Tirs à balles réelles, femmes nues, manifestants blessés… « la violence que j’ai vécue le 28 septembre…»

Thierno Ibrahima Youla, victime du 28 septembre

Comme annoncé précédemment, le procès du massacre du 28 septembre 2009 se poursuit ce mardi, 16 mai 2023, devant le tribunal criminel de Dixinn (délocalisé à la cour d’appel de Conakry). Et, ce sont toujours les parties civiles qui se succèdent à la barre de cette juridiction de première instance pour relater ce qu’elles ont vécu le 28 septembre 2009 au stade de Conakry. « J’ai participé à beaucoup de manifestations en Guinée, mais la violence que j’ai vécue le jour du 28 septembre 2009, je n’ai jamais vu pareil », a martelé Thierno Ibrahima Youla dans sa déposition cet après-midi.

Ce quadragénaire a dit avoir vu des militaires tirer sur les gens au stade du 28 septembre. Il a aussi déclaré avoir vu des femmes et des filles déshabillées dont une qui était entourée de militaires dans la salle des sports.

« C’était avec cette image de cette femme nue au milieu des militaires que je suis sorti du stade », a-t-il dit.

Guineematin.com vous propose ci-dessous un extrait de la déposition de Thierno Ibrahima Youla à la barre.

« 5 minutes après l’entrée de Jean Marie Doré dans le stade, les tirs ont commencé. Dans un premier temps, ce sont des militaires qui sont entrés avec leurs véhicules, ils ont fait deux tours de la piste athlétique du stade avant de s’arrêter au niveau de la pelouse. Et, dès qu’ils se sont arrêtés là-bas, ils ont automatiquement commencé à faire des tirs de sommation. Ces tirs ont entraîné une panique générale dans le stade, les gens ont commencé à fuir par-ci, par-là… Nous qui étions auprès des leaders, nous nous sommes dit que quand les militaires vont venir, nous serions les premières cibles. On a donc cherché à nous échapper. On est descendus pour venir au niveau des barres qui séparent la pelouse de la tribune, personnellement j’ai essayé d’escalader là-bas pour me retrouver à l’intérieur. Mais, entre-temps, les militaires s’étaient déplacés pour venir vers la tribune. Donc, nous aussi nous avons cherché à aller vers la pelouse pour s’échapper. A ce niveau, j’ai été confronté à une bousculade. Il y a eu des gens qui se sont enfoncés dans le canaux d’évacuation qui s’y trouvait. Grâce à Dieu, moi je me suis retrouvé sur la pelouse où j’ai constaté des blessés et des personnes inanimées. Je ne peux pas dire qu’elles étaient mortes, mais elles ne bougeaient pas. Donc, j’ai continué pour aller vers sahara pour escalader le mur et me retrouver dans la grande cour. J’ai même voulu escalader la grande cour pour me retrouver vers les rails, du côté de l’autoroute, vers la SIG-Madina… Mais, le mur était très haut. J’ai alors décidé de changer de position. Mais, ça tirait partout et les gens fuyaient de tous les côtés. Je me suis enfui pour aller vers Gamal Abdel Nasser, les gens montaient sur la petite maison qui s’y trouvait pour escalader le mur et traverser. C’est à ce niveau qu’un monsieur qui était un peu âgé a reçu une balle dans le ventre. Mais, en tentant de sauver ce monsieur, un autre parmi nous qui étions là a reçu une balle à l’épaule. J’ai vu les militaires pourchasser les gens, je me suis dit que je ne peux plus rester là. J’ai donc laissé le monsieur qui était à l’agonie pour m’enfuir. Mais, en allant vers le stade annexe, mon pied s’est coincé au niveau d’un canal d’évacuation d’eau. Et, pendant que je me débattais pour retirer mon pied de là, j’ai vu les militaires pourchasser les gens. Ils tiraient en même temps et venaient vers moi. Donc, j’ai usé de toutes mes forces pour extirper mon pied de ce trou et continuer ma fuite. Je me suis mêlé à la foule, on a marché sur des tôles pour aller sortir vers l’esplanade. Mais, ceux qui étaient devant se sont rendus compte que la porte était électrifiée. D’autres même ont été électrocutés à ce niveau. On a voulu nous replier, mais on a aussi constaté que des militaires et des gendarmes étaient proches de nous. Ils formaient un cordon pour nous encercler. Ils nous ont bombardé de gaz lacrymogène et de tirs de sommation… On a tout fait pour sortir de là, mais c’était comme si on était confiné à ce niveau… J’ai pensé que c’était le jour de ma mort. Alors, je suis allé sous un manguier qui était là-bas et je me suis mis à faire des invocations et à réciter certains versets coraniques qui me revenaient à la tête… Finalement, j’ai suivi un mouvement pour aller vers la porte où se trouvaient des gendarmes. Mais, quand les militaires ont constaté cela, ils ont rompu le cercle pour former deux lignes. Et, tous ceux qui tentaient d’aller à la porte, ils les récupéraient, les bastonnaient, ils en déshabillaient certains et les laissaient passer. Que ce soient les femmes ou les hommes, on les déshabillait avant de les laisser passer. On entendait certains crier aussi : on m’a poignardé. C’est dans ce mouvement-là que je me suis retrouvé face à un militaire armé. Je me suis jeté sur lui pour ne pas qu’il me tire dessus. Mais, il m’a maîtrisé et m’a frappé avec son arme. Je suis tombé à terre et les gens m’ont piétiné. Là, j’ai constaté que certaines filles et des femmes étaient à moitié nues. J’ai même vu un manifestant donner sa chemise à une fille pour qu’elle se couvre, parce qu’elle était presque nue. Quand je me suis relevé, il n’y avait plus de militaires au niveau de la porte. Donc, j’ai cherché à sortir. Mais, au moment où je sortais, j’ai constaté qu’il y avait des militaires arrêtés dans la salle où on joue au basketball. Il y avait aussi une femme nue, elle était de teint clair. C’était avec cette image de cette femme nue au milieu des militaires que je suis sorti du stade… Au niveau de la route, j’ai aperçu la voiture du Claude Pivi qui venait avec deux autres véhicules vers moi. J’ai eu peur, j’ai voulu me relever pour courir encore, mais j’ai vu qu’ils venaient à vive allure. Donc, ils m’ont dépassé et sont allés vers le pont de Madina. Mais, quelques minutes après, je les ai vu revenir. Ils m’ont encore dépassé à vive allure. Quelque temps après, le véhicule de médecin sans frontière est venu me trouver. Ils m’ont embarqué pour l’hôpital Donka. Arrivé à l’hôpital Donka, j’ai été enregistré et j’ai reçu les premiers soins. Ensuite, on m’a dit d’aller attendre dans une salle. Et, dans cette salle, il y avait beaucoup de blessés, certains étaient couchés à terre. Donc, je me suis faufilé pour rentrer chez moi à Coléah-cité. C’était vers 19 heures passées… J’ai participé à beaucoup de manifestations en Guinée, (…) mais la violence que j’ai vécue le jour du 28 septembre 2009, je n’ai jamais vu pareil », a relaté Thierno Ibrahima Youla.

Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

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