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Agression rebelle de la Guinée en 2000 : 20 ans après, Elhadj Mamadou Sylla livre sa part de vérité

Elhadj Mamadou Sylla, président de l'Union Démocratique de Guinée (UDG)
Elhadj Mamadou Sylla, président de l’Union Démocratique de Guinée (UDG)

Au début de l’année 2000, la Guinée avait fait l’objet d’attaques rebelles le long de ses frontières avec la Sierra Léone et le Libéria. Une agression qui avait fait plusieurs morts et des milliers de déplacés. Mais, avec le concours de certains de ses fils, la Guinée avait réussi à circonscrire les zones d’attaque et à mettre les agresseurs hors d’état de nuire. Vingt ans après les faits, un reporter de Guineematin.com est allé à la rencontre d’Elhadj Mamadou Sylla, ami et principal soutien de feu Général Lansana Conté, le Président de la République d’alors, pour qu’il nous livre sa part de vérité dans cette ténébreuse affaire.

Décryptage !

Guineematin.com : Il y a 20 ans, la Guinée a connu une agression rebelle le long de nos frontières avec la Sierra Léone et le Libéria. Etant l’un des dignitaires du pays à l’époque, comment vous aviez accueilli la nouvelle ?

El Hadj Mamadou Sylla : j’avoue que pendant cette attaque, j’étais aux côtés du grand soldat, le Général Lansana Conté. Je n’étais pas militaire, mais comme j’étais à ses côtés, j’ai été son principal fournisseur de tout le matériel qui a aidé à combattre ces ennemis. Donc, l’affaire tombe et ça a commencé par Forécariah. Chaque fois, on nous dit qu’ils sont passés soit à Macenta ou bien à Guéckédou et il fallait faire face à tout cela. En ce moment, la Guinée était sous surveillance de la Banque mondiale et elle ne pouvait pas faire face à la dépense de cette guerre. Les caisses de l’Etat étaient complètement vides. Il fallait réfléchir, chaque fois, pour voir ce qu’il faut faire. Le gouvernement devait avoir un financement privé. C’est là le problème ! Parce que les partenaires financiers ne voulaient pas faire quelque chose dans ce sens. Vous savez, quand vous êtes sur contrôle de ces institutions financières, c’est compliqué parce qu’on ne peut pas financer n’importe comment.

Guineematin.com : et comment le gouvernement de l’époque avait pu circonscrire cette attaque ?

El Hadj Mamadou Sylla : c’est ce que je vous dis. Il fallait voir un partenaire financier privé que j’étais parce que l’Etat n’avait pas de moyens. Alors, c’est pour vous dire jusqu’où je connais l’affaire. Tout s’est passé devant moi. Au moment des prises de décision, j’étais présent. A l’époque, je voyais le président Lansana Conté nuit et jour. Il m’a dit de commander le matériel et j’ai fait la commande. Quand le matériel arrivait par bateau, c’est nuitamment qu’on partait le réceptionner et le mettre immédiatement à la disposition des militaires. Quand c’est du côté de l’aéroport aussi, c’est la même chose. On partait et on attendait le cargo. Quand l’avion arrivait, c’est moi qui étais là. Je revois cela comme si c’était aujourd’hui. Un jour, le président Conté a décidé que lui-même va partir à Pamelap. C’était vraiment chaud ce jour ! Tout le monde a eu peur et on a dit au président de ne pas aller. Mais, il a pris son cortège et il est parti. C’était un moment très fort. N’oubliez pas que lui-même était un vrai militaire. C’est lui qui avait été envoyé vers Boké pour la guerre de Bissau contre les Portugais ; et, il a eu la victoire dans les années 1970. A l’époque, il n’était pas président. Maintenant qu’il est devenu président, il est allé au front. Je me rappelle aussi quand le nommé Sankhon, qui serait originaire de Forécariah, je crois, et qui était l’un des chefs rebelles disait qu’en 72 heures, ils vont déjeuner au palais Sékoutouréya. En ce moment, c’était très fort et il y avait un autre Fofana, je crois, qui était dans cette rébellion, il faisait office de porte-parole. Ce dernier menaçait également. J’avoue que tous les Guinéens qui avaient des moyens à l’époque ont quitté le pays. Moi, je suis resté. C’est vrai que j’ai pris beaucoup de risques, parce que si les rebelles venaient, on était indexé et on était les premières personnes à abattre. Mais, Dieu nous a aidés. On est resté parce que, dans l’histoire, c’est la première fois que les rebelles entrent dans un pays, surtout un pays riche comme la Guinée et puis, qu’on arrive à les chasser complètement. C’est très rare !

Guineematin.com : Mais, quelle a été la principale force de la Guinée pour pouvoir circonscrire les zones d’attaques et puis bouter ces rebelles hors de nos frontières ?

El Hadj Mamadou Sylla : j’avoue qu’il y a beaucoup qui ont travaillé pour cette victoire. D’abord, il y a le chef militaire, commandant en chef, qui était là. Le général Conté était un homme stratège. Donc, il a su mettre tous les plans. D’autres personnes ont fait des sacrifices et chacun a fait ce qu’il a pu. Je me rappelle qu’on avait envoyé des délégations tout le long de nos frontières. Mais, les gens ne savent pas, sinon beaucoup de choses se sont passées pendant ce temps. Aujourd’hui, il y a 20 ans que ces évènements ont eu lieu et personne n’en parle. Sinon, j’ai préparé ces délégations avec le Président Conté. Et, comme vous le savez, l’Afrique aussi a ses réalités. Il y a eu des marabouts qui nous ont beaucoup accompagnés. On les a envoyés le long des frontières pour aller sécuriser. C’est informel ; mais, cela a beaucoup porté aussi. Partout où ces marabouts sont allés, ils ont, à chaque fois, enterré quelque chose sur place. C’est tout ce qui a porté. Bien sûr que les militaires ont travaillé ; mais avant, ces militaires n’avaient pas d’armements, ils n’avaient pas de véhicules et tout. Moi aussi, j’ai travaillé avec mon groupe pour que tous ces problèmes soient réglés à temps. Lansana Conté était chef militaire et commandant en chef. Toutes les stratégies, c’est lui qui les menaient.

Guineematin.com : et vous, vous vous êtes occupés de la logistique vous dites ?

El Hadj Mamadou Sylla : tout ce qui est logistique, les véhicules, les armes, le riz et tout était à ma charge. Voilà comment on a pu réussir. Aujourd’hui, il n’y a pas un Guinéen qui peut témoigner de cette histoire  plus que moi. C’est vrai, certains sont décédés depuis ça ; mais d’autres vivent encore. Si ceux qui vivent encore m’entendent parce que j’avais recruté beaucoup d’entre eux pour les impliquer dans les différentes missions, ils diront que je dis la vérité.

Guineematin.com : lors de ces évènements, il y a eu beaucoup de pertes en vies humaines, sans compter les dégâts matériels. Comment comprenez-vous que 20 ans après, que personne n’en parle ?

El Hadj Mamadou Sylla : vous savez que le Guinéen oublie très vite. Et puis, l’histoire guinéenne n’est jamais conservée. Sinon, tous ces gens qui ont perdu leurs vies dans cette affaire devraient être commémorés, au moins symboliquement et à chaque anniversaire. Le peuple devrait savoir le nombre de morts lors de ces attaques rebelles. Il y a eu tellement de dégâts ; mais, aujourd’hui, les gens ont oublié ! C’est comme si on est en train d’oublier notre histoire. Vous avez vu qu’on est même en train d’oublier notre fête de l’indépendance. N’oubliez pas que chez les autres pays, c’est tout ce qui fait leur force. C’est-à-dire la reconnaissance de leur histoire, de l’indépendance jusqu’aujourd’hui. Mais chez nous, c’est le contraire. Même nos archives se retrouvent dans les mains des vendeuses cacahouètes.

Guineematin.com : l’autre problème, Elhadj, ce que les guinéens ne savent toujours pas qui était derrière ces incursions rebelles ?

El Hadj Mamadou Sylla : aujourd’hui, il y a certains qui se bluffent un peu partout dans notre pays ; mais, il parait que ces hommes étaient dedans. Toutes les fois, je me dis Dieu merci, parce que jusqu’aujourd’hui il n’y a pas de problème, bien que le pouvoir actuel refuse de payer mon dû. Sinon, j’ai aidé pour que cette guerre soit remportée par nous. Mais, comme ce n’était pas dans leur intérêt d’hier, voilà ils s’opposent à ce qu’on restitue mes biens. En Guinée, quand même, tout le monde sait qui est qui et qui a fait quoi. Comme les Guinéens sont disciplinés, ils ne disent jamais ce que l’intéressé a fait. C’est quand on meurt que tu verras certains venir, à visage découvert, pour encenser le mort. Sinon, c’est le bon moment de dire qui a fait quoi dans cette histoire. Moi, j’ai dit ce que je sais. Mais, d’autres aussi doivent dire ce qu’ils savent. Il y a certains qui ont avoué ici qu’ils étaient derrière ces agressions…

Guineematin.com : quel message avez-vous à lancer à l’endroit des Guinéens ?

El Hadj Mamadou Sylla : je voudrais dire à chacun de prendre ses responsabilités. Souvent, on prie Dieu pour que les morts soient au paradis ; mais, personne ne veut mourir d’abord. Je crois que chacun doit œuvrer pour la préservation de la vie des citoyens d’abord. C’est Dieu qui tue. S’il décide que tu vas mourir, c’est tout de suite ; mais il ne faut pas que tu sois la cause de la mort des citoyens…

Dieu nous a donné le bonheur ; mais, le seul problème qu’on a, c’est le partage de ce bonheur. Dieu nous a dotés de beaucoup de richesses qui ne sont pas bien reparties. C’est un groupe de personnes qui prend et les autres n’ont rien. Je l’ai dit l’autre fois, le président actuel Alpha Condé est victime de sa politique. Sinon, quand tu es à la tête d’un Etat, il faut considérer que tu es le chef de l’Etat ; mais qu’il y a tous les autres à côté. Chacun a une responsabilité à assumer et donc il faut partager les richesses. Mais, si c’est le chef de l’Etat seul qui est comptable de tout ce qui se passe, je crois que c’est lourd pour une personne.

Le développement ne se fait pas aujourd’hui parce que tout est concentré sur une personne ; et, aujourd’hui, l’opposition guinéenne est devenue plus forte. Alors, si on ne s’entend pas, il n’y aura pas de développement. C’est pourquoi, j’ai toujours recommandé un dialogue franc entre nous et que tout accord qui sera signé dans ce dialogue soit appliqué. Sinon, il y a eu beaucoup d’accords signés entre les acteurs ; mais, finalement ça reste dans les tiroirs. Personne n’est là pour veiller à leur application. S’il n’y a pas d’entente et de respect de ce qui se dit, le développement ne sera pas possible. Qui parle de développement, parle sur le plan politique, économique et social ; mais, aujourd’hui, le social est plus important que l’économie et la politique. Du fait qu’il n’y a pas de confiance entre nous les acteurs, on ne fait pas face au développement. Regardez l’état de nos routes, à Conakry tout comme l’intérieur du pays. Depuis 10 ans, c’est des marches, des grèves. Les gens ne s’entendent pas et finalement, on n’a rien. Le peu qu’on met, on détruit.

Le président actuel est comme Sékou Touré qui avait voulu bien faire au départ ; mais, depuis que les complots et coups d’Etat l’ont raté, sans compter que lui-même il fomentait d’autres, finalement il a laissé le développement pour conserver son fauteuil. Donc, il a oublié le développement pour s’accrocher à son fauteuil. Le régime actuel, c’est la même chose. A chaque fois, il se dit : on veut me remplacer, c’est les anciens Premiers ministres qui sont contre moi et finalement il oubli son rôle de développer le pays et cherche à conserver son fauteuil.

De l’autre côté, on dit qu’Alpha a fini ses deux mandats ; donc, il doit partir. Alors, tout ce qui nous fatigue aujourd’hui, c’est le manque de dialogue franc entre nous. Et, celui qui doit faciliter le dialogue, c’est le président de la République. Mais, lui-même ne prend pas au sérieux le cadre social de notre pays. Aujourd’hui, il a des problèmes avec les doyens, les patriarches de tout bord, les syndicats, la société civile, les partis politiques et il y a des tensions partout…

Interview réalisée par Alpha Assia Baldé pour Guineematin.com

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