Procès en appel de Grenade : Me Mohamed Traoré demande à la Cour de « juger autrement »

maître Mohamed Traoré, avocat
Me Mohamed Traoré, avocat

« Monsieur le président, je vous prie de juger autrement ». C’est ainsi que maître Mohamed Traoré a conclu sa plaidoirie hier, vendredi 19 février 2021, devant la Cour d’appel de Conakry, où se poursuivait le procès en appel de Boubacar Diallo, alias Grenade. Pendant plus d’une demi-heure, l’avocat a tenté de convaincre la juridiction supérieure que le jeune militant de l’UFDG a été injustement condamné à 10 ans d’emprisonnement en première instance.

Il a fait remarquer que l’arme que « Grenade » est accusé d’avoir détenu n’a jamais été présentée et que la tentative de meurtre n’est basée que sur les allégations des gendarmes qui l’accusent. C’est pourquoi, l’avocat de la défense a sollicité l’annulation de la décision prononcée par le tribunal de première instance de Dixinn et la libération de Boubacar Diallo, qui est détenu depuis début 2019 à la maison centrale de Conakry.

Guineematin.com vous propose ci-dessous un extrait de sa plaidoirie :

« Boubacar Diallo, alias Grenade, est poursuivi pour deux infractions : détention illégale d’arme de guerre et tentative de meurtre. Monsieur le président, pour tromper l’auditoire et tenter de vous tromper vous aussi, on dira que dans ce dossier, il y a des photos où on voit M. Diallo porter une arme. Des photos au nombre de 14 pages ont été communiquées au niveau de toutes les ambassades, alors que quand quelqu’un vol ici un sac de riz, quand quelqu’un est accusé d’escroquerie, on n’envoie pas les colis au niveau des ambassades. Mais, la seule photo (parmi tout le lot) sur laquelle on voit M. Diallo avec une arme, c’est cette photo qui a été prise dans les locaux de la brigade de recherche de Matam.

Vous-même, vous voyez sur la photo, il est torse nue. Quand c’est lui-même qui a voulu prendre cette photo, pensez-vous qu’il allait la prendre torse nue ? Non. La photo a été faite pour les besoins de la cause. C’est très courant dans certains services de notre police judiciaire. Quand on arrête quelqu’un, il y a des armes quelque part, on prend une de ces armes, on la fait porter par la personne, on la verbalise. Parce que jusqu’à présent, on n’arrive pas à se départir de ce type de complot. On n’arrive pas à se départir de ce qui se passait sous l’ancien régime. Ces gendarmes, ces policiers et autres, formés en Tchécoslovaquie, en Russie, en Chine, dans les pays soviétiques, sont très forts dans la manipulation, dans l’intoxication.

Ces policiers-là ont encore des héritiers dans les services de police et de gendarmerie. Il n’y a que cette photo qui a été prise après qu’il a été torturé. On lui fait porter l’arme et on dit voilà l’arme qu’il porte. Je reviens sur l’article que le procureur lui-même a cité. Il a parlé de l’article 497 qui dit que le juge ne fonde sa décision que sur les éléments de preuves qui ont été apportées devant lui et contradictoirement discutées. L’arme dont on parle, est-ce qu’elle a été apportée ici ? Vous avez vu l’arme en question ? Monsieur le président, j’ai l’impression parfois que la police, la gendarmerie, aidées par les parquets, essayent d’infantiliser les magistrats de siège.

Parce qu’on pense qu’un magistrat de siège digne de ce nom, peut accepter de condamner quelqu’un pour détention d’une arme que le juge n’a pas vue. Parce qu’à Dixinn on l’a fait, ils pensent que c’est possible. On va vous dire ici que l’arme est sous scellé, mais c’est faux. C’est archi-faux. Dans un procès, quand il y a un objet placé sous scellé, l’objet doit être présenté au juge. Même lorsqu’il s’agit d’une substance sensible comme la drogue par exemple, on veille toujours à ce qu’un échantillon de cette drogue-là soit présenté. Monsieur le juge, messieurs les conseillers, allez-vous juger quelqu’un et le condamner pour détention d’une arme que vous n’avez pas vue ? Non.

Je ne sais pas si le conseiller Samba Sidibé est allé à la Mecque. Je sais aussi que vous, monsieur Souleymane Bah (le président, ndlr), vous êtes allé à la Mecque, vous avez vu la Kaaba. Est-ce que vous pouvez vous permettre d’entrer en condamnation en votre âme et conscience, en votre intime conviction, contre une personne pour détention d’une arme que vous n’avez pas vue ? Il faut que nous disions à la gendarmerie et à la police d’arrêter de vous prendre comme des moutons. On arrête les gens, on appelle la RTG, la presse de façon générale, et on fait porter à ces personnes des armes qui sont avec eux (les agents de sécurité) souvent. Où est l’arme ? Monsieur le président, en l’absence de cette arme là, vous ne pouvez pas condamner. Ce n’est pas possible.

Sur la tentative de meurtre, c’est un gendarme qui a dit que Boubacar Diallo a tiré sur eux. Et le parquet veut que vous preniez cela pour argent comptant (…). Dans cette affaire, ce jeune a été illégalement détenu. On a fait de son cas, un fonds de commerce politique. C’est un sale dossier. Je suis horrifié quand je vois notre pays retourner encore dans ce passé sombre. Des écoutes téléphoniques, des filatures, partout où tu pars, il y a des agents de renseignement. Est-ce qu’on a besoin de ça ? Monsieur le président, j’ai terminé ma plaidoirie, et je vous prie de juger autrement », a conclu l’ancien bâtonnier de l’ordre des avocats de Guinée, maître Mohamed Traoré.

 

Saïdou Hady Diallo pour Guineematin.com

Tél. : 620589527

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