Législation guinéenne : Qu’est-ce que la légitime défense ?

Mamadou Alioune DRAME, ancien magistrat

Par Mamadou Alioune DRAME – Ancien magistrat

La légitime défense a été depuis très longtemps reconnue comme cause de justification : Dans le droit romain, par exemple elle était déjà admise. Cicéron, dans un passage célèbre de son Pro Milone, la considère comme un principe de droit naturel : Non scripta, sed nata lex.

Le législateur guinéen a considéré la légitime défense comme un droit et en a fait un fait justificatif. Elle est une cause d’irresponsabilité pénale, cela signifie qu’elle a pour effet d’empêcher que soit engagée la responsabilité pénale de l’auteur alors que l’infraction est constituée dans son élément légal, matériel et moral. L’agent pénal, victime d’une agression, doit avoir agi pour se défendre en commettant à son tour un acte interdit par la loi en repoussant une agression actuelle et injuste le menaçant ou menaçant autrui.

La légitime défense, est également admise, dans certaines limites, pour la défense des biens.

En effet, l’article 21 du Code pénal dispose : « Il n’y a ni crime ni délit lorsque : ….4) – l’action du prévenu est commandée par la légitime défense ou l’état de nécessité ».

Á travers ce texte, la loi justifie la personne qui se défend contre une agression. C’est un principe universellement reconnu.

Il y a donc légitime défense lorsqu’une personne commet une infraction pour sa défense ou pour défendre autrui contre l’agression commise par une autre personne.

La légitime défense est ainsi le droit de riposter par la violence proportionnellement à une infraction injuste et non provoquée. Ceci signifie que la personne agressée ne doit pas avoir d’autre moyen d’éviter l’agression que de commettre une infraction.

Le domaine d’application de la légitime défense : En édictant cette règle légale, le législateur guinéen permet, de façon exceptionnelle, aux citoyens de se défendre eux-mêmes en raison de l’urgence et de l’impossibilité matérielle de se faire défendre par les officiers de police judiciaire.

Au regard des dispositions de l’article 21 du Code pénal, le domaine d’application de la légitime défense porte sur, d’une part, la légitime défense des personnes, et d’autre part, sur la légitime défense d’autrui alors que la légitime défense des biens est développée à l’article 22 du Code pénal en ce qui concerne les cas dits « privilégiés » de la légitime défense.

Il est, nécessaire pour terminer cette réponse, de traiter des effets et preuve de la légitime défense et la légitime défense en droit international.

Quelles sont les conditions de la légitime défense contre la personne ?

Ces conditions sont l’agression (A), une attaque injuste (B), la proportionnalité de l’attaque (C), la riposte concomitante à l’attaque (D) et la riposte (E).

  1. A) – L’agression. Celle-ci doit être actuelle ou imminente. Cela signifie que l’agression ne peut être imaginaire ou simplement éventuelle. C’est dire que la menace n’est pas suffisante pour justifier celui qui se ferait justice préventivement.

Il n’y a pas défense actuelle lorsque le danger est passé ou le mal accompli. Toute action tendant à se venger plus tard par des actes de violences devient une vengeance privée punie devant la loi. Certes, l’auteur pourrait bénéficier de circonstances atténuantes ou de l’excuse de provocation, mais il serait, tout de même punissable.

Devant une attaque éventuelle ou future, la personne ainsi menacée doit informer immédiatement les autorités administratives, policières et judiciaires et se placer sous leur protection. Si la possibilité lui est offerte, la personne peut même prendre la fuite devant le danger, si honteuse que soit cette fuite (un fils qui fuirait devant des coups très violents de son père est mieux compris que celui qui répond au coup pour coup au point de blesser ou tuer son père).

L’agression ne doit pas être putative (la jurisprudence admet cependant que des éléments trompeurs peuvent justifier une légitime défense putative). C’est le cas de la personne qui croit faire l’objet d’une agression, et commet une erreur dans l’appréciation de la réalité du danger. Exemple un habitant tire sur son fils de six ans en croyant tirer sur un voleur ; ou encore un automobiliste tombe en panne en rase campagne, pris par un malfaiteur.

Devant une simple menace, la légitime défense ne saurait être retenue s’il était encore possible de prévenir la police ou la gendarmerie pour conjurer le péril ou encore, lorsque l’agresseur ne manifeste aucune intention agressive. Il en est ainsi, de celui qui frappe mortellement un voleur la journée au moment où celui-ci a pris la fuite. L’auteur des coups mortels aura dépassé les limites de la légitime défense.

Toutefois, se trouvant devant un agresseur détenant une arme, la victime est en droit de réclamer la légitime défense si elle riposte contre l’agresseur sous le coup de l’émotion lorsqu’elle soutient par exemple, craindre pour sa vie et celle des autres personnes présentes.

Peu importe la nature de l’arme. L’article 165 du Code pénal dispose qu’« est une arme, tout objet conçu pour tuer ou blesser.

Tout autre objet susceptible de présenter un danger pour les personnes est assimilé à une arme dès lors qu’il est utilisé pour tuer, blesser ou menacer ou qu’il est destiné, par celui qui en est porteur, à tuer, blesser ou menacer.

Est également assimilé à une arme, tout objet qui, présentant avec l’arme définie au premier alinéa une ressemblance de nature à créer une confusion, est utilisé pour menacer de tuer ou de blesser ou est destiné, par celui qui en est porteur, à tuer, blesser ou menacer.

L’utilisation d’un animal pour tuer, blesser ou menacer est assimilée à l’usage d’une arme.

En cas de condamnation du propriétaire de l’animal ou si le propriétaire est inconnu, le tribunal peut décider de remettre l’animal à une œuvre de protection animale reconnue d’utilité publique ou déclarée, laquelle pourra librement en disposer ».

Le fournisseur de l’arme, qui connaissait l’usage qui allait en être fait, doit être retenu comme complice.

Les trois catégories d’armes entrent en ligne de compte dans l’appréciation des faits :

– Les armes par nature, c’est-à-dire tout objet conçu pour tuer ou blesser ;

– Les armes par destination, c’est-à-dire tout objet susceptible de présenter un danger pour les personnes dès lors qu’il est utilisé pour tuer, blesser ou menacer ou lorsqu’il est destiné à tuer, blesser ou menacer ;

– Les armes factices, c’est-à-dire tout objet qui, présente avec les armes définies ci-dessus une ressemblance de nature à créer une confusion, est utilisé pour menacer de tuer ou de blesser.

La loi le précise d’ailleurs dans plusieurs articles du Code pénal lorsqu’elle parle de « port d’une arme apparente ou cachée » (voir dans ce sens, les articles 348 – 3, 566, 626, 631, 635, 638 du Code pénal, par exemple).

  1. B) – Ensuite, l’attaque doit être injuste. La défense n’est légitime que pour repousser une attaque injuste. Une agression est injuste lorsqu’elle n’est pas fondée en droit. Exemple : Ne peut invoquer la légitime défense la personne qui résiste aux actes d’un huissier de justice ou d’officiers de police judiciaire venus exécuter un mandat du juge d’instruction ou une décision de Justice.

Il en est de même lorsque les gendarmes ou les policiers rétablissent l’ordre par la force ou encore, par application des dispositions de l’article 116 du Code de procédure pénale des citoyens arrêtent un voleur en flagrant délit et le conduisent devant l’officier de police judiciaire. Cette arrestation est légitime et aucune résistance ne pourrait être justifiée.

Par ailleurs pour la jurisprudence française « Il n’y a jamais de légitime défense contre un acte de l’autorité même si cet acte est illégal » (Crim. 27 août 1908, Dalloz 1909 I, p.79).   Il en est ainsi, par exemple, si le mandat à exécuter est irrégulier ou qu’il y a erreur sur l’identité de la personne arrêtée. Toute résistance constitue soit le crime de rébellion, soit le délit spécial de rébellion.

Ainsi, à l’évidence, comme le retient la jurisprudence constante française : « Le délit de rébellion ne saurait être excusé à raison de la prétendue illégalité de l’acte accompli par l’agent» (Cass. Crim. 7 février 1995 : Dr. Pénal 1995, n˚ 156, Chron, Maron).

Cette solution est discutable dans le cas où la personne est battue par le policier ou le gendarme. Mais la jurisprudence exclue toujours la légitime défense dans cette hypothèse au motif que : « Si chaque personne pouvait résister aux agents du pouvoir en prétendant que leur action est illégale, l’exercice de l’autorité publique serait entravé ».

Mais la question pose problème lorsque le policier ou le gendarme a agi dans un cas où l’acte est tellement illégal que le policier ou le gendarme n’a plus agi dans l’exercice de ses fonctions.

Du point de vue doctrinal, la résistance est dans ce cas licite car la loi précise de façon claire et précise les conditions dans lesquelles les agents de l’autorité peuvent faire usage de la force.

Il en est ainsi dit au titre IV : « Des atteintes à l’autorité de l’Etat» au chapitre I intitulé : « Des manifestations illicites et de la participation délictueuse à une manifestation ou à une réunion publique», article 628 alinéa 3 : « Les représentants de la force publique appelés en vue de dissiper un attroupement peuvent faire usage de la force, si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent ou les postes et les personnes dont la garde leur est confiée».

Tombe sous le coup de la loi lorsque l’agent pénal, policier, gendarme ou militaire, emploie la violence « sans motif légitime », surtout lorsque les violences légalement autorisées ont dépassé les limites de la nécessité.

Prenons quelques exemples :

– Sur exécution d’un mandat d’arrêt des officiers de police judiciaire devant une personne qui n’oppose aucune résistance se mettent à la rouer de coups de pieds et de crosses malgré qu’elle se soit laissée librement enchainée ;

– Avant le transfert d’un prévenu, l’officier de police judiciaire l’attache et le prive de nourriture pendant plus de 5 jours ;

– Au cours d’une fouille, l’officier de police judiciaire tente de violer une jeune fille qui vient d’être arrêtée ou lorsque l’officier de police judiciaire se livre à des attouchements obscènes sur la jeune fille, etc.

Toutefois, la violence ne pourrait être opposée que lorsque la violence de l’agent de la force publique (policier, gendarme ou militaire) met gravement en péril l’intégrité corporelle du citoyen. L’agent de la force publique (policier, gendarme ou militaire) devra, dans ce cas voire sa responsabilité disciplinaire, pénale ou civile engagée et il devra y répondre.

  1. C) – La riposte doit être proportionnée à l’attaque : Le principe posé est la proportionnalité de la défense à l’agression subie par la victime. Mais cette proportionnalité, dans la réalité n’est pas toujours évidente. Devant la crainte, l’effroi ou la douleur, la victime peut avoir des réactions vives inattendues.

Cette exigence traditionnelle de la proportionnalité de la défense à l’attaque est importante car si la défense est manifestement excessive, l’acte ne se trouve plus justifié.

De nombreux exemples l’attestent. Ne sera pas justifié celui qui, à un coup de poing, répond par un coup de revolver ; celui qui, pour défendre les fruits de son jardin, tue un voleur. Il est impossible de justifier le meurtre commis pour éviter un préjudice peu important causé à la personne ou aux biens. Dans ce cas de figure, ne se justifierait pas le meurtre d’un agresseur sexuel qui avait saisi de force une femme, l’avait embrassé en se livrant à des attouchements obscènes sur elle.

La question est donc de mesurer le mal de la défense sur celui de l’agression. La proportionnalité peut bien se lire dans la formule : « Ni plus ni moins que ce qui est nécessaire».

En pratique, l’auteur ne pourrait que bénéficier de l’excuse de provocation qui a pour effet de limiter très sensiblement le maximum de la peine encourue par application des dispositions de l’article 313 du Code pénal.  Il appartient donc au juge de décider, dans l’infinie variété des espèces, si la disproportion est telle que la réaction n’était plus nécessaire. Il lui revient de rechercher les circonstances de l’infraction en reconstituant les faits et déterminer l’impression psychologique produite sur l’accusé dans le feu de l’action. L’appréciation de cette proportionnalité est donc une question de fait. Ainsi, n’a pas agi en état de légitime défense le propriétaire d’un jardin qui, tire des coups de feu sur deux voleurs, blesse l’un au dos, réussi à arrêter le second, le frappe et l’attache solidement avant de les livrer à l’officier de police judiciaire.

  1. D) – La riposte doit être concomitante à l’attaque : Ce qui signifie que la défense de la victime doit se faire dans le vif de l’action, immédiatement après l’attaque injuste. Il est retenu que lorsque la riposte a été faite plus tard, nous ne sommes plus dans le champ de la légitime défense mais dans celui de la vengeance privée qui, elle, n’est pas légitime.

Une appréciation raisonnable des faits doit être pris en compte au regard des circonstances dans lesquelles ces faits ont été commis. Il en est ainsi de la nette disproportion entre la défense, le caractère et le danger de l’agression. Malgré une « très grave provocation », comme le notait la Cour de Paris, si le danger n’était plus « imminent », il n’y a plus de légitime défense. [1]

  1. E) – La riposte est justifiée non seulement pour repousser l’agression dont on est soi-même victime, mais encore celle dont un tiers quelconque est victime (et un policier a le devoir d’intervenir en l’occurrence).

À suivre !

Par Mamadou Alioune DRAME – Ancien magistrat

[1]Paris, 22 juin 1988 ; D. 1988, IR, p. 244.

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