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Journée mondiale des pauvres : ce que recommande l’économiste Mamadi Kéita pour sortir de l’ornière

L’humanité célèbre la journée mondiale des pauvres ce lundi 13 novembre 2023. Une problématique qui inquiète de plus en plus dans un contexte où la pauvreté gagne du terrain suite à la mauvaise gestion, notamment le mauvais partage des richesses. Rencontré ce lundi par un reporter de Guineematin.com, l’économiste Mamadi Keïta s’est largement exprimé sur la question. Des causes du phénomène, aux solutions à proposer en passant par les conséquences de la pauvreté, l’économiste a donné des détails objectifs.

Mamady Keïta, économiste

D’après notre interlocuteur, la Guinée se situe au bas du classement par rapport à l’Indice du développement humain (IDH). « La Banque mondiale décrit la pauvreté comme suit : La pauvreté, c’est avoir faim. En dépit de ses atouts, les indicateurs socio-économiques de la Guinée demeurent faibles. Avec une population de 14,7 millions d’habitants et un PIB de 20,5 Milliards USD en 2022, selon le FMI, la Guinée se situe au bas du classement IDH, occupant le 182ème rang sur 191 pays en 2021. Les facteurs les plus évidents sont l’insécurité alimentaire, des conditions de santé précaires, le manque de compétences dû à un manque d’éducation et le manque d’opportunités économiques. Bien qu’elle soit en hausse en milieu urbain, la pauvreté en Guinée est avant tout un phénomène rural. Elle est liée au faible niveau d’instruction, au mauvais état sanitaire et aux taux élevés de fécondité. Elle a également des dimensions spatiales considérables, d’où les grandes disparités dans les villes. Dans ce pays, majoritairement rural, la pauvreté résulte des conditions économiques de la production agricole, il évoque les difficultés d’accès au crédit, le manque d’outils de production et le manque d’amélioration des techniques agricole », a fait savoir l’économiste Mamadi Kéita.

Par ailleurs, monsieur Kéita indiqué que les richesses sont largement sous-exploitées. « L’exploitation des mines de la bauxite représente 80 % des échanges commerciaux de la Guinée avec des recettes assez faibles pour l’État, sachant que ce secteur est entièrement concédé au secteur privé international. Selon les autorités, un peu moins de la moitié des Guinéens (44%) vivent en dessous du seuil national de pauvreté qui est estimé à 16 423 GNF/personne/jour (1,6 EUR) en 2019. Par ailleurs, l’économie reste encore en grande partie informelle, avec une part estimée à 41,5% du PIB et 96% des emplois en 2019…. Analysées de manière synchronique, faim et pauvreté constituent en Guinée des faits sociaux à manifestation corrélative. En effet, en parlant particulièrement des collectivités rurales qui ne disposant pas de crédits financiers importants pour la production agricole, connaissent la famine durant la période de soudure en période hivernale. Car, la réserve d’argent ayant servi à financer la semence agricole dont le prix pourrait renchérir d’un jour à l’autre… Dans ces conditions, on assiste à l’aggravation de la pauvreté paysanne lorsque les individus essaient de parer au problème soit en contractant des dettes sous forme de prêts sur gage (donc le champ ou le travail), soit en livrant aux marchands le reste de leurs biens. A noter qu’aucune administration locale, en Guinée, n’a encore pensé à atténuer les difficultés des paysans en sollicitant des crédits villageois permanents ou tout au moins en réinvestissant de manière efficace l’Impôt Minimum pour le Développement Locale (IMDL). Pour la plupart du temps, les paysans tentent de remédier à leur sort pénible en organisant des coopératives agricoles qui, elles aussi, ne bénéficient d’aucune assistance technique et financière. Elles sont parfois l’objet d’escroquerie de la part de fonctionnaires mal intentionnés. Quant au milieu urbain, la corrélation entre pauvreté et faim en Guinée est étroitement liée à la masse salariale. A vrai dire, cette masse salariale, qui devrait augmenter normalement suivant la croissance économique, ne varie qu’à travers ces accessoires ; le salaire de base du fonctionnaire restant quasi fixe. En effet, la dernière revendication salariale d’Avril 2006, n’a trouvé satisfaction que pour les primes de transport et de logement qui atteint à peine les 25.000 francs guinéens ; alors que l’inflation constitue sur le revenu du guinéen une menace terrible qui va crescendo. A titre indicatif, le prix du sac de riz a connu depuis les années 90 une hausse progressive allant de 7.000 Francs Guinéens le sac (1987) à 130.000 Francs Guinéens en 2006. Conséquence : la plupart des guinéens, soit les 90%, sont contraints de réduire leur ration alimentaire à un plat par jour qui n’est servi qu’au soir. Les pères de familles livrent bonne partie de leur avoir à leurs épouses qui les font fructifier grâce au petit commerce pour la subsistance quotidienne de la famille. Cependant, les hauts barons de l’administration civile et militaire se voient livrer le sac de riz à très bas prix sans oublier surtout les ponctions colossales qu’ils font subir à l’économie nationale pour alimenter leurs comptes personnel », a-t-il laissé entendre.

En outre, Mamadi Kéita mentionne que la pauvreté et la faim sont engendrées en Guinée par une multitude de comportements irresponsables dont, entre-autres : « L’incapacité des pouvoirs publics à sécuriser les ressources naturelles contre la corruption des fonctionnaires et l’exportation illicite des produits alimentaires par un système informel. Par exemple, l’exportation du poisson guinéen avec la complicité des fonctionnaires de l’Etat vers d’autres pays. La porosité monétaire de la Banque Centrale de Guinée : celle-ci se caractérise par une faiblesse notoire à juguler l’inflation et à sécuriser les réserves de change si bien que la parité actuelle oscille entre 5.500 et 6.500 Francs Guinéens (6.500 Francs Guinéens au moment où j’écris cette dépêche) pour un Dollars US. Les avantages colossaux accordés aux sociétés minières, par le fait de la corruption, qui ne versent à la Banque Centrale à peine que 65 millions de Dollars… ».

Poursuivant, l’économiste a abordé les conséquences de cette situation sur certains ménages. « Le panier de la ménagère en Guinée connaît des chutes sans répit. L’argent s’obtient très difficilement et s’envole trop vite. Les couches vulnérables en ville et en campagne sont les familles démunies. La pauvreté, c’est aussi ne pas pouvoir participer à des activités récréatives, ne pas pouvoir envoyer ses enfants en excursion ou à une fête d’anniversaire avec leurs camarades de classe, ne pas pouvoir payer les médicaments en cas de maladie. Ce sont là autant de conséquences de la pauvreté. Mais cela engendre souvent un cercle vicieux. La pauvreté oblige à se loger à bas prix, donc dans des quartiers ayant mauvaise réputation, où il y a peu de travail et une offre éducative dégradée, une criminalité sinon plus élevée du moins plus violente, une prévention médicale moins active, etc… ».

Comme il n’y a pas de problèmes sans solutions, Mamadi Kéita en a préconisé quelques-unes. « Éliminer les obstacles qui empêchent les pauvres de subvenir à leurs besoins, une meilleure productivité, une opportunité d’emploi décent, un niveau de revenu minimal et de protection sociale, des institutions plus fortes, une autonomisation, une égalité de genre, de meilleures politiques, l’intégration sociale, la réduction des inégalités, la hausse de la productivité et un environnement favorable comptent parmi les mesures essentielles à la mise en place de ces politiques. L’État peut lutter efficacement contre la pauvreté. La politique sociale par le biais de la redistribution et de la fiscalité permet de réduire les écarts de revenu entre les personnes les plus modestes et les personnes les plus aisées. La lutte contre la pauvreté impose de créer des revenus ruraux et de consommer des produits alimentaires à bas prix. L’enjeu devient d’augmenter la production locale de riz, d’en promouvoir la commercialisation jusqu’à la capitale et de le rendre compétitif face au riz importé. Une stratégie de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale doit prendre en compte trois idées force : le renforcement de l’accès aux droits, le développement de politiques multidimensionnelles, la promotion de la participation des personnes en situation de pauvreté à toute politique les concernant. Lutter contre la pauvreté, c’est chercher à rétablir un équilibre absent, une confiance rompue. C’est aider les gens en les rendant autonomes, capables de voler de leurs propres ailes quel que soit le poids du passé, quel que soit l’âge, l’état de santé, la condition sociale, les choix de vie aussi. La création d’emplois est un élément crucial de la lutte contre la pauvreté. Ce sont les entreprises, qu’il s’agisse de sociétés nouvelles, très petites, ou de plus grandes entreprises qui se développent dans une économie en expansion, qui créent le plus d’emplois durables », a déclaré Mamady Keïta, économiste.

Kadiatou Barry pour Guineematin.com

Tél : 628 28 61 19

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