Les mots et les maux du ministre

Cher ami,

Comme tu le sais, désormais, à chacun son tour sur les réseaux sociaux. Chaque personne qui a une parcelle de responsabilité ou qui aspire à l’assumer un jour aura son tour. Cette semaine, ce fut le mien. Même si ce n’est pas la première fois. Mon entrée au gouvernement n’était pas non plus passée inaperçue. Mais à la différence de la première, la seconde fois, les réactions étaient largement voire entièrement négatives.

En toute sincérité et en toute confidentialité, j’ai relevé une incohérence notoire dans l’attitude et le comportement de nos compatriotes. Particulièrement les jeunes. D’un côté, ils vouent le gouvernement aux gémonies. Et en premier lieu le chef. Je veux dire le chef du chef. Mais, en même temps, ils se félicitent de la nomination d’un ministre. Pour moi, c’est une chose et son contraire.

Ils avaient estimé que je suis l’homme de la situation. Rappelant que ma nomination répond parfaitement à la fameuse phrase connue partout et par tous dans ce pays «  l’homme qu’il faut à la place qu’il faut ». Alors qu’ils oublient que la performance et la réussite d’un seul ministre dans un gouvernement paralysé par l’incurie et l’incompétence qu’ils dénoncent, ressemblent à chercher et à trouver le plus beau parmi les chimpanzés. Comme dit l’adage, une seule hirondelle ne fait pas le printemps. J’en suis conscient. Mais, je vais faire mon mieux.

Cher ami, tu auras remarqué que je n’arrive toujours pas à me débarrasser de ce défaut : celui de s’écarter toujours de mon sujet pour parler d’autres choses. Je reviens donc à mon sujet. Celui qui fâche. Si tu as regardé la télévision nationale cette semaine, tu as dû voir ton ami dans un milieu où, il y a quelques années, il était inimaginable qu’il y soit. Moi, dans une rencontre hautement et éminemment politique, tu vas certainement t’exclamer qui l’eût cru. C’était une rencontre pour laquelle il faut inventer un mot plus fort que la démagogie.

Ce fut véritablement mon baptême du feu. Dans la vie, on apprend toujours. J’ai beaucoup appris de cette rencontre. Les participants ont usé et abusé de la flagornerie. Mais cela n’est pas une première dans ce pays. Encore moins une surprise pour moi. Je m’y attendais. Par contre, ce à quoi je ne m’attendais point, c’est l’acharnement voire l’obsession de certains caciques du parti à afficher ostensiblement leur suprématie vis-à-vis des nouveaux que nous étions.

Pour caricaturer un peu, ils ont voulu qu’entre eux et nous soit comme entre le garçon circoncis et celui qui n’a pas encore subi cette opération. Ou pour être plus courtois et plus décent, ils ont voulu nous classer par les initiés et les néophytes. Bien évidemment que j’étais parmi les seconds.

Ainsi, la politique étant ce qu’elle est, des gens qui s’expriment comme note cousin commun qui a échoué trois fois au brevet nous faisaient la leçon. Ils tenaient à nous faire comprendre qu’ils sont supérieurs à nous. De par leur engagement. De par la répression qu’ils ont subie autrefois. De par leur proximité avec le grand chef. Bref, j’ai vite conclu que l’intellectuel a sa place à l’université, à la rédaction ou encore à la bibliothèque. Mais jamais au siège d’un parti politique.

Décidément, je me rends compte que je ne t’ai toujours pas dit véritablement ce qui m’a fait le plus mal à cette rencontre. Excuse-moi donc. Ce qui m’a profondément touché voire meurtri c’est la demande voire l’exigence que les nouveaux participants, dont je faisais partie, nouent le fameux foulard du parti autour du cou. Ce morceau de tissu était pour moi ce qu’une corde est à un animal. Un animal sauvage qui vient d’être capturé. Mais autant il est difficile d’apprivoiser un animal sauvage, autant il est difficile d’initier un intellectuel.

L’autre chose qui m’a fait terriblement souffrir lors de cette rencontre, c’est l’attitude du cameraman. J’ai eu l’impression que ce garçon avait une mission particulière : celle de fixer sans arrêt sa caméra vers moi.  Pour lui, il n’y avait que moi dans la salle. Tantôt il me filmait de loin. Tantôt il venait juste devant moi. Parfois même derrière moi. Bref, si c’était une mission il l’a bien accomplie.

Devant cette situation, je sais que le plus dur est à venir. Trois mois seulement nous séparent de la date de l’échéance pour laquelle nous étions partis en mission. Je ne me fais aucune illusion. Je sais que si j’ai été convié à cette rencontre, c’est pour apprendre. Apprendre à faire campagne. Et c’est là que les choses pourraient se compliquer. Parce que, quand on m’avait consulté pour ma nomination, j’avais posé une condition : en tant que technicien c’est de me laisser jouer mon rôle. Et uniquement lui. Si demain, on me demande de faire  ce que je ne sais pas faire, il est évident que je vais tirer toutes les leçons. Et aucune option n’est exclue.

En attendant, je souhaite avoir ton avis. Lequel comptera beaucoup dans la décision que je devrais prendre.

Ton ami, le nouveau ministre.

Habib Yembering Diallo

664 27 27 47

Toute ressemblance entre cette histoire et une autre n’est que pure coïncidence.

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