Alhousseyni Diallo alerte : « l’importation des œufs et des poulets détruit la production locale »

Depuis quelques années, le secteur avicole est le refuge de plusieurs jeunes entrepreneurs en Guinée. Pour des raisons diverses, ils sont nombreux ceux qui affluent vers ce secteur où l’accompagnement de l’Etat est quasiment inexistant. Mais, avec le peu de moyen à leur disposition ces aviculteurs arrivent à produire et à approvisionner le marché national en viande de volaille et en œufs.

Cependant, l’importation du poulet congelé est un frein à leur émancipation. Il arrive à peine à écouler leurs produits sur le marché. Et, dans un entretien accordé à Guineematin.com dimanche dernier, 06 février 2022, Alhousseyni Diallo, le directeur général du couvoir de Salambandé agro-industrie, a exprimé sa désolation. Il assure que « l’importation des œufs et des poulets détruit la production locale »

Décryptage !

Guineematin.com: Qu’est-ce qui vous a motivé à pratiquer l’élevage ?

Alhousseyni Diallo : J’étais en aventure vers la fin de l’année 2014 et j’ai décidé de rentrer en Guinée pour faire l’agriculture. J’ai acheté les matériels : les tracteurs et tous les accessoires. Et, je suis parti vers Boké pour faire la culture du riz. Mais, le fait que dans ce domaine, si on engage vers le mois d’avril, la récolte se fait au mois de décembre, j’ai vu que ça c’est quelque chose qui ne peut pas m’arranger. Je me suis tourné vers l’élevage. Je suis parti vers Maferinya où j’ai construit des fermes et j’ai commencé à faire l’aviculture entre 2011-2015. J’ai vu que l’élevage a des problèmes pour l’obtention des produits vétérinaires, je me suis aussi intéressé à l’importation de ces produits. Entre 2017-2018, j’ai vu que l’aviculture a aussi des difficultés au niveau de l’importation des poussins. C’est ainsi j’ai décidé de mettre en place un couvoir de grande capacité dont vous avez participé à l’inauguration tout dernièrement.

Guineematin.com: quelle est la capacité de production de ce couvoir ?

Alhousseyni Diallo : La capacité est de 4 536 000 poussins par an pour le moment, avec une extension qui est prévue jusqu’à 15 000 000 de poussins par an. Du fait que l’importation des poulets congelés se chiffre à 34 000 tonnes par an, je vise à produire le maximum pour éviter l’importation. Parce que l’importation ne crée pas de l’emploi ; et, souvent, les poulets qui viennent ne sont pas de bonne qualité. Maintenant, nous voulons promouvoir la production locale pour non seulement aider les jeunes à avoir de l’emploi ; mais, aussi, donner à la population une viande de qualité.

Guineematin.com: d’où viennent les œufs que vous utilisez ?

Alhousseyni Diallo : les œufs à couver, pour un début, on va les importer de l’Europe, selon les qualités. Nous avons déjà des fournisseurs. Pour un début, on ne peut pas faire un élevage de reproduction parce que ça demande beaucoup de conditions. On va importer les œufs pour le moment.

Guineematin.com: à l’inauguration du couvoir Salambandé agro-industrie, les gens ont été surpris de l’absence des nouvelles autorités. Mais, est-ce qu’elles y avaient été invitées ?

Alhousseyni Diallo : bien sûr, on a adressé une lettre au ministre de l’agriculture et de l’élevage, une lettre au ministre du commerce, de l’industrie et des PME, une autre au ministre de l’urbanisme et de l’habitat et une autre encore au ministre secrétaire général à la présidence de la République. Mais, eux tous ne se sont pas présentés. Pourtant, certains m’avaient confirmé qu’ils avaient reçu les lettres d’invitation. L’inauguration a été faite le samedi, le ministre de l’agriculture et de celui de l’habitat m’avaient décliné, parce qu’ils étaient en instance de voyage pour la Côte d’Ivoire. J’avais demandé qui allait les représenter ; mais, ils étaient déjà sur le coup du voyage. J’espère qu’ils viendront voir. En tout cas, nous les attendons toujours. J’ai invité le ministre de l’agriculture et de l’élevage puisque c’est notre ministère de tutelle. Vous n’êtes pas sans savoir que l’aviculture est le levier du développement de l’élevage par le fait qu’il englobe 5 départements ministériels. Si vous prenez le ministère de tutelle, tout dernièrement, les producteurs de pommes de terre d’engrais et la fiente qui sort des fermes, c’est ça que les maraîchers et les producteurs de pomme de terre  utilisent pour fertiliser leurs champs. Cela aussi diminue les charges de l’Etat. Au lieu que l’Etat subventionne les anglais, ici nous avons déjà l’engrais bio. Parce que la fiente, c’est de l’engrais bio. Ces derniers temps, ils n’ont pas d’engrais parce que le secteur est en faillite à cause de l’importation des œufs en provenance de la Turquie. Pour ce qui est du ministère de l’enseignement technique, c’est le ministère qui forme les ingénieurs géotechniciens et les écoles nationales de l’agriculture et de l’élevage (ENAE). Après leur formation, ils retournent dans le secteur avicole. Pour ce qui est du ministère du commerce et de l’industrie, ce qu’on vient d’inaugurer, c’est une industrie et ça relève de ce département. La commercialisation aussi relève de ce département et ça crée de l’emploi. C’est une PME.

Celui de l’habitat est celui qui nous régularise les domaines, que ça soit agricoles ou de l’élevage. C’est pourquoi on leur a adressé des lettres d’invitation pour qu’ils viennent avec nous à l’inauguration. Mais, j’espère qu’ils viendront. C’est le temps qui ne les a pas permis. Mais, on les attend toujours.

Guineematin.com: est-ce que vous êtes en relation avec d’autres opérateurs évoluant dans l’aviculture ?

Alhousseyni Diallo : je suis le vice-président de l’association nationale des producteurs de viande de volaille. Nous voulons inverser la tendance, parce que vous n’êtes pas sans savoir que la Guinée importe plus de 40.000 tonnes de poulets congelés par an. Si nous produisons localement, ça sera une production qui va créer plus 100.000 emplois directs et indirects et ça va diminuer la pauvreté. Presque 80% de Guinéens, de 08 heures à 20 heures, ils ne mangent que du riz. Sans le développement de l’aviculture, on ne peut pas sortir dans la famine. Il faut que les Guinéens soient bien nourris et le riz seulement ne peut pas suffire pour ça. Dans les pays comme la Côte d’Ivoire, le Mali ou le Sénégal, on n’importe pas les poulets congelés. Au temps de Laurent Gbagbo, lui, il avait même mis en place un système pour approvisionner la production locale. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire est autosuffisante en protéine animale. Même chose pour le Sénégal et le Mali. Si vous prenez l’Afrique, le Maroc est le deuxième producteur de viande de volaille. Il produit dix millions de tonnes par jour. N’importe qui vient au Maroc, pour ce qui est de la nourriture, il n’a pas de problème. Chez nous aussi, il faut que l’Etat revoie son programme. Pour ce qui est de l’agriculture, 80% de la population vivent dans le monde agricole. On ne peut pas développer l’agriculture sans l’aviculture, parce que celle-ci englobe toutes les branches. Aujourd’hui, nous avons besoin de plus de cent mille tonnes de maïs par an. Si nous produisons ça localement, ça va créer plusieurs emplois et c’est la même chose dans la production de la pomme de terre ou le maraîchage.

Guineematin.com : Pourquoi dans notre pays le poulet local est plus cher que le poulet importé ?

Alhousseyni Diallo : par rapport au prix, la production locale n’est pas plus que l’importation. Les poulets congelés qui viennent, ce sont des poulets réformés qui pèsent parfois 1,5 kilogramme ou bien 1 kilogramme qui est vendu à 35 000 francs guinéens sur le marché. Et, nous, nous pouvons vendre ce même kilo au même prix. On ne dit pas qu’on peut vendre un poulet entier à 35 000 francs ; mais, en ce qui concerne le kilo, nous vendons au même prix que les poulets importés sans compter que le poulet importé n’est pas de qualité. Ça veut dire qu’ils ne vendent pas moins cher que nous. C’est juste la communication qui nous manque. Nous avons un programme de communication. On est là et on n’est pas accompagné. Nous avons crié plusieurs fois sur les ondes ; malheureusement, jusqu’à présent, nous n’avons pas eu de soutien.

Guineematin.com : face à la situation que vous décrivez, quel message lancez-nous aux nouvelles autorités et aux partenaires ?

Alhousseyni Diallo : à l’Etat, nous demandons à ce qu’il nous protège et qu’il protège notre production. Qu’il essaie de voir le problème d’importation. S’il le faut, nous voulons même que l’Etat interdise l’importation des œufs et des poulets congelés. Parce que cela est en train de détruire la production locale et ça ne crée pas de l’emploi. Sans compter que ce qui vient n’est pas de bonne qualité.

Pour ce qui est des partenaires, nous avons déjà des relations avec la fédération interprofessionnelle du secteur avicole marocain. C’est eux qui nous accompagnent en matière de formation, que ça soit en ligne ou présentielle. Et, le Maroc aussi est accompagné par le département américain de l’agriculture. Il y a un fonds qui est destiné à la formation des aviculteurs ouest-africains. On bénéficie de cela et parfois, pour le déplacement au Maroc, s’ils nous octroient 10 places, ils nous subventionnent pour cinq billets et on contribue pour les 5 autres personnes. Mais, ce qui est de l’Etat, depuis qu’on a commencé, jusqu’à présent, on n’a pas eu d’aide. Pour ce qui est des projets, il y a des projets de la Banque mondiale qu’on entend toujours parler à la télévision et à la radio. Mais, en ce qui nous concerne, nous les producteurs, on n’en a pas bénéficié d’abord. Nous ne savons pas où part les montants qu’on nous annonce. Un exemple, le projet intégré du développement agricole intégré en Guinée (PEDEG). Ils nous avaient promis qu’il y aurait 900 projets individuels et 50 projets de PME, que ce soit dans l’agriculture ou bien dans l’aviculture. Le projet a déjà eu deux ans, en aviculture, nous n’avons pas encore bénéficié. Ils vont dire qu’on a bénéficié ; mais, imaginez que j’ai une ferme qui consomme plus de 10 tonnes de maïs par jour et on prend 11 tonnes pour donner à toute une association pour qu’on se partage. On n’a pas besoin de don ; mais, il faut qu’ils nous aident à obtenir des prêts bancaires ou bien ils créent des banques agricoles. Ce projet avait promis que si c’est un individu, il peut avoir jusqu’à 5000 dollars et les PME jusqu’à 50.000 dollars. Sur les 50 000, il faut que le promoteur ait les 40% et la banque va l’aider à hauteur de 60%. Au niveau individuel, le promoteur doit disposer de 20% et la banque aide pour 80%. Nous avons fait des séminaires et des rencontres ; mais, jusqu’à présent, rien. Une fois, j’ai interpellé l’actuel ministre, Nagnalen Barry, sur ce sujet. Il m’a répondu que les projets en Guinée, les gens nageaient dedans pour s’enrichir sans atteindre le destinataire. L’argent a été débloqué à 30%, mais le reste est là. Qu’il va nous aider à avoir ce financement et nous attendons toujours.

Guineematin.com : votre mot de la fin ?

Alhousseyni Diallo : mon mot, c’est de remercier Guineematin.com de nous donner la parole. Vous êtes notre ami qui s’est soucié du secteur avicole. Guineematin.com est l’un des rares médias qui nous tend le micro et vous êtes toujours avec nous. Donc, merci à vous.

Interview réalisée par Alpha Assia Baldé pour Guineematin.com

Tél : 622 68 00 41

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