Mariages précoces : 11 jeunes filles « sauvées » pendant ces vacances

En Guinée, les grandes vacances sont des périodes difficiles pour de nombreuses jeunes filles, exposées aux mariages précoces et violence en tous genres. C’est pour lutter conte toutes ces pratiques que le Club des Jeunes Filles Leaders de Guinée (CJFLG) est aujourd’hui très actif sur le terrain. Pas moins d’onze mineures ont été extirpées des griffes de parents qui voulaient les donner en mariage prématurément.

Dans la journée de ce jeudi, 6 septembre 2018, un reporter de Guineematin.com a rencontré l’une des responsables de la structure, en l’occurrence Fouleymatou Camara, secrétaire chargée aux affaires extérieures du CJFLG. Il a été essentiellement question des actions menées sur le terrain à l’occasion des vacances en cours.

Guineematin.com : vous êtes sur le terrain pendant ces vacances. Quels sont les cas de mariages précoces que vous avez répertoriés ?

Fouleymatou Camara : il faut rappeler qu’en deux mois, nous avons pu sauver onze filles des mariages précoces. Parmi ces cas, nous avons quatre à Conakry ici et des cas à l’intérieur du pays, comme à Kamsar. Parlant du cas de Kamsar, on nous a alertés qu’une fille de 14 ans a été promise pour un mariage et que l’homme qui devait l’épouser était en Côte D’Ivoire. Donc, la fille devait se marier ici et rejoindre son mari en Côte D’Ivoire. Mais, on s’est précipitée pour aller récupérer la fille à Kamsar pour la ramener à Conakry avec la complicité de nos sources. Une fois à Conakry, la fille a été présentée à la RTG pour que ses parents puissent la voir à la télé. On a également porté plainte contre les parents, parce que c’est notre procédure habituelle. Dès qu’il y a un cas de mariage précoce, on essaye de récupérer la fille, parce qu’on estime qu’elle n’est pas en sécurité. C’est dit dans le code de l’enfant guinéen, que toute personne âgée de moins de 18 ans est encore considérée comme un enfant. Et également, il est dit dans l’article 319 du même code que le mariage d’enfants est interdit en République de Guinée. L’article 320 dit que tout parent, qui va prendre une fille âgée de moins de 18 ans pour donner en mariage, sera condamné par la loi. Ces punitions vont de 3 mois à un an d’emprisonnement et au payement d’une amende de 300 000 à 500 000 francs guinéens. Et c’est aussi dit dans l’article 321, que tout homme qui épouse une fille de moins de 18 ans va courir la réclusion criminelle, parce que là on peut parler de viol conjugal.

Guineematin.com : au-delà des mariages précoces, dans quel domaine avez-vous agi ?

Fouleymatou Camara : on s’est intéressé récemment au cas d’une fille de 19 ans qui a été maltraitée par son oncle, c’est-à-dire le mari de sa tante maternelle. La fille a été ligotée par le monsieur, ensuite elle a été déshabillée puis enfermée dans une chambre. Avec les bras et les pieds attachés, le monsieur a commencé à frapper la fille. Si vous voyez le corps de la fille, c’est vraiment de la sauvagerie. Actuellement, la fille est avec nous et le monsieur en question est en prison à Dixinn. Certaines de nos copines suivent le dossier, il parait même que le procureur a dit qu’il va accélérer le jugement pour qu’il soit condamné comme ça se doit.

Guineematin.com : qu’en est-il des cas de viol ?

Fouleymatou Camara : le cas de viol est devenu très compliqué en Guinée et là, c’est vraiment sensible. Nous, entant que Club des Jeunes Filles Leaders de Guinée, nous avons au moins 5 cas de viol pendant ces vacances. On a une fille de 6 ans avec nous, une autre de 13 ans qui a été violée par un jeune de son quartier et la fille a contracté une grossesse après le viol. On a aussi un autre cas d’une fille de 11 ans. Mais, il faut dire que c’est difficile de rendre justice pour ces cas de viol. Parce que les gens ne croient pas au viol, dès que tu parles de viol on te regarde bizarrement. Et ces filles-là, il faut comprendre ce qu’elles ressentent, elles ont été violées sans leur consentement et c’est très grave. On fait notre mieux avec l’OPROGEM pour venir au secours de ces filles. Mais, jusqu’à maintenant, c’est vain. Si l’autorité ne vient pas avec nous pour punir les coupables, notre combat ne pourra pas suffire seul. J’ai vu dans le code pénal que le viol est condamné à perpétuité, mais je ne comprends rien de l’application de ce code. Si quelqu’un viole et qu’on ne rend pas justice, demain une autre personne va faire la même chose, en estimant que rien ne lui arrivera. Et là, c’est la fille qui va se sentir stigmatisée dans la société. Parce que partout elle passera, les gens diront que c’est une fille violée.

Guineematin.com : souvent vous assignez des gens en justice, est ce que ces plaintes aboutissent ?

Fouleymatou Camara : d’abord, on va commencer par les cas de mariages précoces. Parce que les vacances là, on avait nommé vacance sans mariage d’enfants. Parmi ces onze cas de mariages précoces, finalement tous les parents ont renoncé suite à notre intervention. C’est la vulgarisation de la loi qui fait défaut ici et on sait que la majeure partie de la population est analphabète. Donc, on doit vulgariser les lois dans nos langues du pays, si non ça serait très compliqué de mener ce combat. Donc, si on explique aux parents que le mariage précoce est condamné, ils nous disent qu’ils ne savaient pas et ils prennent l’engagement de ne pas donner leurs filles en mariage précoce.

Il y a des lois qui existent contre le viol, mais elles ne sont pas appliquées. Ceux qui violent sont dans nos quartiers, mais on peut porter plainte contre eux, et ils refusent de répondre à la convocation. Et après, rien n’est fait. Pour les cas de mariages précoces et les maltraitances physiques, souvent les plaintes aboutissent. Mais, tel n’est pas le cas pour le viol. Donc, pour le cas du viol, il reste encore beaucoup à faire.

Guineematin.com : quel appel lancez-vous au gouvernement et aux parents pour vous aider à combattre le viol ?

Fouleymatou Camara : dans un cadre général, nous allons commencer par interpeller l’autorité. On appelle l’autorité de nous aider à vulgariser, de nous aider à ce qu’on ait des spots qui vont parler de la vulgarisation de la loi. Dans les autres pays, tu peux voir un citoyen lambda qui n’a pas été à l’école mais qui est très bien informé sur la loi, plus que d’autres qui ont été à l’école. Mais, nous ici, c’est le contraire. Donc, on doit nous aider à vulgariser la loi. Il faudrait que les autorités prennent leur responsabilité sur le viol qui persiste dans notre pays et qui continue toujours. Quand tu parles de viol dans ce pays, on te dit que les filles s’habillent mal. Je dis une fille de six ans fait quel genre d’habillement pour être violée ? Donc c’est pour dire que ce n’est pas l’habillement qui provoque, il faut qu’on applique la loi. Si la loi est appliquée, le viol va cesser dans notre pays.

On demande aux parents de reprendre leurs responsabilités. Dans les cas de mariage, les parents disent que j’ai peur que ma fille tombe enceinte chez moi. Si c’est un parent responsable qui sait ce que sa fille fait, qui prend le temps le faire l’éducation sexuelle à la maison, est-ce que ce parent-là peut craindre que sa fille tombe enceinte ? Non.

Entretien réalisé par Siba Guilavogui pour Guineematin.com

Tél. : 620 21 39 77 / 662 73 05 31

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