Les mots et les maux du ministre

Habib Yimbering Diallo
Habib Yembering Diallo

Cher ami,

Tu as sans doute suivi ce qui s’est passé le vendredi soir. Comme dit le vieil adage, le papier que nous craignions de mouiller s’est finalement noyé. Je suis devenu un ancien ministre. Comme tout le monde, c’est à travers les médias que j’ai réalisé quel était mon sort. Les minutes qui ont précédé le nom de mon successeur furent palpitantes. Et, ce qui devait arriver arriva. Comme lors de la proclamation des résultats des examens scolaires, quand le dernier nom a été prononcé je me suis effondré.

Après le décret, j’ai pu mesurer la duplicité de notre société. J’ai comparé le nombre d’appels que j’avais reçus à ma nomination et celui après mon limogeage. Figure-toi, aucune comparaison n’est possible. Alors qu’après ma nomination mes téléphones avaient crépité toute la nuit, cette fois, j’ai compté moins de dix appels. Des gens qui m’ont consolé. Il est vrai qu’il est plus facile d’appeler quelqu’un pour lui dire félicitations que de l’appeler pour dire courage.

Dans tous les cas, j’ai compris qu’entre un entrant et un sortant il y a un fossé. Après ma nomination, il avait juste fallu 30 minutes pour que ma maison soit envahie par une foule innombrable. Parents, amis, connaissances, profiteurs, marabouts et que sais-je encore, avaient littéralement rallié mon domicile. Cette fois, personne n’est venu. Même les plus proches. Ce qui m’a fait penser que c’est le début de l’inévitable solitude inhérente à une situation comme la mienne : celle d’un ancien ministre.

Après ce premier constat, je reviens dans le vif du sujet. En réalité, depuis ma nomination, je n’ai jamais filé le même coton avec notre chef. Récemment, il a confié à quelqu’un que je faisais partie des membres du gouvernement auxquels il se méfiait. Cela m’avait réconforté dans mon combat pour son remplacement. Tu as dû apprendre qu’il était ces derniers temps quelque peu en disgrâce avec son chef à lui.

Je ne sais par quel miracle cet opportuniste hors pair a pu renverser la situation en sa faveur. Il a pu convaincre son patron d’écarter quelques-uns dont moi. Malgré tout, il n’a rien pu contre celle qui l’avait ouvertement défié dans cette histoire de riposte dont tu avais entendu parler. Or, ce n’est un secret pour personne que s’il pouvait sacrifier toute l’équipe avec celle-là, il l’aurait fait sans état d’âme. Malheureusement pour lui, cette dame est à son patron ce qu’une vieille, racontée par une légende, fut pour Alpha Yaya. Revenu d’une grande expédition, le résistant paradait dans sa ville. Le bruit fit sortir une ville. Mais, quand elle s’est rendue compte que c’était Alpha Yaya, elle est aussitôt entrée dans sa case en disant qu’elle croyait que c’était un grand événement, mais c’est Yaya qui faisait du bruit. Bref, notre Alpha est à sa ministre ce que l’autre Alpha était pour la vieille de la légende. L’objectif de cette lettre n’étant pas de te faire un cours d’histoire, je reviens à mon sujet.

Le monsieur n’ayant donc rien pu contre la femme qui est plus forte que lui, s’est rabattu sur nous autres. Ne dit-on pas que l’on laboure la terre du côté où elle est moins caillouteuse ? Mais, ce qui m’a fait mal, c’est quand on limoge quelqu’un qui a consacré toute sa carrière pour ne pas dire toute sa vie au parti pour nommer un autre qui, dans le meilleur des cas, n’a jamais milité dans ce pari et au pire l’a même combattu. C’est cala la leçon de la vie.
L’autre chose qui me fait terriblement souffrir, c’est de savoir que mes ennemis jubilent. Seul Dieu sait que j’en ai. Et, à cause du parti, encore une fois. Partout où j’ai travaillé depuis la consécration de notre leader, j’ai fait subir aux opposants ce que moi-même j’avais subi autrefois. Quand j’étais en province, mon cheval de bataille était la mutation-sanction. Les opposants, qui évoluaient dans mon domaine, furent mutés si loin que certains avaient préféré quitter l’administration publique. Il y a parmi eux un qui est devenu le maire de l’une des plus grandes communes de notre pays.

Aujourd’hui, j’ai le sentiment de culpabilité. Parce que, parfois, je me suis servi du parti pour régler des comptes. Voilà que ce parti me récompense par un limogeage et surtout mon remplacement par quelqu’un qui n‘a jamais mouillé le maillot. C’est véritablement une insulte aux militants et aux martyrs. Aujourd’hui, la satisfaction de ceux qui ont souffert à cause de moi est à la dimension de ma déception. D’ailleurs, une de mes victimes fait partie de ceux qui m’ont appelé pour me demander de prendre courage. Je sais qu’il voulait juste savoir si ma voix indiquerait que j’ai pleuré. Mais, connaissant son numéro, j’ai pris mon courage à deux mains pour faire semblant que j’avais un moral d’acier. Même si ma voix a dû me tromper.

L’autre chose que je voulais aborder avec toi, c’est de dire au karamoko, ou plutôt au charlatan, qu’il a été tout sauf efficace. Je le prie donc de bien vouloir me rendre l’avance que je lui avais faite en attendant ma confirmation pour payer le reste. Je m’en doutais d’ailleurs depuis que j’ai appris qu’il travaillait à la fois pour celui qui occupe le poste et le prétendant à sa succession.

Ton charlatan ressemble à cet autre charlatan qu’une légende raconte : « un singe vint chez un charlatan et lui demanda de travailler pour lui pour que jamais de sa vie il ne croise un chien. Le charlatan lui demanda de se cacher sous un panier qu’il lui indiqua en attenant qu’il fasse son travail. Sur le champ, un chien arriva et demanda au même charlatan de l’aider afin qu’il croise chaque jour un singe. Et, le charlatan lui demanda d’aller soulever le panier. Dès qu’il le souleva le singe grimpa sur l’arbre et s’exclama ‘’le charlatan est le pire des démons’’ ». Voilà comment est ton charlatan.

Tu diras que mes propos sont ceux d’un homme en colère. Mais, sache que ce qui vient de se passer me donne deux leçons : la première, c’est qu’il ne faut jamais compter sur quelqu’un. Qu’il soit chef, riche ou savant. Il faut compter sur le Créateur. Deuxièmement, ce n’est jamais par nos efforts que nous devenons ce que nous sommes. C’est par la volonté de Dieu. Même si tu vas dire qu’aussitôt limogé je me réfugie derrière la religion. En effet, je crois que pour le reste de ma vie, tout ce qui n’est pas conciliable et compatible avec la religion ne m’intéresse pas. Surtout la politique dont la fin est toujours pénible et douloureuse.

Ton ami, le désormais ancien ministre.

Habib Yembering Diallo

Tél : 664 27 27 47

Toute ressemblance entre cette histoire et une autre n’est que coïncidence.

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