Rareté de la pluie cette année en Guinée : Dr Alpha Mamadou explique les raisons et accuse le gouvernement

Honorable Dr Alpha Mamadou Baldé, député uninominal de Tougué membre commission Environnement, Pêche, Développement Rurale
Dr Alpha Mamadou Baldé, député uninominal de Tougué membre commission Environnement, Pêche, Développement Rurale
Honorable Dr Alpha Mamadou Baldé, député uninominal de Tougué membre commission Environnement, Pêche, Développement Rurale
Dr Alpha Mamadou Baldé, député uninominal de Tougué membre commission Environnement, Pêche, Développement Rurale

L’humanité a célébré ce lundi, 17 juin 2019, la journée mondiale de la désertification et de la lutte contre la lutte contre la sécheresse. En Guinée, cette journée semble être banalisée par les autorités, alors que le pays subit de plein fouet les effets du changement climatique.

L’honorable Dr Alpha Mamadou Baldé, député uninominal de Tougué et membre de la commission Environnement, Pêche, Développement Rurale et Durable de l’Assemblée nationale, a accordé un entretien à Guineematin.com à cette occasion. Le parlementaire est revenu notamment sur les causes de la rareté de la pluie constaté cette année dans notre pays, accusé le gouvernement de favoriser cette situation, avant de proposer quelques pistes de solutions.

Décryptage !

Guineematin.com : l’humanité a célébré ce lundi, 17 juin 2019, la journée mondiale de la désertification et de la lutte contre la sécheresse. Cette journée intervient à un moment pendant lequel habituellement il pleut beaucoup en Guinée, mais cette année c’est tout le contraire. Même à Conakry où la pluviométrie est connue pour être dense, il ne pleut que très peu cette fois-ci. En tant que membre de la commission Environnement de l’Assemblée nationale, est-ce qu’on est menacé par la sécheresse ?

Dr Alpha Mamadou Baldé : nous subissons directement les effets du changement climatique. Changement climatique dû aux effets de l’Homme d’abord, il faut aller à la cause profonde. Il y a eu énormément de déforestation, les têtes de sources dénudées à cause des activités agricoles. Il y a, comme vous le savez, l’agriculture sur brûlis où il faut déboiser, brûler et après cultiver pour une année et quitter encore cet espace-là pour aller à un autre. Donc, c’est ce qu’on appelle agriculture extensive. Elle créé énormément de problèmes, parce qu’elle créé des feux de brousse. Vous avez un demi-hectare à valoriser, vous avez fait le défrichement pour ce demi-hectare, ils attendent au mois d’avril pour mettre le feu.

C’est une seule personne qui met ce feu, si elle n’arrive pas à maîtriser le feu, le feu va déborder, quitter le demi-hectare que la personne voulait cultiver pour brûler plus de cent hectares. Si vous quittez Conakry pour Labé ou Conakry pour Kankan, de gauche à droite de notre route, vous regardez des feux de brousse incontrôlés. Ça, c’est ce qu’on appelle la déforestation. Parce que ça cause énormément de problèmes au peu qui reste en termes de forêt. Ça, c’est le premier aspect.

Le deuxième aspect, c’est la coupe abusive du bois. Toutes les têtes de sources, les berges des cours d’eaux, là où on avait quelques espèces de bois qui restaient, avec la pauvreté qui s’est accentuée dans notre pays, les gens vivent nécessairement des ressources naturelles. Et donc, les villageois, les paysans se sont spécialisés dans cette coupe du bois. Il y a des tronçonneuses dans toutes les préfectures, dans toutes les sous-préfectures, des milliers de tronçonneuses existent et sont en train de couper le bois. Et malheureusement, il y a eu un manque de volonté politique parce qu’à un moment donné, c’était le ministère de l’environnement avec celui du budget qui ont accordé des autorisations de coupe du bois.

En 2016-2017, des individus ont eu des autorisations de couper le bois, donc quand ils viennent dans une préfecture, préfet, gouverneur ne pouvaient rien, les populations aussi, parce qu’ils viennent de Conakry avec une autorisation de couper. Et, il peut couper 2000 à 3000 madriers dans une sous-préfecture. Un bois qui avait 50 ans, 100 ans, ça existait, et quand vous le coupez, ce n’est pas en moins de 60 ans que vous allez le restaurer. Il n’y a pas de restauration, on a fait que couper. Ça, c’est la deuxième grande cause.

La troisième cause, je crois qu’il y a l’effet de l’érosion. Aujourd’hui, on peut dire qu’on a perdu plus de 60% de nos cours d’eaux, l’eau de surface a presque disparu. J’ai visité le fleuve Niger, j’ai visité le Bafing, qui est un fleuve transfrontalier qui, loin est appelé le fleuve Sénégal. Et, c’est à cause de ça qu’on a l’OMVS, donc il a beaucoup d’avantages au niveau transfrontalier et international. Ce fleuve Bafing, la source c’est à Mamou. Mais aujourd’hui, vous venez à la source, vous ne verrez aucune goutte d’eau. Il n’y a rien, tout est sec à Mamou. Vous traversez le fleuve Bafing là où il y a la plaque Tolo, c’est par là-bas que le fleuve passe, il n’y a pas d’eau, il n’y a rien. Et pourtant, c’est là-bas la source.

Donc, ça veut dire les sources de nos cours d’eaux ont été sérieusement affectées, il y a eu le déboisement, la déforestation et aujourd’hui, nous perdons les cours d’eau. C’est valable pour la Gambie, dont le fleuve a pris sa source près de Labé. C’est valable pour le fleuve Niger, c’est valable pour les autres. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui, il n’y a pas de cours d’eau. Et ça, ça affecte totalement la vie des populations. Aujourd’hui, malheureusement, ce changement climatique est ressenti dans la Guinée profonde. Les paysans ont reconnu que le climat a changé.

Parce que comme vous le dites, nous sommes au mois de juin et jusque-là, il y a des préfectures où il n’y a eu aucune goutte de pluie tombée afin de pouvoir semer le maïs à plus forte raison aller dans les champs pour commencer les activités agricoles. Avant, les premières pluies arrivaient en Guinée au mois d’avril et on commençait les semis. Maintenant, au mois de juin, quand j’appelle dans certaines préfectures, on me dit : « nous on attend, on n’a pas encore semé le maïs ». Donc, c’est un indicateur qui fait que le citoyen lambda, le petit paysan reconnaît qu’il y a les effets du changement climatique. Et donc, c’est le moment d’agir sinon l’heure est grave.

Guineematin.com : vous, en tant que parlementaire, membre de la commission environnement, qu’est-ce que vous faites pour faire face à cette situation ?

Dr Alpha Mamadou Baldé : à l’Assemblée nationale, on a fait ce qu’on a pu faire, à l’image de nos confrères députés des pays voisins. La commission environnement, l’Assemblée nationale guinéenne n’est pas en retard, nous sommes à jour. On a voté la convention sur la biodiversité qui existait depuis les années 90 et dont la Guinée n’avait pas ratifiée. La convention sur la biodiversité a été donc adoptée et ratifiée grâce à notre Assemblée nationale. Ça c’est une excellente chose parce que nous avons intégré le fil des conventions des Nations Unies sur le changement climatique. Ça, c’est un.

Deuxièmement, on a voté le code forestier national, adopté avec ses implications. Je dois dire malheureusement, après le vote des différents codes, des différents textes de lois, nous restons à l’écoute et à l’attente du gouvernement qui est en retard, qui est incapable de produire des textes d’application. Et, c’est là où les citoyens ne comprennent pas, ils s’en prennent aux députés pour dire qu’est-ce que l’Assemblée nationale fait. L’Assemblée vote la loi ; nous, nous représentons les populations, nous disons que cette loi est bonne pour le pays, on passe au gouvernement, le président de la République doit promulguer cette loi. Une fois elle est promulguée, normalement, le ministère en charge de cette question, doit rapidement produire des textes d’application.

Mais, on peut voter une loi, trois ans après, elle est dans les tiroirs, on n’a pas les textes d’application. C’est pourquoi finalement, on a exigé que tous les textes de loi doivent venir avec leurs textes d’application. Mais, même quand ça arrive, on regarde les lois, on trouve qu’il y a des insuffisances. Nous disons que ces textes-là, ne peuvent pas répondre aux préoccupations de cette loi, il faut amender, et ces amendements-là tardent parfois à venir. Et, tant qu’il n’y a pas de textes d’application, on ne peut pas parler d’application ou de textes de lois. C’est ce qui retarde. Il y a des textes de loi qui sont votés, il n’y a pas d’application. Les populations ne connaissent pas le contenu, elles ne connaissent pas les applications.

On parle de répression de la coupe du bois, des feux de brousse dans le code, mais comme ce n’est pas vulgarisé, ce n’est pas appliqué, les gens ne savent pas. Et, la corruption aidant, parce que c’est un gouvernement corrompu, donc les gens au lieu de passer par l’application des textes, passent par des arrangements. Tu vois quelqu’un qui a mis le feu, il a brûlé 100 et quelques hectares, les textes de lois prévoient ce qu’il faut appliquer à cette personne et ou à ces personnes-là. Dès que vous appliquez la loi sur une ou deux personnes par rapport aux feux de brousse, je vous assure que ça va freiner l’allure en tout cas par rapport aux feux de brousse. Mais depuis 2012, aucune action n’a été menée par rapport à ces acteurs de feux de brousse.

Et, quand on parle de coupe du bois, dans la circulation, tout le monde voit les cargaisons de bois qui passent. On se contente de faire payer des frais : frais de transit. On a mis en place des gardes forestiers, mais qui sont pauvres, ils ne sont pas pris en charge, ils assurent eux-mêmes leur habillement, leur protection, les moyens de déplacement. L’Etat ne leur a rien donné jusqu’à maintenant. Et, comme ils ne sont pas pris en charge, on dit débrouillez-vous. Et donc, ils se débrouillent contre-nous. Parce que c’est eux qui autorisent les coupes du bois, c’est eux qui couvrent les coupeurs de bois, c’est eux qui couvrent ceux qui sont pris pour feu de brousse.

Et, tout commerce d’espèces menacés de disparition : espèces floristiques, espèces fauniques, sont couverts par eux (les gardes forestiers). Ça c’est un problème que la Guinée a sous les bras à régler. Quand on parle de sécheresse, il faut avouer qu’elle n’est pas à nos portes, elle est à l’intérieur du pays. Aujourd’hui, si vous voyez les préfectures de Koundara, de Gaoual, de Mali, de Tougué, de Siguiri, toute cette bande, c’est la sécheresse, c’est fini, c’est déjà un climat sahélien qui est là maintenant.

Guineematin.com : avez-vous un message à l’endroit des populations mais aussi des dirigeants à l’occasion de cette journée de lutte contre la sécheresse ?

Dr Alpha Mamadou Baldé : je commencerai par cette nécessité d’une volonté politique. Quand vous entendez volonté politique, ça interpelle le premier magistrat du pays. Le président de la République, à l’occasion de cette journée par exemple, avec la mise en place de la REED plus (Réduction des Effets de la Déforestation) que les Nations Unies ont reconnue, il devait intervenir. Ce que moi je dis là, si c’était lui qui le disait et en ces termes : que les lois soient appliquées, qu’on mette fin à la carbonisation et aux feux de brousse, l’exploitation abusive du bois, qu’on interdise la prolifération des tronçonneuses dans notre pays, si c’est lui qui le dit, c’est ça la volonté politique.

Et, en disant ça, il dit les mesures d’accompagnement : vous n’aurez plus la carbonisation, j’ai subventionné le gaz. Donc les femmes, et en milieu rurale et en milieu urbain, elles ont le gaz, tout le monde prépare avec le gaz. En ce qui concerne la protection des cours d’eau, le gouvernement dit voilà ce qui est pris comme mesures : on met les gardes forestiers dans les conditions, on déclenche un programme intensif de reboisement, et pour le faire, on revoit le budget national. Lui-même il dit : maintenant je demande à ce que la convention internationale de MAPOUTO qui accorde les 10% au développement rural, que cette convention soit appliquée par le ministère du budget et que normalement, le ministère de l’agriculture, de l’environnement, élevage et pêche tiennent les 10% du budget national. Ça, c’est le minimum dans tous les pays de la sous-région.

En Guinée, ces quatre départements n’ont pas 5% du budget national, où on peut aller avec ça ? Pendant ce temps, le département de l’Economie et des Finances et celui de la défense ont plus de 10%. Donc, c’est un problème réel qui fait que cette volonté politique se mesure dans l’analyse du budget national. C’est là qu’on doit savoir que le gouvernement veut parler de développement durable ; sinon, tout est vains mots, tout est populisme, tout est tapage, tout est campagne, tout est faux. Ce qui est vrai, c’est que la pauvreté s’est installée et les populations vivent mal.

Je voudrais m’adresser à ces populations : vous devez savoir quand l’homme a faim, il n’a pas mangé, il y a une forêt à côté, il y a un bois, s’il coupe là-bas, il a 30 madriers, un madrier c’est 80 mille francs, 30 madriers à c’est minium 2.400 000 francs ou plus. Donc avec un seul bois, il a 2.000 000 de francs ou plus, il n’a rien pour payer son sac de riz et le bois est à côté. L’autre a la tronçonneuse, il peut, en deux jours, abattre ce bois-là, mettre les madriers en tas et il y a un acheteur qui est prêt, voilà le problème. Donc, vous allez beau dire arrêtez, tant qu’une solution n’est pas trouvée, l’alternative pour que les gens trouvent à manger, ils ne laisseront pas les forêts. C’est ça la vérité.

Entretien réalisé par Ibrahima Sory Diallo pour Guineematin.com

Tél. : (00224) 621 09 08 18

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