Moratoire de la dette des pays africains : tribune

Mamadou Safayiou DIALLO, analyste Economique
Mamadou Safayiou DIALLO, analyste Economique

Le 15 avril dernier, les pays membres du G20 ont pris la décision de suspendre pour un an le service de la dette pour les pays les plus pauvres du monde, dont une quarantaine de pays africains. Ce moratoire sur la dette des pays pauvres devrait « libérer 20 milliards de dollars » qui devrait permettre aux États concernés de mobiliser les ressources qu’ils auraient pu engager pour rembourser la dette publique et les utiliser contre la pandémie du Covid-19. Comparé à la dette totale de l’Afrique qui tourne autour de 365 milliards de dollars selon diverses sources, dont environ un tiers dû à la Chine, cette somme ne représente pratiquement rien.

Si un tel juste geste est jugé très positif par certains d’observateurs du fait de la méconnaissance du sujet et de ses avatars, les économistes africains abordent le sujet avec prudence et beaucoup de mépris. Selon Demba Moussa Dembélé, directeur du Forum africain des alternatives. « La décision du G20 est ridicule, ce n’est pas à la hauteur de la situation ».

Par ailleurs, même si l’Afrique reste encore relativement peu touchée par la pandémie, par rapport au reste du monde notamment les Etats-Unis qui peine à endiguer les effets néfastes de la maladie, l’on craint une flambée de cette dernière sur le continent africain où les systèmes de santé sont notoirement insuffisants. Les conséquences économiques risquent d’être dévastatrices pour l’Afrique en raison de la baisse du prix des matières premières exportées par les pays africains. C’est pourquoi, La Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) ont averti que l’Afrique subsaharienne connaîtra en 2020 sa première récession économique généralisée depuis 25 ans.
Cependant, bon nombre d’Economistes à l’image du Professeur Kako Nubukpo se demandent aujourd’hui pourquoi les dettes africaines reviennent de façon récurrente dans le débat international ? Pourquoi l’Afrique n’arrive-t-elle pas à se sortir de la spirale infernale du surendettement ?

L’endettement récurrent des pays africains résulterait en premier lieu de la faiblesse des exportations mais aussi de la non diversification de nos pays qui sont spécialisés dans la production des matières premières sur lesquels il n’a aucune influence sur le mécanisme de fixation du prix. Ce qui fait que d’ailleurs, bon nombre de pays africains ont des ratios dettes sur exportations ou encore service de la dette sur exportations très élevés. C’est pourquoi quelque part nous constatons que nos recettes d’exportations ne suffisent pas pour faire face à la couverture de nos importations.

En second lieu, l’endettement des pays africains résulterait dans la faiblesse du taux de pression fiscal de nos pays (surtout ceux de l’Afrique subsaharienne) qui est structurellement inférieur à 20 % du PIB, alors qu’il se situe au-delà de 40 % dans le monde développé. Ce qui d’ailleurs empêche les pays africains à faire face à la couverture de leurs dépenses de fonctionnement, d’investissements et de transfert.

Le troisième et dernier facteur explicatif du surendettement de nos pays est le niveau structurellement élevé des taux d’intérêt réels en Afrique, souvent plus du double du taux de croissance économique ; or, quand vous empruntez à un taux d’intérêt supérieur au taux de croissance économique, il y a peu de chances que vous puissiez rembourser votre emprunt (Kako Nubukpo).

En dépit de ce qui précède, la question est alors de savoir, pourquoi ne pas annuler la dette des pays africains qui représente en terme comparatifs, une goutte d’eau dans l’océan de la finance internationale ?
A notre humble avis, les nations développées ne prennent pas une telle décision parce qu’elles veulent continuer à avoir un moyen de pression sur les pays concernés. Pour preuve, à fin décembre 2019, le stock de la dette des pays africains était de 365 milliards de dollar comme souligné ci-haut. A date, le FMI à lui seul a annoncé la mise en place d’une aide financière aux pays pauvres de plus 1 000 milliards de dollar. En ajoutant à ce fonds, les aides financières annoncées par la Banque mondiale, l’ONU, l’OMS ou encore les plans de riposte contre le Covid-19 mis en place par les grands pays pour endiguer la maladie et enrayer ces néfastes sur l’économie, l’on serait de loin à plus de 10 000 milliards de dollar.

La même chose s’est répétée en 2007 juste au moment où la crise économique de 2008 battait à son plein. A l’époque, la dette des 122 pays en développement tournait autour de 1350 milliards de dollar. Les Banques Centrales occidentales et Etats avait mis à la disposition des marchés financiers et interbancaires entre avril et octobre 2008, plus de 7 800 milliards de dollars US. De plus, sur la même période, les places financières avaient perdu plus de 37 000 milliards de dollars sans que le Système Financier International ne ressente réellement quelque chose s’est passé (Attali J, 2008).

A la lecture de ce qui précède, l’on se rend compte que l’annulation de nos dettes n’affecte en rien le fonctionnement du système économique mondial car, à date, les ministres africains des Finances et l’Union africaine ne demandent simplement qu’un allègement immédiat de la dette de 44 milliards de dollars et la constitution d’un fonds supplémentaire de 50 milliards de dollars pour faire face au report du paiement des intérêts de la partie non-annulée de la dette africaine. Ces montants qui sont d’ailleurs très marginaux par rapport au coût que cette crise sanitaire représente dans le monde occidental.

En somme, le report du paiement du service de la dette ne sera pas bénéfique aux pays africains. En effet, les dépenses des États africains sont appelées à augmenter de manière drastique pour contrer la propagation du Covid-19 alors même qu’il faut continuer à faire face aux défis du développement. À ce constat, s’ajoute la chute importante des recettes qui vient réduire davantage les marges budgétaires. Par ailleurs, un allègement de la dette ou un moratoire pour le paiement des échéances ternira davantage l’image des États et compromettra leur accès aux financements futurs.

Mamadou Safayiou DIALLO

Analyste Economique

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