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Epidémie de brûlure de la peau humaine : Pr Tounkara dit tout sur l’insecte qui fait des ravages à Conakry

Pr. Thierno Mamadou Tounkara, Médecin Dermatologue et Enseignant à la faculté des sciences techniques de la santé de l'université de Conakry

Depuis quelques semaines, la Guinée fait face à une nouvelle épidémie. Il s’agit d’une brûlure de la peau de l’homme, causée par un insecte dénommé « Dermatite Paederus ». D’où provient cet insecte ? Quelle est la dangerosité de ses effets sur le corps humain ? Comment peut-on éviter ses dégâts ? Ce sont entre autres les questions que nous avons abordées avec le professeur Thierno Mamadou Tounkara, médecin Dermatologue et enseignant à la faculté des sciences techniques de la santé de l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry, dans un entretien qu’il a accordé à Guineematin.com, ce lundi 16 novembre 2020.

Décryptage !

 

Guineematin.com : depuis quelques jours, un insecte jusque-là méconnu en Guinée, fait parler de lui à Conakry. Beaucoup de citoyens ont déjà été victimes des brûlures qu’il cause sur le corps humain. Parlez-nous de cet insecte ; d’où provient-il ?

Pr. Thierno Mamadou Tounkara, Médecin Dermatologue et Enseignant à la faculté des sciences techniques de la santé de l’université de Conakry

Pr Thierno Mamadou Tounkara : c’est généralement à la fin de la saison des pluies et le début de la saison sèche, particulièrement depuis octobre jusqu’à mi-décembre, dans certaines zones géographiques qui alternent un climat chaud et humide, comme c’est le cas à Conakry, on assiste à la sortie beaucoup plus fréquente des genres d’insectes qu’on appelle dans le jargon « Paedérus ». Pour faire simple, c’est un insecte qui a une tête noire et le thorax rouge qui, en moyenne, mesure 7 à 10 millimètres de long. L’insecte a une répartition mondiale. Il y a certaines zones où le climat ne permet pas son développement, contrairement à d’autres zones géographiques.

 

Au début, cet insecte était utilisé dans les champs en Chine, parce que c’est un insecte prédateur contre d’autres insectes qui détruisent les plantes. Donc, il est utilisé depuis longtemps pour d’autres fins. Donc, ce n’est pas un insecte qui est simplement en Guinée, il est partout dans le monde. Mais, contrairement à ce que beaucoup pensent aujourd’hui, ce n’est pas un insecte qui pique. Les gens ne sont pas piqués par cet insecte. Il se pose sur la peau pour une raison ou pour une autre. Vous savez, par réflexe, quand quelque chose se pose sur la peau, on a tendance à le chasser par la main. Alors, comme il est fragile, on l’écrase sur la peau. Et quand on l’écrase sur la peau, la substance qui résulte de cet écrasement irrite la peau. Parce que cet insecte a la particularité de ne pas piquer, mais de produire une toxine. Cette toxine-là, elle porte le « Paedérine ».

 

Quand on écrase l’insecte sur la peau, immédiatement, on a une sensation de douleur. Ça fait un peu mal mais on n’y prête pas attention. En fonction de la quantité ou de la puissance du geste, si on l’a écrasé sur une longue surface de la peau, partout où cette toxine touche, ça entraîne une sorte de brûlure. C’est pourquoi les gens disent que c’est une brûleuse. C’est une brûleuse effectivement parce que quand on la pose sur la peau, c’est caustique. Le produit a un effet caustique sur la peau. Donc, immédiatement c’est une douleur. Après, la peau devient un peu rouge et en fonction de l’intensité de la toxine qui a été déposée sur la peau, parfois, il y a des petits boutons qui ont un contenu liquidien qui se forment.

 

Guineematin.com : jusqu’où cette brûlure peut aller ? Est-ce que ça peut entraîner des conséquences graves sur la peau ?

 

Pr Thierno Mamadou Tounkara : généralement, au bout de deux semaines, tout rentre en ordre, à condition qu’on ne se prête pas à certaines pratiques, notamment une automédication inappropriée. Parce qu’il ne faut pas oublier, le contexte fait que souvent, cette dermatose est confondue avec une autre qui existe, et qu’on appelle dans le langage local « Sébèlèguè sa ». Et les gens ont l’habitude de mettre du gombo et du miel quand la lésion survient. Donc, aujourd’hui, dans notre structure, sur 10 patients qui consultent, au moins les 3 à 4 patients ont déjà fait une automédication parfois à base d’une médication qui n’est inappropriée et qui malheureusement, au lieu de procurer une guérison, imprime un autre tournant à l’affection, qui au départ est une maladie bénie, donc qui n’est pas grave, et qui peut être surinfectée par une infection bactérienne qui peut faire que la période de guérison s’allonge avec des risques.

 

Guineematin.com : y a-t-il un moyen par lequel on peut se protéger de ces insectes ?

 

Pr Thierno Mamadou Tounkara : pour se protéger de ces insectes, insistons sur le mécanisme de contamination ou le mécanisme par lequel on entre en contact. Il faut savoir que cet insecte-là, il est attiré par les éclairages. Surtout le soir. Et vous aurez remarqué qu’actuellement, dans la plupart des concessions, il y a des ampoules dites économiques et pas les ampoules à l’ancienne qui dégagent beaucoup de chaleur. Ces ampoules dites économiques dégagent peu de chaleur, donc elles attirent l’insecte. Vous savez que le soir, les gens ont l’habitude de porter des tenues de soirée, donc les parties sont souvent très exposées au contact avec les insectes, et on ne s’en rend pas compte. Donc, la première des choses à faire, c’est d’éviter d’être en contact avec ces insectes-là.

 

Il faut que le soir, les portes et les fenêtres restent fermées, mais que ces portes et fenêtres soient maintenues en bon état pour ne pas permettre que ces insectes y pénètrent. Il faut aussi éteindre les éclairages qui ne sont pas indispensables parce qu’encore une fois, ils attirent les insectes. Et puis, si toutes ces étapes-là n’ont pas permis de juguler les choses, il y a une autre chose qui est extrêmement importante et qui est à la portée de tout le monde. Si vous vous rendez compte que vous êtes rentré en contact avec cet insecte, que vous l’ayez écrasé ou non, lavez la partie tout de suite avec le savon. Parce que cela empêche la toxine de l’insecte de créer des dégâts au niveau de votre peau. Donc, voici entre autres mesures. Et bien entendu, quand il y a la nécessité, c’est important de se tourner vers une structure de santé pour prendre conseil et avis à un acteur de la santé.

 

Guineematin.com : que faut-il alors pour éradiquer cet insecte ?

 

Pr Thierno Mamadou Tounkara : l’hygiène c’est extrêmement important, mais aussi toutes ces mesures préventives, parce qu’on ne peut pas les dissocier du traitement de l’affection. C’est une affection bénie qu’on peut prévoir. Donc, la seule façon de l’éradiquer, c’est d’agir sur les mesures préventives que je viens de dicter tout à l’heure. Il faut se débarrasser de toutes ces herbes en décompositions dans les alentours des maisons, il faut éviter ces eaux qui stagnent et autres. Parce que beaucoup pensent qu’en dehors de la période d’octobre, novembre et décembre, l’insecte n’existe pas.

 

Non. L’insecte est bien présent. Sauf que les conditions climatiques ne lui permettent pas de se multiplier en abondance, comme les conditions favorables durant ces trois mois. C’est ce qui explique pendant cette période-là, qu’il y a une flambée qui donne l’impression que c’est quelque chose de nouveau, alors que ce n’est pas nouveau. C’est quelque chose qui existe bel et bien durant pratiquement toute l’année. Sauf que, si vous voulez, ils deviennent envahissants quand ils augmentent en nombre. Et, ils augmentent en nombre quand les conditions climatiques les favorisent.

 

Guineematin.com : depuis le début de ce qu’on pourrait appeler cette épidémie de brûlure de peaux, combien de patients avez-vous reçu dans votre service ?

 

Pr Thierno Mamadou Tounkara : je vais vous donner juste à titre indicatif parce que ce n’est pas fini. C’est juste une période. Nous, on savait à peu près que durant cette période, ça allait revenir parce que ça a été le cas durant les années précédentes. Mais depuis le 1er octobre jusqu’à date, nous sommes à plus de 200 et quelques patients qui ont été consultés chez nous. Mais je le dis tout de suite, cela est loin de refléter la réalité. Pour la simple raison que c’est une maladie bénie. Donc, qui ne nécessite pas forcément une demande de soins, sauf dans certaines situations où les lésions sont graves ou bien on a essayé quelque chose qui n’a pas marché et on se tourne vers une structure de santé. Autre chose qu’il faut ajouter, c’est le contexte de l’épidémie. Le contexte de l’épidémie de la COVID-19 fait que la fréquentation des structures hospitalières est très réduite par peur de contracter la COVID. Donc, tout cela réuni, fait que le nombre de patients qui consultent ne reflète pas forcément la réalité dans la population générale.

 

Toujours est-il qu’en l’espace d’un mois et demi, nous sommes à plus de 200 patients, majoritairement des femmes, avec une moyenne d’âge qui tourne autour de 26 ans. Souvent, c’est des gens qui ont essayé quelque chose qui n’a pas marché avant de venir. Donc, oui la situation est réelle. Et ça, ce ne sont que des données hospitalières. Il n’est pas exclu que dans d’autres services, dans d’autres structures de santé aussi, qu’il y ait aussi des patients qui ont eu à faire recours pour demander des soins face à cette pathologie qui n’épargne aucun âge. Tout le monde est concerné. Parce que quiconque rentre en contact avec l’insecte peut développer cette dermatose qu’on appelle encore une fois la Paederose.

 

Guineematin.com : est-ce que cette pathologie peut aussi être transmise d’une personne à une autre ?

Pr Thermo Mamadou Tounkara : vous faites bien de poser la question. La Paederose ne se transmet pas directement d’une personne à une autre. Mais, une même personne peut être atteinte plusieurs fois. Vous vous exposez dix fois au contact avec l’insecte, vous développerez dix fois la pathologie. Parce que ce n’est pas une maladie immunisante. Pour parler simple, ce n’est pas une maladie pour laquelle une fois qu’on l’aurait contractée, on développe les anticorps qui vous protègent à vie. Non, ce n’est pas le cas. Mais elle ne va pas d’un individu à un autre.

Interview réalisée par Mohamed Doré pour Guineematin.com

Tél. : +224 622 07 93 59

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