Référendum au Mali : ce que disent partisans et adversaires du projet de la nouvelle Constitution

Maître Ibrahima N'Diaye, notaire et membre de la commission de finalisation du projet de la nouvelle constitution

C’est un grand pas vers le retour à l’ordre constitutionnel en République du Mali. Jeudi dernier, 1er juin 2023, les maliens ont entamé la campagne référendaire pour l’adoption du projet de nouvelle Constitution. Depuis le coup d’envoi des hostilités, les acteurs s’activent sur le terrain pour faire passer ou non ledit projet de constitution. Même si une majorité de maliens estime que le projet « répond aux aspirations du peuple », certaines voix ne sont pas forcément d’accord avec certaines dispositions internes et appellent à son rejet, a constaté l’envoyé spécial de Guineematin.com à Bamako.

Les maliens sont appelés aux urnes le dimanche 18 juin 2023 pour le vote référendaire destiné à se prononcer sur le projet de nouvelle constitution. Les promoteurs de la nouvelle Loi fondamentale vont chercher à convaincre sur la nécessité de remplacer celle de 1992 qui, selon plusieurs observateurs nationaux et étrangers, renferme d’énormes insuffisances.

Ayant pris part aux travaux de finalisation du projet de la nouvelle constitution, maître Ibrahima N’Diaye, notaire de profession, estime que ce projet de constitution, une fois voté, sera prometteur pour l’avenir socio-politique du Mali.

Maître Ibrahima N’Diaye, notaire et membre de la commission de finalisation du projet de la nouvelle constitution

« Vous savez, lors des assises nationales pour la refondation, on a fait le diagnostic de tous les problèmes depuis 1991 jusqu’à nos jours. Les crises que les maliens ont traversé, elles sont multiformes : il y a la crise sécuritaire, la crise institutionnelle et celle liée à la pratique de la démocratie qu’on a préconisée depuis 1991. Donc, fort de cette expérience, tous les points ont été mis en exergue. Maintenant, si vous lisez cette nouvelle constitution, c’est le résumé de l’expérience du passé. C’est la capitalisation de toutes les expériences passées qu’on a voulu corriger. Quand vous regardez le pouvoir du président de la République, il y a eu des corrections. Parce que, avant cette constitution, si tu es élu président de la République, tous les pouvoirs sont concentrés à ton niveau. Tout le monde cherche à être du camp du président. Ce qui fait de lui un monarque absolu. De l’autre côté, le parlement a le pouvoir de destituer le président de la République, si ce dernier ne respecte pas son serment. S’il y avait ce principe de destitution avant, on n’allait pas connaître les coups d’Etat. Avant, tu es président de l’Assemblée nationale, tu fais 5 ans, que tu travailles bien ou pas, maintenant tu peux être destitué par l’Assemblée elle-même. Tout ça, parce que nous avons vu de par le passé des présidents inefficaces mais qu’on ne pouvait pas destituer », explique-t-il.

Pour ce membre du groupement des leaders spirituels musulmans du Mali (une organisation membre du haut conseil islamique du Mali), ce projet de constitution est nécessaire pour le Mali. Il soutient que le combat des anti-laïcité n’a pas de sens. « En ce qui concerne le principe de la laïcité, vous savez, la laïcité telle qu’elle existe dans cette nouvelle constitution et telle qu’elle a existé dans la constitution de 1960, la deuxième, de 1974 et de 1992, ce n’est pas la même chose. Avant, c’était la laïcité, selon la conception française. Ça, c’est l’héritage du colon. Et le colon, la France notamment, sa laïcité, c’est écarter la religion de toute chose, de l’espace public. Donc, si quelque chose intervient en France au nom de la laïcité, ils appliquent ça au Mali, et ça fait des frustrations ; et pourtant le Mali est un pays religieux, ce n’est pas un pays qui a la même configuration sociale que la France. C’est cette erreur qui a été commise. Dans la nouvelle constitution, on a corrigé ça. On a dit la laïcité est admise. À l’article 32 on a dit : la laïcité ne s’oppose pas à la religion et aux croyances. Le Mali, naturellement est une République laïque. La laïcité a existé avant l’arrivée de la religion. La laïcité, c’est quoi ? C’est la coexistence, le vivre-ensemble des citoyens. Donc, ceux qui sont allergiques à la laïcité sont dans un combat qui n’a pas de sens. Moi, je défends cette constitution pas parce que j’ai participé à la commission de finalisation, mais parce que je sais qu’elle est source d’une bonne chose pour le Mali », a indiqué maître Ibrahima N’Diaye.

Contrairement au notaire, Mohamed Kimbiri, président du Collectif des associations musulmanes du Mali, fustige la mise en touche de la communauté musulmane dans la rédaction du projet de nouvelle constitution. Il combat en outre certaines dispositions de ce projet, notamment les articles 32, 183 et suivants.

Mohamed Kimbiri, mandataire national du front  »NON »

« En parlant de la commission de rédaction et de finalisation ; nous, nous constituons en tant que communauté musulmane plus de 90% de la population malienne. Mais, ils ont mis en place cette commission de rédaction sans aucun représentant de la communauté musulmane. Au niveau de la commission de finalisation, ils ne nous ont même pas saisi par une correspondance, ils ont plutôt appelé au téléphone deux personnes pour aller représenter le Haut conseil islamique du Mali. Dans cette commission de finalisation, ils ont dit aux deux représentants que leur rôle, ce n’est pas pour rédiger la constitution, que c’est uniquement une mise en forme. Lorsqu’on a vu le travail finalisé, on a su que nos préoccupations n’ont pas été prises en compte. Le premier point par exemple, c’est la souscription à la déclaration universelle des droits de l’homme. Mais, le Mali est un pays de vieille civilisation, le Mali a donné l’exemple même à certains pays européens. Parce que nous avons la charte de Kouroukanfouga où la constitution du manding, c’était depuis 1236. En ce moment, beaucoup de ces nations européennes n’existaient pas. Donc, au lieu de chercher la référence chez nous, malheureusement, nous nous sommes focalisés sur une déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Les occidentaux sont venus, ils ont formulé leurs pensées pour nous donner, disant que ce sont des valeurs universelles. Et nous aussi, on foule nos valeurs au sol pour prendre ça comme référence. Deuxièmement, on a demandé la référence aux traités et accords que le Mali a ratifiés, notamment ceux concernant le droit des femmes et des enfants. Mais, beaucoup de ces conventions et traités ne riment pas avec nos valeurs sociétales et religieuses. Ils sont allés ratifier ces conventions au détriment du peuple malien. Ce qui est encore grave, c’est la laïcité, surtout la laïcité de l’enseignement. Un pays comme le Mali, un pays à 95% musulman, quand nous allons plagier la laïcité à la française, c’est une insulte à la communauté musulmane. C’est pourquoi, on a dit que cette laïcité, on n’en veut plus. Tout en proposant un élément de substitution qui est le multi-confessionnalisme. C’est-à-dire, la coexistence pacifique entre les religions. Cela consiste à faire de telle sorte que la religion majoritaire ne soit pas imposée à tous. Que les autres confessions puissent exister et vivre leur foi sans problème. Eux-mêmes (les pros) nous expliquent comme ça. Or, ce n’est pas la signification de la laïcité. L’un des grands tenants de la laïcité en France, c’est Jules Ferry. Lorsqu’on lui a demandé c’est quoi la laïcité, il a répondu que : la laïcité, c’est organiser l’État sans Dieu. Alors, on peut organiser l’État malien sans Dieu ? Raison pour laquelle nous avons rejeté la laïcité », explique celui qui est directeur général d’une radio islamique de Bamako.

Par ailleurs, Mohamed Kimbiri réitère son engagement à promouvoir le NON à ce référendum constitutionnel. « Hier (jeudi 1er juin), nous avons débuté la campagne en faveur du NON. Et le message est clair : non à la laïcité, non à la référence aux valeurs occidentales et à la notion des droits de l’homme. On a condamné l’homosexualité par exemple qui est approuvée par la déclaration universelle des droits de l’homme. Après mon passage hier vendredi, à la télévision nationale, j’ai constaté à la diffusion qu’ils ont censuré certains de mes propos. Si ça continue comme ça, on risque de se retirer définitivement de la campagne… ».

Madou Diallo, Vice-président du front pour la sauvegarde de la démocratie

Pour sa part, Madou Diallo, Vice-président du front pour la sauvegarde de la démocratie (un front composé des partis politiques, des associations et des personnalités influentes), se dit entièrement favorable au projet de nouvelle constitution. « Notre engagement est un engagement qui a débuté en 2018. Nous étions dans ce processus de pouvoir restaurer la démocratie au Mali. Et, c’est en cela que nous sommes la colonne vertébrale du mouvement M5 RFP (mouvement qui a fait partir le président IBK en 2020). En fait, la transition est un bébé à nous. Parce que ce sont les militaires qui ont parachevé notre lutte. C’est pour cela que, naturellement, nous ne pouvons être que la branche politique de la transition. Il va de soi que notre engagement soit total en faveur de la junte. Dans cette constitution, nous veillons sur l’État de droit, le respect de la démocratie et nous veillons sur tous les aspects du développement politique du Mali. Vous savez aujourd’hui, ce sont les militaires qui dirigent la transition, majoritairement. Donc, il va de soi d’avoir une branche politique qui peut réfléchir politiquement pour aller dans le sens du développement. Nous sommes une structure de veille qui aide la transition à pouvoir traverser les défis de la gouvernance. Donc, nous sommes entièrement dans l’esprit de la nouvelle constitution », a-t-il martelé.

À noter que c’est la toute première expérience pour les autorités de la transition malienne en termes d’organisation de scrutin. Elles misent sur le succès du Oui. C’est pourquoi, le gouvernement, à travers les commissions de vulgarisation, est à pied d’œuvre pour expliquer et sensibiliser les populations sur le bien-fondé les avantages de ce projet de constitution avant le jour j, le 18 juin prochain.

Depuis Bamako, Malick DIAKITE pour Guineematin.com

Tel : 626-66-29-27

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