Résurgence d’Ebola en Guinée : un guéri d’il y a 5 ans à la base de la nouvelle épidémie ?

Le fait qu’une nouvelle flambée épidémique puisse se produire à partir d’un individu porteur d’une infection latente, cinq ans après une épidémie antérieure, était totalement inattendu. Mais, cette nouvelle approche pourrait bien marquer un changement de paradigme dans la pensée collective en Guinée. Car, depuis la résurgence de la maladie hémorragique à virus Ebola dans la sous-préfecture de Gouécké, en février dernier, l’idée la plus répandue sur l’origine de cette nouvelle épidémie est le passage du redoutable agent pathogène de l’animal à l’homme (anthropozoonose). Mais, selon la conclusion de trois rapports indépendants, publiés le 12 mars dernier sur le site « virological.org », la flambée épidémique actuelle d’Ebola en Guinée aurait été causée par un survivant de la précédente épidémie d’Ebola qui a sévi dans le pays entre 2013 et 2016 et qui avait fait 11 300 morts (sur 28 600 cas recensés) en Afrique de l’Ouest dont 2 536 morts pour 3804 cas officiellement enregistrés en Guinée.

Déjà, on sait que le virus Ebola peut échapper au système immunitaire, en allant se loger dans des sanctuaires immunologiques (le globe oculaire, les testicules, le liquide céphalo-rachidien). On sait aussi qu’à ce jour, la plus longue durée de persistance du virus chez un survivant de cette maladie hémorragique était de 531 jours. D’ailleurs, en 2015, des chercheurs avaient rapporté le cas d’un survivant âgé de 56 ans dont le liquide séminal renfermait le virus 17 mois après l’apparition de la maladie. Et, en février 2016, cette personne avait transmis le virus par voie sexuelle 470 jours après le début des symptômes et avait été à l’origine d’une flambée épidémique en Guinée et au Liberia.

Cependant, la question qui taraude les esprits est de savoir comment expliquer chez un survivant la réactivation du virus Ebola après plusieurs années. Mais, l’hypothèse de loin la plus probable est que le virus, maintenu à l’état latent dans les testicules, soit réactivé à la faveur d’une infection intercurrente ou d’une baisse de l’immunité ; ensuite, ait été transmis lors d’un rapport sexuel.

Selon les études publiées sur virological.org et repris par le journal ‘’lemonde.fr’’, trois équipes ont cherché à déterminer la nature de la souche virale de l’actuelle épidémie d’Ebola en Guinée. Pour la première équipe, trois prélèvements ont été envoyés à l’Institut Pasteur de Dakar (au Sénégal) pour séquençage génétique. Les chercheurs, en association avec des biologistes moléculaires des universités du Nebraska (États-Unis) et d’Édimbourg (Royaume-Uni), sont parvenus à obtenir deux séquences génétiques, correspondant respectivement à 99,6 % et 98,7 % de l’ARN viral génomique. Ils ont ensuite comparé les deux séquences génétiques du virus circulant actuellement en Guinée à 1 063 génomes de l’épidémie d’Ebola qui avait sévi de 2013 à 2016. Et, il s’avère que les génomes des virus Ebola circulant en 2021 sont extrêmement proches de ceux de l’épidémie historique.

Par ailleurs, les génomes partagent dix substitutions qui étaient apparues lors de l’épidémie historique, en particulier une mutation qui était survenue en Sierra Leone et qui témoigne d’une adaptation du virus à l’homme (mutation A82V dans la glycoprotéine). En d’autres termes, le virus circulant actuellement partage certaines caractéristiques avec celui qui circulait lors de l’épidémie historique. Ces données montrent que l’épidémie actuelle n’a sans doute pas pour origine un nouveau passage à l’homme du virus Ebola à partir d’un réservoir animal, mais qu’elle est directement liée aux cas humains survenus en 2013-2016.

Egalement, les chercheurs précisent que les génomes du virus circulant cette année en Guinée sont étroitement apparentés à la souche Makona qui sévissait en août 2014 dans la même région. Les séquences génétiques ne divergent que de douze ou treize substitutions en comparaison à celles de l’épidémie antérieure. Autrement dit, on observe, sur la totalité du génome, une différence seulement au niveau de douze ou treize lettres entre le virus circulant actuellement et celui qui circulait à l’époque. Il s’agit là d’un taux de mutation très inférieur à celui auquel on s’attendrait si ce virus à ARN avait circulé durant tout ce temps entre individus, autrement dit s’il avait été transmis via plusieurs chaînes de transmission.

En effet, on estime qu’il se produit 22 ou 23 substitutions par an dans le génome du virus Ebola, ce qui aurait dû aboutir, en conservant le même rythme, à plus de 110 mutations cinq ans après l’épidémie historique qui s’est achevée en 2016. À l’inverse, une infection persistante expliquerait que le génome du virus n’évolue quasiment pas. Donc, il y a tout lieu de penser qu’en 2021 l’épidémie en Guinée a débuté à partir d’une personne qui hébergeait le virus Ebola depuis au moins cinq ans.

Cette conclusion est également celle retenue par une autre équipe dirigée par des chercheurs du centre de recherche et de formation en infectiologie (CERFIG) de l’université de Conakry (Guinée) et leurs collègues français de l’université de Montpellier. Les biologistes moléculaires ont comparé quatre séquences génétiques couvrant au moins 99,9 % du génome du virus actuel avec des génomes viraux provenant de l’épidémie historique.

Il ressort que trois génomes du virus circulant actuellement sont strictement identiques et qu’un quatrième génome ne diffère qu’au niveau d’un seul nucléotide (substitution d’une lettre dans le code génétique). L’analyse phylogénétique, visant à déterminer le degré de parenté entre les génomes viraux, a par ailleurs montré que les séquences de 2021 appartiennent à un groupe de virus qui circulait lors de l’épidémie historique qui a sévi entre 2013 et 2016. Les chercheurs en concluent donc que la nouvelle épidémie est le résultat de la résurgence d’une souche qui circulait en Afrique de l’Ouest en 2013-2016 et que le faible taux de mutation observé lors de la comparaison des séquences génétiques serait dû à la persistance du virus Ebola, maintenu dans un état de latence, chez un survivant.

Le troisième rapport, émanant de chercheurs du laboratoire Projet des fièvres hémorragiques de Guinée (PFHG) de Conakry en association avec leurs homologues de l’Institut de médecine tropicale de Hambourg (Allemagne),  rapporte des résultats similaires.

A la lumière de ce qui précède, on pourrait dire que l’infirmière guinéenne de 51 ans (le cas index à Gouécké), décédée le 28 janvier 2021 et enterrée sans aucun respect des mesures recommandées pour une inhumation sécurisée, a sans doute été contaminée par voie sexuelle par un individu contaminé par Ebola il y a cinq ans et qui a récemment fait une rechute. Cependant, on ne peut exclure que l’infirmière ait été infectée par le virus plusieurs années auparavant et n’ait développé que peu de symptômes. Dans ce cas, elle pourrait elle-même avoir été une survivante d’Ebola sans même le savoir et avoir fait une rechute.

Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

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