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Tibou Kamara au procès du 28 septembre 2009 : « j’ai trouvé le capitaine Dadis assis dans un couloir les mains sur la tête »

C’est finalement à 15 heures que le premier témoin dans le procès du massacre du stade 28 septembre en 2009 a pu commencer sa déposition lundi, 13 novembre 2023 devant le tribunal de Dixinn (délocalisé à Kaloum). Et comme nous vous le disions dans nos précédents articles, il s’agit de Tibou Kamara, ancien ministre chargé de la Communication auprès du chef de l’État et du ministre de la Défense du CNDD au moment des faits. Dans son récit d’une quarantaine de minutes, il a parlé notamment du voyage du CNDD à Labé, de l’échange téléphonique entre l’ex-chef de la junte et Sidya Touré à la veille de la manifestation, mais aussi comment il a trouvé l’ancien président de la transition au camp Alpha Yaya après les événements du 28 septembre, rapporte Guineematin.com à travers son équipe de reportage déployée au tribunal.

Après une longue introduction pour planter le décor, Tibou Kamara est revenu sur les échanges qu’il a eus avec le président du CNDD et son adjoint le Général Sékouba Konaté à propos de la manifestation projetée par les forces vives de Guinée.

« À la station de Labé, le capitaine Moussa Dadis Camara avec un groupe était non loin de la pompe à essence, et moi j’étais un peu plus haut avec le Général Sékouba Konaté et d’autres personnes qui faisaient partie avec la délégation. C’est à cet endroit que j’ai échangé avec le Général Konaté à propos de la manifestation projetée par l’opposition. Je lui ai expliqué personnellement que je souhaitais que lui et moi nous parlions pour qu’à son tour il en parle au capitaine Moussa Dadis Camara parce que les prémisses d’une confrontation se dessinait avec la détermination farouche des forces vives d’organiser vaille que vaille la manifestation, et le souci des autorités que la manifestation ne vienne pas troubler l’ordre public et surtout ne coïncide pas avec une date jugée historique…J’ai expliqué au Général Sékouba Konaté que les deux préoccupations n’étaient pas tant que ça inconciliables. Nous aurions pu et nous devons parler avec les organisateurs pour engager leur responsabilité par rapport à l’organisation de la manifestation pour pouvoir trouver un accord avec eux de manière à ce que nous n’allions pas à la confrontation, nous ne tombions pas dans une épreuve de forces à l’issue incertaine, parce que personne ne sait comment peux se terminer une épreuve de forces. Le président Sékouba Konaté était convaincu par l’argumentaire, mais il m’a répondu n’étant pas politique qu’il est d’accord avec moi mais comme le capitaine n’était pas très loin, je vais lui demander d’en discuter avec toi. Et tous ceux sur quoi vous tombez d’accord, moi je suis d’accord. Je suis allé voir le capitaine Moussa Dadis Camara effectivement, je dois dire qu’il a prêté une oreille attentive, mais il était un peu sceptique parce qu’il nous voyait pas des raisons de manifester. Il ne voyait pas des motifs de mécontentements des forces vives à l’époque (…). Il disait qu’il échangeait avec la plupart d’entre eux mais que personne ne lui a fait part d’une raison de manifester, pour ainsi dire il était sceptique et dubitatif », a-t-il expliqué.

Rentré dans la soirée du 27 septembre 2009 à Conakry, l’ancien ministre dit être allé directement chez lui pour se reposer. Mais là, il reçoit l’appel du président qui l’invite à aller au camp où se trouvait à l’époque la présidence.

Tibou Kamara au procès sur les crimes du 28 septembre 2009

« Je suis arrivé au camp d’Alpha Yaya, l’ambiance était un peu morne parce que habituellement c’est dans les soirées que le travail se faisait (…). Donc je n’ai pas mis du temps à traverser le salon qui mène à gauche à son bureau et à droite de ses appartements. Lorsque j’ai pénétré dans ses appartements, le capitaine n’avait même pas de béret. Il était extrêmement fatigué, c’est comme s’ il sortait du lit compte tenu sans doute des informations qu’il avait reçues par rapport aux préparatifs de la manifestation. Il s’est rappelé de la discussion que nous avons eu à Labé, il était intéressé que nous refassions la même discussion. Nous avons refait la discussion et à la fin il était d’accord d’appeler les organisateurs de la manifestation pour trouver un accord avec eux sur les conditions et les modalités de l’organisation de leur manifestation. C’est à sa demande que j’ai appelé l’ancien Premier ministre et président de l’UFR, M. Sidya Touré. Et je précise à ce stade que ce n’était pas la première fois que j’appelais quelqu’un pour le capitaine Moussa Dadis, donc j’ai appelé le président de l’UFR et je lui ai dit ne quittez pas je vous passe le président. Donc le capitaine a commencé la conversation par les civilités habituelles et ensuite il lui a dit qu’il était d’accord que la manifestation ait lieu mais qu’il avait deux points sur lesquels il voulait discuter avec lui: le premier point, la date du 28 septembre. Il a estimé qu’à partir du moment que c’est une date historique réservée à la mémoire des Guinéens comme une fête qui a permis de recouvrer la fierté ou de célébrer la fierté recouvrée, qu’il souhaitait que l’on épargne à cette date des conflits liés à des protestations et qu’après le 28 septembre n’importe quelle autre date du choix des organisateurs était agréé par lui pour faire leur manifestation. La deuxième chose qu’il a demandé, c’était de délocaliser la manifestation du 28 septembre vers le stade de Nongo (…). Je saurais après que monsieur Sidya Touré a expliqué que l’heure était un peu tardive et qu’il lui aurait été difficile à une heure aussi tardive de la nuit de discuter avec les co-organisateurs de la manifestation et les convaincre du report parce qu’on était plus qu’à quelques heures de la tenue de leur manifestation », a-t-il poursuivi.

Leur appel a été coupé une première fois, le président a demandé qu’il rappelle Sidya ce qu’il a fait. Ils ont eu la même discussion mais ne sont pas tombés d’accord, selon lui et l’appel a été une seconde fois coupé. Moussa Dadis Camara va l’inviter à rappeler une troisième fois mais le téléphone était éteint dit-il. Ils vont tenter d’avoir les autres organisateurs sans succès.

Le lendemain, Tibou Kamara dit avoir été réveillé par son oncle qui lui a raconté ce qu’il se passait au stade. Il sera encore appelé par le capitaine Dadis pour à nouveau se rendre au camp Alpha Yaya, où il dit avoir trouvé cet homme dévasté.

« Lorsque je suis arrivé au camp Alpha Yaya, j’ai trouvé le capitaine Dadis assis dans un couloir les mains sur la tête. Donc lorsque je suis rentré, il m’a vu comme ça et il s’est écrié « Tibou, tu as vu ce qu’on m’a fait ? Est-ce que tu as vu ce qu’on m’a fait? » J’étais un peu surpris parce que c’était une des rares fois pour ne pas dire la seule fois où je l’ai vu vraiment dans une position de faiblesse. Moi j’était habitué à l’homme d’autorité, à l’homme de pouvoir, sûr de lui en toute confiance dans toutes situations. Mais là celui que j’ai vu était littéralement dévasté, et naturellement j’avais pas de mots surtout qu’entre temps il a continué dans son bureau. Et lorsqu’il est entré dans son bureau, comme toujours il y avait d’autres collaborateurs qui étaient assis nombreux dans le bureau. Et je crois que c’était ceux qui étaient déployés sur le terrain ou en tout cas qui appartiennent aux services de sécurité parce que les premières explications étaient en train d’être données et le film de la journée. Et ce que j’ai entendu, la plupart disait que la plupart de ceux qui sont tombés, l’étaient par bousculade. Lorsque j’ai entendu cela, j’ai dit spontanément, peut-être imprudemment, non monsieur le président, il y a d’autres qu’on dit avoir été tué par balles. Il a sursauté de son fauteuil, par balles ? Mais on m’a dit que c’est par bousculade, j’ai dit non, je n’étais pas présent, je ne suis pas témoin, mais c’est une piste à explorer compte tenu de l’ampleur du drame. Et ensuite il a expliqué qu’il se préparait à autoriser l’évacuation de Cellou à l’étranger », a dit ce témoin.

Après les questions du parquet et certains avocats de la défense au témoin, le tribunal a renvoyé l’affaire à demain 14 novembre 2023 pour la suite des débats.

Mamadou Yahya Petel Diallo et Thierno Hamidou Barry pour Guineematin.com 

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