Lutte contre les hépatites : « nous sommes entre 18 et 19%, un des taux les plus élevés au monde »

L’humanité a célébré la journée mondiale de lutte contre les hépatites dans la journée d’hier, mardi 28 juillet 2020. Les hépatites virales B et C sont de graves problèmes de santé qui touchent plus de 325 millions de personnes dans le monde, selon l’Organisation Mondiale de la Santé. Ces hépatites comptent parmi les causes premières du cancer du foie qui entraîne 1,34 millions de décès chaque année, ajoute la même source.

Pour parler de cette journée et de la lutte contre les hépatites, un reporter de Guineematin.com a échangé avec le Dr Abdourahmane N’diouria Diallo, président de l’ONG SOS Hépatites Guinée. Dr N’diouria est un médecin de renom, maitre de conférences, hépato-gastro-entérologue, chargé des cours de gastro-entérologie à la Faculté de Médecine de l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry depuis 1992.

Guineematin.com : quel est le sens de la célébration de journée mondiale contre l’hépatite le 28 juillet de chaque année ?

Dr Abdourahmane N’Diouria Diallo : le 28 juillet, c’est la date de naissance de Dr Baruch Bloomberg ; c’est lui qui a trouvé le virus de l’hépatite B, c’est lui qui a développé le test et surtout c’est lui qui a développé le vaccin contre le virus de l’hépatite B. Donc, c’est une journée internationale de sensibilisation afin que les gens se dépistent très tôt, que les gens prennent les mesures au niveau individuel, de la société, de l’Etat, des bailleurs pour faire disparaître ce fléau qui sévit surtout en Afrique sub-saharienne.

Qu’est-ce qu’on entend par Hépatite et à quoi sont-elles dues ?

En général, l’hépatite est une inflammation des cellules du foie ; elle peut-être aiguë ou chronique. Il y a différentes origines mais ce sont des hépatites virales : hépatite A, B, C, Delta et E. L’hépatite A et E sont des hépatites qui sont dues à l’ingestion d’aliments, de l’eau souillée ; ce sont des hépatites qu’on appelle les mains sales. L’hépatite B, C et Delta sont des hépatites qu’on peut trouver dans les rapports sexuels non protégés, dans le sang, dans la sueur, dans la salive, dans les selles et urine essentiellement. Mais, le virus de l’hépatite B se transmet essentiellement en Afrique dans 95 % des cas par la maman, donc c’est une transmission de mère à enfant. C’est pourquoi, le thème de cette année sera intitulé « Le dépistage et suivi de la femme enceinte, la prise en charge c’est pour sauver la vie de la mère, de l’enfant mais en fait c’est sauver beaucoup de vies ».

Vous avez parlé des types d’hépatites. Quelle est la particularité de chacune d’elles ?

Les différents types sont A, B, C, D ou Delta. Il n’y a pas d’hépatite Delta isolée, le virus de l’hépatite Delta co-infecte, surinfecte le virus de l’hépatite B. Les deux là sont associées. Maintenant, les hépatites E et A, la particularité c’est qu’elles sont appelées les maladies des mains salles, la boue dans les mines, dans les confins de Siguiri… Maintenant, B, C et Delta, se font par transmission sexuelle, mère à enfant. La particularité c’est qu’actuellement, il y a un fossé. Dans les pays développés, il y a peu d’hépatite B et beaucoup d’hépatite C parce que là-bas, il y a des toxicomanes, gens qui s’injectent de la drogue, des prisonniers et les homosexuels. Alors qu’en Afrique subsaharienne, c’est l’hépatite B. L’OMS a dit que depuis 2015 et 2016, au moins un milliard et demi de personnes sont entrées en contact avec le virus de l’hépatite B. Actuellement, d’après l’OMS, 3 million de personnes vivent avec ce virus et que 1, 34 millions meurent chaque année suite de maladie virale hépatite B ou C. Chez nous, la femme enceinte peut transmettre de quatre manières le virus à son enfant. La maman peut transmettre ce virus là pendant la grossesse par le placenta mais essentiellement c’est pendant l’accouchement… Et ensuite, par le lait maternel à un autre degré et par le contact ; nous avons dit que le virus de l’hépatite peut se retrouver dans la salive. Quand la maman embrasse son bébé bouche à bouche à travers un bonbon ou quelque chose à manger. Et quatrième mode, c’est la peau, la sueur. Si les deux ont une gale, les boutons, les excoriations, si la maman porte le bébé au dos et qu’il y a la chaleur, la maman peut donner ce virus à travers la sueur à son bébé. C’est pourquoi, la femme enceinte est à l’honneur cette année d’après les 22 pays francophones qui nous ont accordé un prix en 2019 pour la prise en charge des hépatites virales.

Comment se manifestent les hépatites chez l’homme et comment les reconnaître ?

Justement, le problème c’est que les manifestations de l’hépatite ne sont pas spécifiques. C’est un peu de fièvre, un peu de grippe, un peu de fatigue. En Guinée, l’hépatite est prise pour paludisme et typhoïde pendant 20 ans. C’est quand la coloration des yeux va changer, quand les yeux sont jaunes, la peau aussi, en ce moment on parle de jaunisse et les yeux deviennent foncés. C’est en ce moment que certains médecins disent que c’est peut-être la jaunisse, peut-être c’est l’hépatite, on cherche jusqu’à l’hépatite B. Généralement, l’hépatite B est reçue chez nous à un stade avancé, des stades où il y a des complications parce que, le personnel aussi n’est pas tellement formé et il n’y a pas assez d’inconscience au niveau des médecins parce que les gens continuent à faire des perfusions en parlant de paludisme et de typhoïde. Et, on ne peut pas continuer à faire ça à un malade durant 20 ans. On recommande les gens d’aller en Europe alors qu’on laisse les personnels à côté. Alors, une fois que l’on découvre que c’est l’hépatite, il y a des examens à faire selon une procédure internationale de l’OMS.

Quel est le traitement approprié pour les personnes atteintes d’hépatites ?

Ça dépend, on peut avoir le virus et vivre à l’état endormi. On peut être porteur sain. Quand on a le virus il y a des examens spécifiques. Il y a l’antigène VE par exemple chez la femme enceinte qui porte le virus, le risque c’est la quantité de virus circulant, la présence du marqueur, ça s’appelle antigène VE. Quand l’huile est présente, ça signifie que le virus est en train de se multiplier. Donc, un malade qui vit avec un virus présent dans le sang avec un marqueur détecté antigène VE, ça signifie que le virus est en train de se développer, c’est une maladie qui tue à petit feu. Donc, si le malade n’a pas d’antigène VE ça veut dire que le virus est dormant mais il faut le surveiller parce qu’il peut se réveiller à tout moment et faire des enfants. Il faut un suivi normal et spécifique….

Ça veut dire qu’on bien prévenir les hépatites ?

Bien sûr. Chez la femme enceinte d’abord, il faut inclure la recherche de l’endigénance VS dans le bilan prénuptial, une fois que la femme est enceinte, si au bilan prénuptial l’un des partenaires est positif, on le suit selon le schéma international. L’autre qui est négatif, on le vaccine par une injection chaque mois pendant trois mois. Le bébé doit être vacciné dans les minutes qui suivent l’accouchement particulièrement chez la femme qui a l’antigène HBS confirmée parce que cette femme-là, son enfant a un risque entre 70 et 100% d’avoir l’hépatite et la complication par rapport à une femme qui a l’antigène HBE négative, c’est 5 à 10 %. Donc, une femme enceinte qui a l’hépatite, son bébé doit être vacciné le jour de la naissance dans les heures qui suivent. L’OMS dit que tous les enfants de la planète, maman hépatite ou sans hépatite doivent être vaccinés dans les 24 heures et c’est tout le monde que ça soit blanc ou noir. Selon le calendrier du Programme Elargi de Vaccination, le premier jour il prendra un vaccin monovalent, au 46ème jour, il prendra maintenant le pentavalent là où il y a beaucoup de vaccins associés. Mais, il doit prendre dans les 24 heures de sa naissance, un vaccin monovalent. Maintenant, il faut dépister l’entourage, dépister les femmes, les enfants, les domestiques et même les mamans. L’hépatite B est une hépatite familiale, c’est pourquoi la femme enceinte doit être prise en charge selon les normes de l’OMS. Cela est très important, consultation prénatale, suivi par un spécialiste, être chez la sage-femme ou le gynécologue et suivi après l’accouchement.

En tant que président de SOS Hépatites Guinée, vous menez un combat sans merci contre cette cesse contre cette maladie. Quelles sont les activités que vous réalisez ?

Nous recevons les gens selon un accueil chaleureux parce que, nous avons une communication à publier au mois de décembre sur les aspects psychosociaux. Au dépistage, soient les médecins et les laborantins disent que vous ne pouvez pas donner votre sang, vous avez un peu du palu chronique, c’est très grave et ils ne vont pas chercher l’hépatite. Eux, ils ne vont pas chercher l’hépatite, ils vont dire tu auras un problème de foie, les fiançailles sont rompues parce que tu es dangereuse, on ne te donne pas de visa parce que tu as l’hépatite B, tu es dangereuse pour notre population et souvent nous-mêmes quand nous disons que le traitement est à vie, certains malades paniquent. Nous avons des publications ici où des gens pleurent, où ils sont étonnés, il y a une stigmatisation avouée, divorce, faute de visa et jusqu’à la dépression. Tous les malades qui ont ce virus-là ont la phobie du cancer hépatique dans 51 % des cas. Maintenant le syndrome dépressif, ce malade qui a vécu surtout la prise en charge est difficile et chère, rien n’est gratuit, le malade devient un aigri social, il s’énerve contre sa maman, contre ses parents, contre les médecins. Il fait un repli sur soi, à 72% des cas, il rentre au village où il meurt tranquillement avec le cancer de foie.

Quel est le taux de prévalence de cette maladie dans notre pays ?

D’après notre étude, un échantillon de 2000 prélèvements nous avait donné 19%. Au centre national de transfusion sanguine, il y a trois ans, le directeur adjoint nous disait que parmi les donneurs bénévoles du sang, on retrouve 18%. Donc, la Guinée se trouve dans la fourchette la plus élevée du monde. Selon l’OMS, c’est quand vous avez 08% ou plus que vous êtes dans la zone d’hyper endémicité, mais nous sommes entre 18 et 19% et c’est l’un des taux les plus élevés du monde. Nous faisons le dépistage, nous administrons le traitement, nous donnons aux gens le schéma thérapeutique, nous faisons vacciner des nouveaux nés, l’entourage… Quand ils sont négatifs et nous faisons la communication. Je rends hommage à Guineematin.com, radio Bonheur, d’autres médias qui sont dans le pays et participent à la sensibilisation depuis toujours.

Quel appel avez-vous à lancer aux Guinéens dans le cadre de la lutte contre cette maladie ?

Je lance un appel aux médias audiovisuels qui font la publicité de certains individus qui se réclament détenteurs de traitements de toutes les maladies du monde. C’est très grave. Pour une petite somme, vous passez en boucle un monsieur qui se dit être capable de traiter le sida, l’hépatite, toutes les maladies du monde et même le Coronavirus. Cela a un mauvais impact social et à la longue, les gens qui ont l’hépatite, le sida, la Covid-19 n’iront pas voir un médecin spécialiste, mais ils viendront prendre des choses qui ne vont pas les soigner. Je demande aussi à tout le monde de se dépister. Faites-vous dépister personnellement, votre famille, votre entourage même si vous avez un domestique. Et, allez voir les spécialistes pour la prise en charge et non les radiothérapeutes ou les médecins généralistes qui ne maîtrisent pas le domaine. Je demande à tous les Guinéens de ne pas ségréguer les malades porteurs du virus de l’hépatite B, ceux qui ont les moyens d’avoir pitié et d’aider. Au lieu d’envoyer les gens qui ont le cancer de foie au Sénégal, Maroc, Tunisie ou en France, d’aider les gens en faisant le dépistage et le suivi des malades. N’attendez pas que quelqu’un ait le cancer de foie pour pouvoir le sauver. Ceux qui ont les moyens, tout le monde, le ministère de la santé. Mais essentiellement, je lance un appel aux députés de la République pour qu’ils votent un budget afin de soigner les hépatites. Votez un budget pour la prise en charge des hépatites virales en Guinée, les malades sont pauvres, l’hépatite est présente en Guinée, les gens sont analphabètes et le traitement est cher dans le monde. N’attendons pas que les bailleurs viennent… Il faut qu’on s’aide nous-mêmes.

Interview réalisée par Siba Guilavogui pour Guineematin.com

Tel : 620 21 39 77/ 662 73 05 31

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