Tueries de manifestants en Guinée : Mme Mariama Dioudé Bah tient à poursuivre les assassins de son fils unique

Mariama Diouldé Bah, mère de Mamadou Saïdou Bah, tué en 2019

La Guinée, depuis son indépendance, a connu des périodes très difficiles de son histoire. C’est le cas entre 2018 et 2020 où 3 437 personnes ont été victimes du régime d’Alpha Condé, selon un recensement de la plate-forme nationale des jeunes pour la démocratie et le développement (PNJDD) appuyée par le programme allemand Démocratie sans violence et baïonnette intelligente (DSV/BI).

À l’occasion de la publication de ce document jeudi dernier, 16 novembre 2023, des victimes ont pris la parole pour apporter des témoignages inédits sur la disparition des leurs.

Parmi les plus émouvants témoignages, il y a celui de Mme Mariama Diouldé Bah sur l’assassinat de son unique fils, Mamadou Saïdou Bah, en 2019, par des militaires. Cet étudiant de 23 ans avait été tué par balles et son corps avait été difficilement restitué à la famille.

Mariama Diouldé Bah, mère de Mamadou Saïdou Bah, tué en 2019

« C’était un mercredi, mon fils est rentré à la maison. Moi, j’étais à Coyah. Il m’a appelé pour dire qu’ils ont une finale de leur tournoi de football. Il est rentré à 15 heures à la maison. Il me dit qu’il veut aller jouer. J’ai dit à Saïdou de manger avant de sortir. Arrivé au terrain, il m’a appelé. Je lui ai prodigué des conseils. Au moment où il enlevait ses chaussures, alors qu’on parlait au téléphone, des militaires ont fait irruption venant du camp carrefour. Mamadou Saïdou était avec Mamadou Issa Bah, un de mes protégés que j’ai reçu en éducation à l’âge de 5 ans. Ce dernier a reçu une balle dans le ventre. Il est mort sur place. Après, ils sont venus trouver mon garçon qui était courbé. Ils ont essayé de tirer sur lui. Il a dit ne tirez pas sur moi. Qu’est-ce que j’ai fait. Ils ont répondu : nous sommes venus vous tuer… Ils ont tiré sur son bras. Mon fils a crié. Vous allez me tuer ? Ne me tuez pas, je suis un fils unique. Ils ont répondu que c’est ce qu’ils cherchent. Ils ont tiré une balle dans son ventre. Il est tombé. Ses amis sont venus chasser les forces de l’ordre. Un agent a dit à ses amis qu’il faut qu’on le tue, puisqu’il peut nous reconnaître. Ils lui ont donné une 3ème balle avant de s’en aller. Il s’est levé, il a forcé et il est allé vers une clinique. C’est de là qu’il m’a appelé pour me dire d’aller à Cosa, qu’ils ont tiré sur son bras. Il a demandé qu’on m’appelle. Il m’a dit au téléphone, ‘’ma copine vient vite à Cosa, les militaires ont tiré sur mon bras’’. J’ai dit non Saïdou, ce n’est pas sur ton bras qu’ils ont tiré. J’ai senti aujourd’hui une douleur que je n’avais jamais eue. En venant à Cosa, au niveau de Sanoyah, Saïdou m’appelle pour me dire de continuer à Donka. J’ai informé mon frère qui est venu à l’hôpital où ils ont demandé la somme de 25 millions. Mon frère a dit de l’opérer même si c’est 50 millions. Ils l’ont fait rentrer au bloc opératoire. Entretemps, je suis arrivée. Mon fils a dit aux médecins de lui permettre de voir sa camarade. Les médecins ont dit mais qui est cette camarade ? Il a répondu que c’est ma mère. Elle est ma camarade, mon amie et ma confidente. Je suis rentrée dans le bloc. Il m’a pris d’une main et cachait ses blessures par l’autre main. J’ai dit ah Saïdou, ce n’est pas au bras qu’on t’a blessé. Ne me cache pas tes blessures. Il me dit après : ‘’maman, si je meurs, faites tout pour récupérer mon corps’’. Je lui ai promis que son corps ne disparaîtrait pas. Il m’a dit d’accepter, c’est la volonté de Dieu. Et que s’il meurt, le monde va trembler. Il y aura des millions de morts. Nous étions au mois de janvier 2020. C’est juste après que le CONVID-19 a commencé à faire des ravages à travers le monde. Puis il a insisté de tout faire pour récupérer son corps s’il mourait. Puis on a fait le geste qu’on avait l’habitude de faire à deux et il m’a dit de sortir pour qu’on l’opère. Je l’ai embrassé. Les médecins nous ont demandé d’envoyer 8 sachets de sang. Nous avons envoyé 22 sachets. Ils savaient que l’enfant était décédé. Puisque dès après ma sortie du bloc il a rendu l’âme. Ils ont informé mon frère et mon mari m’a pris pour me mettre dans son véhicule et rentrer à Cosa. Le lendemain, les militaires sont venus à la maison et j’ai demandé à tout le monde de me laisser avec eux. Finalement, ils ont quitté. Et les corps ont été gardés à l’hôpital pendant 6 mois, 2 semaines et 2 jours. J’étais totalement malade. Ils ont caché les corps à Ignace Deen. Si on demande à Dr Awada, il dit qu’il n’a aucune information sur ces corps. C’est en ce moment que je suis allée à la radio Espace pour voir Lamine Guirassy. Ils m’ont pris dans leur émission. J’ai continué la lutte jusqu’à aller à Sékoutouréya. Un jour, je suis allée à 6 h à Sékoutouréya. J’ai crié dans la cour en disant que tous ceux qui ont gardé les corps de savoir qu’ils ont des fils. Et également de bien retenir que les dépouilles de nos enfants ne vont pas disparaître. Trois après, on m’a appelé pour dire qu’on me restitue les deux corps. J’ai dit non. C’est 8 corps au lieu de 2. Après, Ibrahima Kassory Fofana, alors Premier ministre, m’a appelé pour me crier dessus. Je lui dis que je n’aurai jamais le cœur tranquille tant que je n’enterre pas mon enfant. Il m’a dit que je suis la seule à faire des choses pareilles depuis le début de ces tueries. J’ai dit que j’ai une bonne raison de le faire puisque je n’ai qu’un seul fils dans ma vie. Nous sommes allés chercher les corps pour les enterrer à Bambéto. Dans la foule, des agents sont venus et cherchaient à me tuer. J’ai réussi à me sauver sur une moto. C’est après tout cela que le gouvernement a fait une délégation pour aller me trouver à Coyah et demander pardon. Voilà comment l’affaire de Mamadou Saïdou s’est passée. Je vais poursuivre ce dossier jusqu’à l’éclatement de la vérité. Depuis cette date à maintenant, j’ai connu beaucoup de problèmes de santé. Mais je ne reculerai pas, j’irai jusqu’au bout », a promis cette jeune maman en larmes.

Avaient pris part à cette cérémonie, des représentants du PNUD, du HCDH, de l’Union Européenne, du gouvernement guinéen, de l’OGDH, de nombreuses victimes et de leurs proches.

A l’image du procès du 28 septembre où l’ancien président est poursuivi pour rôle présumé dans les douloureux évènements qui ont coûté la vie à 157 personnes, de nombreux participants à cette cérémonie ont formulé le veut pieux de voir traduire devant la justice les auteurs et commanditaires de la mort de ces 164 autres Guinéens dont 107 par balles, en l’espace de 3 ans seulement.

Déjà, ce rapport bien fouiné a été déposé auprès des TPI de Conakry et remis aux organisations de droits de l’homme pour aider à mettre la lumière sur ces graves violations des droits de l’homme.

Abdallah BALDE pour Guineematin.com

Tél : 628 08 98 45

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