Yamoussa Sidibé : « le journalisme doit être pratiqué sans aucune terreur qui nous pousserait à se taire »

Yamoussa Sidibé, journaliste, ancien Directeur Général de la RTG

Le 03 mai de chaque année est célébré, de par le monde, la journée internationale de la liberté de la presse. Cette journée est souvent mise à profit pour dresser un constat sur la situation des journalistes ; mais aussi de faire des réflexions pour promouvoir des initiatives en vue du respect de la liberté d’informer. En clair, la journée internationale de la liberté de la presse est un moment d’évaluation de l’exercice du métier du journaliste et du fonctionnement des médias.

Cette année, c’est sous le thème : « l’information comme bien public » que cette journée d’analyse et de réflexion est célébrée à travers le monde. Et, en Guinée, la célébration de cette journée intervient à un moment de grave atteintes sont portées aux hommes de médias. Au moins deux journalistes croupissent en prison, en violation de la loi L002 sur la liberté de la presse et « dépénalisation des délits de presse » dans le pays. Cette célébration intervient aussi à un moment où les professionnels de médias vivent dans la précarité avec des salaires très étiques qui ne les mettent pas à l’abri du besoin. C’est pourquoi, dans un entretien accordé à Guineematin.com, l’éminent journaliste et ancien présentateur de télé, Yamoussa Sidibé, a appelé les journalistes à la solidarité et à la responsabilité dans l’exercice de leur métier. Ce professionnel de médias qui totalise plus de 30 ans d’expérience dans la pratique du journalisme en Guinée a aussi invité les gouvernants à faciliter la tâche aux journalistes.

« Le métier de journaliste doit être pratiqué en toute liberté, sans pression extérieure, sans aucune terreur qui nous pousserait à se taire face à telle ou telle chose. Nous devons avoir la liberté d’informer autant qu’on peut, autant que nous permet notre métier… La pratique du journalisme est toujours difficile ; parce que si nous pratiquons toujours ce métier, nous ne sommes pas toujours d’accord avec les gouvernants. Car, les gouvernants, leur volonté c’est de dire leur vérité ; alors que ce n’est pas ça le travail du journaliste… Il faut qu’on comprenne que le journaliste ne va pas toujours parler pour le gouvernant. Il n’est pas toujours obligé de dire la vérité du gouvernant. Il faut comprendre que le journaliste fait son métier en dénonçant ceci ou cela. Il faut amener les gouvernants à comprendre qu’aider le journaliste c’est s’aider eux-mêmes », a indiqué Yamoussa Sidibé.

Décryptage !

Guineematin.com : Que vous inspire la célébration de la journée internationale de la liberté de la presse ?

Yamoussa Sidibé : les journées consacrées à la réflexion sur la presse devraient nous amener à nous demander ce que nous avons pu faire, ce que nous avons pu accomplir au cours de l’année et ce que nous ambitionnons de réaliser. Peut être cette année on pensera à nos confrères qui ne sont pas libre de leur mouvement, nous penserons aux lois qui existent et qui protègent le journaliste en générale, nous penserons aussi aux associations de journalistes et peut-être pousser à une réflexion sur nos responsabilités dans la défense des droits du journaliste, dans la solidarité qui doit exister entre les journalistes, de la responsabilité du journaliste face à la situation politique, sociale et culturelle du pays. Peut-être ça sera l’occasion aussi de penser à une association qui a existé au début et qui s’appelle : l’association des journalistes de Guinée ; penser à lui donner la place qu’elle mérite dans l’arène médiatique nationale.

Guineematin.com : Aujourd’hui vous comptabilisez plusieurs décennies d’expérience dans le domaine du journalisme en Guinée. Mais, quand vous observez aujourd’hui les journalistes, quand vous observez les médias, quelle enseignement vous en tiré ?

Yamoussa Sidibé : J’ai plus de 30 ans d’expérience dans le journalisme. Nous avons commencé très jeune ce métier, on avait peut-être 24 ou 25 ans. Donc, c’est vrai que nous devons nous targuer d’avoir une certaine expérience pour avoir observé les autres sur le terrain. Maintenant, aujourd’hui, comment se pratique notre métier (le journalisme) ? Ce n’est pas facile de juger les autres, les moments ne se ressemblent pas, les instruments de travail ne se ressemblent pas, les situations qui se présentent ne sont pas toujours les mêmes. Mais, il est vrai qu’on peut, peut-être, demander à nos jeunes confrères de toujours penser à la responsabilité du journaliste, à comprendre pourquoi nous tenons le micro, à comprendre pourquoi l’autre (les auditeurs) est tenu à nous écouter. Donc, qu’on prenne nos responsabilités et qu’on agisse dans ce sens.

Guineematin.com : Aujourd’hui, au moment où nous parlons de la liberté de la presse, des journalistes croupissent en prison dans notre pays. C’est le cas des journalistes sportifs Amadou Diouldé Diallo et Ibrahima Sadio Bah. Alors, peut-on vraiment parler et célébrer la liberté de la presse dans de telle situation ?

Yamoussa Sidibé : C’est un peu difficile de danser quand nous savons que des confrères sont en prison. C’est le lieu d’appeler les associations de journalistes à leur responsabilité. Ces associations, quelle qu’elles soient, leur objectif, leur but premier c’est la défense des droits du journaliste, la défense de la liberté de la parole, la défense de la liberté d’exister même du journaliste. Si ces deux confrères ont été arrêtés dans la pratique de leur métier, les associations de presse doivent élever le ton, prendre la trompette pour se faire entendre. Le métier de journaliste doit être pratiqué en toute liberté sans pression extérieure, sans aucune terreur qui nous pousserait à se taire face à telle ou telle chose. Nous devons avoir la liberté d’informer autant qu’on peut, autant que nous permet notre métier.

Guineematin.com : Compte tenu de la situation actuelle que vivent les professionnels de médias en Guinée, peut-on dire qu’il est devenu difficile de faire du journalisme dans notre pays ?

Yamoussa Sidibé : La pratique du journalisme est toujours difficile ; parce que si nous pratiquons toujours ce métier, nous ne sommes pas toujours d’accord avec les gouvernants. Car, les gouvernants, leur volonté c’est de dire leur vérité ; alors que ce n’est pas ça le travail du journaliste.  Parce que le journaliste observe ce qui se passe sur le terrain et dit ce qui se passe sur le terrain. Quel que soient les pressions qui viendraient d’ici ou de là, le journaliste doit savoir se gausser du qu’en dira-t-on et dire la vérité du terrain en assumant la plénitude de ses responsabilités qui l’incombe dans la pratique de son métier.

Guineematin.com : La Guinée occupe toujours la queue dans le classement de Reporters Sans Frontière. A votre avis, qu’est-ce qu’il faut faire aujourd’hui pour inverser cette tendance ?

Yamoussa Sidibé : Il faut qu’on comprenne que le journaliste ne va pas toujours parler pour le gouvernant. Il n’est pas toujours obligé de dire la vérité du gouvernant. Il faut comprendre que le journaliste fait son métier en dénonçant ceci ou cela. Il faut amener les gouvernants à comprendre qu’aider le journaliste c’est s’aider eux-mêmes. Mais, aider le journaliste c’est aussi le mettre à l’abri du besoin. Parce qu’aujourd’hui les gouvernants, les nantis, utilisent le journaliste à leur fin ; parce que tout simplement on n’arrive pas à payer, à donner au journaliste ce qu’il mérite pour lui permettre de vivre de son salaire et à nourrir sa famille en pratiquant ce métier. Parfois même les responsables des médias utilisent cela pour assujettir le journaliste ou pour l’amener à dire une vérité qui n’est pas la vérité. Tant que le journaliste n’a pas le salaire qu’il mérite, il est exposé à n’importe quoi, il est exposé aux gouvernants, aux nantis, aux propriétaires de médias. Donc, aujourd’hui, à l’occasion de cette célébration de la liberté de la presse, il faut amener les gouvernants à comprendre leur responsabilité, à comprendre que donner la possibilité au journaliste à s’exprimer effectivement, c’est s’aider eux-mêmes.

Guineematin.com : Nous arrivons au terme de cet entretien que vous nous accordez. Mais, avant de nous quitter, quel message avez-vous à l’endroit de la jeune génération de journalistes qui exerce aujourd’hui dans notre pays ?

Yamoussa Sidibé : C’est simplement dire que le journaliste doit savoir rester journaliste. Car, c’est un grand privilège de tenir le micro, de parler pour les autres, de parler aux autres, de parler quand les autres se taisent. Nous (les journalistes) ne sont pas des inquisiteurs, nous n’avons pas à imposer notre opinion aux autres. Nous devons savoir tendre l’oreille, écouter les autres et transmettre. Parce que nous ne sommes pas détenteurs de la vérité. Nous sommes des personnes qui servent de trait d’union entre ceux qui détiennent l’information et ceux qui ont besoin d’écouter cette information. Donc, il faut qu’on prenne notre responsabilité dans ce sens là.

Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

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