Télimélé : Donso, la rivière qui n’aime pas les étrangers

Sa dernière victime s’appelle Mamadou Diallo, un menuisier originaire de Sagalé, dans la préfecture de Lélouma. Il a été emporté par les eaux le mercredi dernier, 22 mai 2019, alors qu’il se baignait en compagnie d’un groupe de jeunes de Péguety-Santou.

Le nombre croissant « d’étrangers » qui trouvent la mort soit par accident sur le pont ou durant les baignades mérite qu’on se pose des questions sur la nature mystique de cette grande rivière qu’on traverse à la rentrée du chef-lieu de la sous-préfecture de Santou, à 35 kilomètres de Télimélé ville.

Bien que cela ne soit pas propre à la seule rivière de Donso, cette appellation « Kankiran » qui signifie malle cantine, est conçue dans son contexte linguistique normal comme étant un espace à dimensions variables qui peut contenir une certaine quantité d’habits ou d’objets divers.

Mais, dès lors que le terme s’extirpe de la littérature populaire consacrée pour définir la profondeur d’un endroit précis de la rivière Donso, l’interprétation devient simple et révèle l’aspect mystique du lieu, surtout quand la victime sent une sorte de force invisible la propulser vigoureusement dans les ténèbres du « Kankiran » sans qu’il ne puisse opposer aucune résistance.

Les génies du « Kankiran » aiment se délecter de ceux qui, sans être fils de Santou, poussent l’outrecuidance à venir perturber leur paisible existence au milieu des eaux de leur belle résidence de Donso.

Dire que mon propre père, Lieutenant Elhadj Yaghouba Diallo, s’est blessé au pied d’un petit fer rouillé, alors qu’il venait de repêcher le corps d’un jeune homme originaire de Labé, dont le véhicule à bord duquel il avait pris place s’était renversé sur le pont en bois à l’époque (1996). C’est cette blessure, qui s’est tétanisée, qui sera à l’origine de son décès le 2 octobre de la même année.

Comme pour confirmer que les génies de la rivière Donso se montrent extrêmement sévères vis-à-vis même des fils de Santou qui portent assistance à ses victimes « étrangères ».

La rivière a donné son nom à un des villages qu’elle traverse dont un des fils, un tirailleur sénégalais de la seconde guerre mondiale « Lassidan Donso », était devenu un grand agriculteur et un riche propriétaire terrien à Péguety et environs.

A noter que la rivière Donso prend sa source sur les hauteurs entre les villages de Ndêla-Goundoupi et Bambéto, grossie par le Dondéwol. Elle dévale pour arriver aux portes du chef-lieu de la sous-préfecture de Santou avant de continuer sa course en traversant les villages de Ndenda, Ngaro, Bingaldji en se frayant du chemin entre les villages de Bélendéré et Baniré jusqu’à Sôla pour se jeter plus loin dans le grand fleuve Tominé, venu de Labé, et qui sert de limite géographique hier entre les cantons Dialloyanké de Donghol, dont Santou faisait partie, et Kaldouyanké de Kinsi-Koté, capitale Kakoni…

A noter que le fleuve Tominé rencontre celui de la Komba, venu de Labé, à Gaoual centre pour former le Koliba qui sert de limite entre notre pays et la Guinée-Bissau, où il se jette dans l’Océan Atlantique.

Autant la rivière Samankou était la limite entre les cantons de Kébou et de Donghol, autant celle de Donso l’a été entre le canton de Donghol et celui de Bowé.

Disons que si les génies du « Kankiran » de la rivière Donso n’aiment pas que les « étrangers », ceux de la montagne Wonkou, à quelques kilomètres en amont, étendent leur puissance à tous ceux qui rentrent dans « leur surface de réparation » de telle sorte que, au lieu dit « Hayré toufâ », ce qui veut dire là ou on a percé la pierre, (l’ancienne route Gaoual-Télimélé) passait par là, les chauffeurs qui l’empruntaient de nuit étaient tout d’un coup hypnotisés par la présence d’un œuf qui se transformait en coq qui, en quelques minutes, avait la taille d’un éléphant. Ce qui faisait perdre automatiquement la direction du véhicule au chauffeur qui se renversait dans le ravin avec tout son contenu. Maître Kalidou, le chauffeur du Gaz premier modèle d’Elhadj Abdoul Kakoni, en a été victime avec une dizaine de morts parmi ses passagers.

Difficile de savoir si les génies de « Hayré toufa » ont déménagé avec le transfèrement plus à l’ouest de la route. Toujours est-il que sur cette nouvelle route de montagne, un peu en haut des villages de Maléma et de Kouratountou ; maitre Bobo Sodio, un ancien apprenti de maitre Thiam Wara, un des meilleurs chauffeurs de Télimélé, a vu son camion se renverser un jeudi matin alors qu’il se rendait au marché hebdomadaire de Péguety-Santou. Bilan : 10 morts parmi lesquels Mody Sanoussy Gomboya, un percepteur de taxes de marché.

C’est vrai que Télimélé a eu des chauffeurs de renom comme maitre Abidina Filo, maître papa Missidé, maitre Garanké, maitre Thiam, maitre bobo Sodio, maitre Grillon Kouyaté, maitre Kaba, maitre Silati, qui ont dompté le dangereux col de Loubha, l’infernale route de Daramagnaki qui a laissé des souvenirs inoubliables à l’ambassadeur de Guinée à Rome puis à Paris, Seydou Keita nommé, de la capitale française, gouverneur de Télimélé et qui a passé deux jours à bord d’une jeep russe pour arriver au cœur du Bambaya. C’était cela aussi la révolution du PDG, avec le président Ahmed Sékou Touré.

Même devenu commissaire à la jeunesse et aux sports en mission à Yaoundé en 1982, l’élégant et charismatique ambassadeur et gouverneur n’avait pas oublié le nom Daramagnaki et l’avait rappelé à son attaché de presse et fils de Télimélé que je suis lors des diners sur le toit du luxueux mont Fébé palace.

Peut-être que ces génies de la rivière Donso, on peut les retrouver dans les eaux de l’immense fleuve Konkouré qui sert de limite entre le Téné et le Monoma traditionnellement parlant, entre Kindia et Télimélé administrativement.

La Kakrima, l’affluent principal du Konkouré a aussi ses génies tout en servant de limite entre Télimélé et Pita, le Koussi et le Waréya, si on conjugue l’histoire au passé.

De génies des eaux, il y a aussi celles de la puissante Fatala, à sa source dans la grande forêt de Tarihoye, dans le Kébou. Là, vous avez le sentiment qu’il est minuit en plein midi tant la densité de la flore vous enveloppe dans une obscurité de caverne, si ce n’est la sensation d’immuabilité des eaux qui vous donne une grosse frayeur.

Ce qui contraste avec la petite eau calme et tranquille du Mangol au cœur même de la ville de Télimélé. Avec ou sans génies, elle règle, régule et lubrifie les relations entre les habitants de ses deux rives qui exercent tous les pouvoirs par alternance. Exemple : Younoussa Goulgoul Diallo, l’actuel maire de la commune urbaine de Télimélé, est de Gadha Mangol ; le prochain sera de Gânin Mangol.

Ici, au lieu que les génies n’attirent ceux qui s’aventurent sur ses bords dans le « Kankiran », ils sont allés chercher la règle de l’alternance entre les sous-clans Alphaya et Soriya chez les Seydiyankés de Timbo et Dabola, aristocratie régnante, à travers les Almamy de la puissante et prospère confédération théocratique du Fouta Djallon, fondée au début du 17e siècle.

Les génies de la rivière Donso devraient à présent fermer leur « kankiran » sinon, de peur de se retrouver à l’intérieur pour toujours, beaucoup « d’étrangers » risquent de ne pas tenter l’aventure de Santou, la toute future zone minière bauxitique par excellence de la Guinée.

Amadou Diouldé Diallo, journaliste-historien

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