diallo
Habib Yembering Diallo

Cher cousin,

Après quelques semaines d’exercice, je puis te faire un premier bilan de ce qui constitue le quotidien ahurissant voire hallucinant d’une ministre. Les problèmes commencent juste après le sacrifice rituel que la famille oblige le nouveau ou la nouvelle promu (e) à faire. Les parents, amis et alliés commencent à prendre d’assaut la maison. Il y a les frères, les cousins et leurs cousins, leurs enfants et les parfois les amis de leurs enfants. A cette colonie, il faut ajouter les agents de sécurité dont le nombre est pléthorique. Parce qu’il y a les équipes du jour et celles de la nuit.

Intitule de te dire que nourrir tout ce monde relève d’un véritable chemin de croix. A la place du fameux panier de la ménagère qui allait au marché, c’est désormais un Pic Up qui le fait. Bien rempli. Quand les bouchers du quartier ont appris ma nomination, ils ont effectué une démarche auprès de la femme de ménage. J’ai appris aussi que mon prédécesseur abattait un bœuf chaque semaine pour les agents assure la sécurité. Ceux qui me l’ont dit veulent évidemment que j’emboite le pas à mon prédécesseur.

Après la maison, d’autres problèmes commencent avant même d’arriver au bureau. Et le comble c’est que le chauffeur et le garde du corps dictent leur volonté à la ministre que je suis. Cela est quand même difficile à comprendre. Et pourtant c’est la réalité. J’allais dire que c’est la triste réalité. Comment ces deux personnes, qui sont au plus bas de l’échelle dans le département peuvent-elles dicter leur volonté à la première responsable dudit département ?

 Dès les premiers jours après ma nomination, j’ai été contrariée par mon chauffeur et mon garde du corps. Voulant donner l’exemple au personnel du département, à 7h déjà je suis au bureau. Mais un jour je me suis réveillée tard. C’est donc vers 7h que je suis partie de la maison. C’est-à-dire l’heure à laquelle les bouchons commencent sur tous les axes routiers de la capitale. Et mon chauffeur n’a pas daigné suivre la ligne comme tout le monde. Il a usé et abusé de la sirène pour nous frayer un passage. Quand je lui ai dit de se mettre sur la même ligne et de rouler comme tout le monde, il m’a répondu que si nous faisons comme monsieur tout le monde nous arriverons tard au bureau. Ajoutant que tous mes prédécesseurs se frayaient un passage pour arriver au bureau à l’heure. L’agent de sécurité a enchainé en ajoutant qu’un ministre ne doit pas faire comme tout le monde. Contrariée par les deux, je me suis retrouvée impuissante, préférant les laisser faire. 

Cette complicité entre le garde du corps et le chauffeur m’a rappelé la mise en garde d’un des miens qui travaille au ministère. Dès mon arrivée, le vieil homme, qui travaille là-bas depuis plus deux décennies, m’a soufflé à l’oreille qu’il y a  dans ce département deux intouchables : c’est planton et le chauffeur. Comme pour attester le renversement de la pyramide dans notre pays. Quand les deux derniers parmi les fonctionnaires sont considérés comme des intouchables, qu’en sera-t-il du secrétaire général dont on dit qu’il est de la même famille que mon patron.

A cela il faut ajouter les formules démagogiques qui me tympanisent comme « excellence » que l’on entend partout et par tous. Cela m’agace.  Mais le plus grand problème aura été d’obtenir un rendez-vous avec le président pour aller le remercier pour le choix porté sur ma modeste personne. Les miens ont tout fait pour obtenir ce rendez-vous. Chaque fois la même réponse : le président est trop occupé ces temps-ci. Un autre nous a avoués qu’en cette période de pandémie, il ne reçoit que de façon très exceptionnelle.

Devant nos démarches infructueuses, nous avons décidé d’aller voir et remercier celui qui aurait proposé mon nom au président. Celui-là est au professeur aujourd’hui ce que l’autre fut au général hier. Tu comprends de qui et de quoi je parle. A défaut donc de voir le président nous sommes allés voir le petit président pour le remercier d’avoir pensé à moi.

Je dois t’avouer que ma nomination m’a permis de découvrir l’autre facette de notre pays : celle que je n’avais jamais connue. Ce qui s’est passé m’a profondément bouleversé. De quoi je me plains, me diras-tu. Eh bien, ce qui m’a mis mal à l’aise c’est l’implication non seulement de ma famille mais aussi de toute ma communauté (ou plutôt celle de mon époux) dans cette affaire. Chacun donne l’impression d’être l’auteur de ma nomination.

Ce lobby estime à tort ou à raison que je lui reste redevable. Et à plusieurs niveaux : tout d’abord mon patron, son patron à lui et le petit président. Car, je ne t’apprends rien en te disant que celui qui a le statut de petit président n’est officiellement pas mon patron. Il n’est pas le chef du gouvernement. Mais il ne demeure pas moins puissant.

Outre donc ces deux-là, les miens croient dur comme fer que si je suis devenue ce que je suis aujourd’hui c’est grâce à eux. Du coup, et comme dans pareil cas, ils attendent le retour de l’ascenseur. Cela veut dire directement ou indirectement que si j’ai été nommée c’est moins par mes compétences et ma loyauté au parti que par les manœuvres de tous ces lèche-bottes qui rôdent autour du palais.

Pour toutes ces raisons, j’ai envie de te dire que, contrairement à l’apparence, les fonctions de ministres ne sont qu’un mirage. Alors que tu meurs de soif, ce que tu aperçois de loin ressemble à l’eau. Quand tu t’approches, tu observes la même chose plus loin.  Ma situation actuelle me rappelle cet adage que mon grand-père aimait répéter : « la chose qu’on aperçoit de loin est toujours la plus belle de toutes les choses du monde ».

Bien malgré tout, je ne dois pas me plaindre. Cette nomination relève un double défi : tout d’abord vis-à-vis de mes anciens collègues qui me considèrent comme une traitresse. Mais aussi vis-à-vis de me nouveaux collaborateurs dont la plupart voit d’un mauvais œil ma consécration.

Je terminerai par cette belle citation de Charlotte Whitton, qui corrobore parfaitement à ma situation actuelle : « Quoiqu’elle fasse, la femme doit le faire deux fois mieux que l’homme afin qu’on en pense autant de bien. Heureusement, ce n’est pas difficile ! »

Habib Yembering Diallo

Tél. : 664 27 27 47

Toute ressemblance entre cette histoire et une autre n’est que pure coïncidence

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