L’observation du croissant lunaire qui marque le début du Ramadan (le mois du jeûne musulman) a souvent fait l’objet de controverse en Guinée. Et, cette année n’a pas dérogé à cette situation qui est une parfaite illustration de la crise de confiance qui existe dans ce pays entre les autorités et les citoyens.
Alors que plusieurs pays à travers le monde (dont l’Arabie Saoudite) et dans la sous-région ouest-africaine (comme le Sénégal, le Mali et la Côte d’Ivoire) ont entamé le jeûne du Ramadan ce lundi, 11 mars 2024, la Guinée s’abstient. Les autorités religieuses du pays ont annoncé dans un communiqué hier (dimanche) soir qu’en raison de l’inobservation de la lune, le Ramadan ne commencera que demain (mardi) sur le territoire national. Mais quelques temps après cette annonce, plusieurs fidèles ont annoncé sur les réseaux sociaux leur intention de jeûner aujourd’hui (lundi). Et, certains ont même matérialisé cette intention ce matin. Une attitude que le chroniqueur islamique, Elhadj Mohamed Makanera, interprète comme « une désobéissance » et « un péché ». Le consultant religieux et inspecteur chargé des écoles franco-arabe au ministère de l’enseignement pré-universitaire estime que c’est une obligation de suivre les autorités quand elles fondent leurs actes sur les prescriptions coraniques et la sounna du prophète Mohammad (psl).
Dans un entretien accordé à Guineematin.com ce lundi, Elhadj Mohamed Makanera Kaké a fait remarquer qu’« il n’est pas dit qu’on doit forcément suivre l’Arabie Saoudite ». Il estime aussi que le 29ème jour de Shaabane (le mois qui précède le Ramadan) est un « jour de doute » où l’observation du croissant lunaire marquant le début du Ramadan peut ou ne pas être possible. Et dans le cas présent de la Guinée (où la lune n’a pas été observée), ce sont les autorités religieuses qu’il faut suivre pour voir s’il faut compléter Shaabane à 30 jours ou s’il faut suivre les autres pays qui ont dit avoir observé le croissant lunaire pour entamer le jeûne.
« Si on se base sur le Saint Coran et la Sounna du prophète Mohammad (alayhi salat wa salam), il n’est pas dit qu’on doit forcément suivre l’Arabie Saoudite. Si nous observons le même jour avec l’Arabie Saoudite la lune, on peut jeûner le même jour avec l’Arabie Saoudite avec le décalage horaire qui existe entre nous. Mais, qu’est-ce qui est demandé dans la religion musulmane ? C’est l’observation de la lune de chaque pays. Donc, chaque pays doit observer la lune à son niveau pour commencer le jeûne. Si nous prenons le hadith authentique du prophète Mohammad (Sallallahou Alayhi Wa Salam), il est dit : si vous n’arrivez pas à observer la lune du Ramadan le 29ème jour [du mois de Shaabane], complétez le mois présent [donc Shaabane à 30 jours. C’est comme aujourd’hui chez nous en Guinée. Hier (29ème jour du mois de Shaabane) la lune n’a pas été observée en Guinée, donc on complète Shaabane à 30 jours et le Ramadan commence automatiquement demain. Parce qu’hier, c’était un jour de doute, donc on ne pouvait pas forcément observer le croissant lunaire. Mais quelque part il est dit qu’on peut se référer à nos pays voisins. Cependant, ce qui est écrit authentiquement, chaque pays doit observer à son niveau la lune du Ramadan. L’Arabie Saoudite est dans un autre continent qui est très loin de l’Afrique de l’ouest. Donc, les Saoudiens peuvent observer à leur niveau et ils sont contraints automatiquement de jeûner après cette observation. Mais nous, on n’est pas contraint de suivre leur observation pour jeûner en Guinée. Donc, la question de l’Arabie Saoudite ne fait pas partie du principe religieux à 100%. Nous devons suivre les autorités religieuses de notre pays qui doivent se baser sur les saintes écritures de l’islam pour nous orienter. Le secrétaire général adjoint des affaires religieuses a été clair dans sa déclaration. Il a dit que la lune n’a pas été observée au niveau de la République de Guinée. Donc, il n’est pas parti ailleurs, et c’est un jour de doute. Ainsi, religieusement on n’est pas contraint de jeûner aujourd’hui », a-t-il expliqué.
Que risquent ceux qui ont entamé le jeûne du Ramadan ce lundi en Guinée ?
Pour Elhadj Mohamed Makanera Kaké, le jeûne de ce lundi en Guinée est une « désobéissance » et un « dérapage » qu’il faut vite corriger.
« Sur le plan religieux, c’est une désobéissance à l’autorité religieuse. Dieu est clair : obéissez à Allah, à son prophète et à vos autorités. Quand le secrétaire général adjoint des affaires religieuses a fait sa déclaration hier, en disant que parce que la lune n’a pas été observée en Guinée, on débute le jeûne mardi, il s’est basé sur un hadith authentique du prophète. Donc nous devons le suivre. Le prophète Mohammad dit : l’imam peut venir avec une impureté (dianaba), il est impropre mais personne ne le sait, s’il dirige la prière, celle-ci est valide pour les fidèles, mais elle est invalide pour lui. Maintenant, s’il peut corriger ou pas cette prière, cela se trouve entre lui et Dieu. Donc, si les autorités religieuses vous orientent en se basant sur un principe de la religion, suivez-les. Si elles (les autorités religieuses) dérapent pour suivre leur passion, vous vous allez bénéficier de ce que vous avez fait par leur tort. Parce que s’il y a un tort, devant Dieu, c’est la faute à celui qui vous a orienté. Donc, restons derrière ce principe religieux pour ne pas jeûner aujourd’hui (lundi). S’ils ont un autre objectif par rapport à cette déclaration, c’est Dieu seul qui sait ce que recèlent les cœurs… Quand on dit : désobéissance, c’est que c’est une sanction qui suit. Le moyen qu’ils ont de réparer ça, c’est de rompre automatiquement ce jeûne. En tout cas, s’ils veulent rester sous l’angle purement islamique et ne pas aller à côté de ce que le prophète a dit, ils doivent rompre ce jeûne. Maintenant, s’ils s’entêtent pour continuer à jeûner jusqu’au soir, ils doivent savoir qu’ils désobéissent à Allah et à son prophète en désobéissant aux autorités. Et quand on désobéit à Allah on mérite des sanctions. Et c’est Allah qui connaît la nature de cette sanction. Mais, vraiment ils ont péché. Parce que c’est volontaire, ce n’est pas une erreur », a-t-il indiqué.
Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com
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