ODHAV multi-Industries : les travailleurs dénoncent « l’enfer » qu’ils vivent pour fondre le fer

Des travailleurs de l’usine ODHAV multi-Industries SA (située au quartier Kènendé, dans la commune urbaine de Dubréka) sont en grève depuis lundi dernier, 14 février 2022, pour dénoncer leurs difficiles conditions de travail. Ce débrayage fait suite à la mort tragique d’un des leurs au sein de cette usine. Les travailleurs expriment leur ras-le-bol face à « la maltraitance » qui leur est infligée par « les expatriés indiens » qui gèrent cette société de fabrication de fer à béton, de tôle bac, de brouette, rapporte Guineematin.com à travers un de ses journalistes qui est allé à leur rencontre samedi dernier.

Tout est parti le 10 février dernier quand Ousmane Touré, ouvrier à l’usine, a trébuché du toit, a chuté et a trouvé la mort. Très affligé par cet énième cas de mort au sein de cette multi-Industries, ces travailleurs ont tenu à exprimer leur amertume.

Léaba Kolié, alias Prince, porte-parole du collectif des travailleurs de l’usine ODHAV

« D’abord, il y a eu une explosion d’oxygène ici où il y a eu 5 morts dont trois sur place. Il y a aussi Condé qui était allé chercher la nourriture des animaux des indiens qui est tombé dans une fosse sceptique. Notre ami Koïta, dont le ventilateur a endommagé le pied, a succombé aussi deux jours après. Il y a également Alpha Camara qui a été brûlé par la fonte et Ousmane Touré qui est tombé du toit le jeudi 10 février. Donc, près de dix (10) travailleurs ont trouvé la mort ici. Si ces gens-là voulaient prendre une mesure, ils l’auraient fait avant qu’on n’en arrive là. Quand le cas de Ousmane Touré est survenu le10 février, nous avions imposé trois jours de deuil et nous avions demandé qu’une procédure soit entamée pour exhiber les réalités que nous vivons dans l’usine. Ils (les responsables d’ODHAV) ont catégoriquement refusé. C’est pourquoi dès le lundi qui a suivi, nous avons déclenché une grève. Depuis cette date, on n’a jamais été écouté par les soi-disant syndicats. C’est le nouveau directeur général de l’usine (Indienne) qui est venue à notre rencontre pour nous demander ce que nous voulons. On a posé le problème et le directeur a accédé à certaines de nos revendications. Et, ce sont les responsables noirs (directeur et syndicats) de l’usine qui sortent pour s’opposer à l’exécution de ces revendications et ils sont passés par la menace. Ils ont décaissé de l’argent pour faire venir la police contre nous. Parce que cela est devenu un slogan à Odhav : ‘’En Guinée, problème arrivé, l’argent donné, problème fini’’. C’est-à-dire que dès qu’il y a un problème, l’usine donne de l’argent aux inspecteurs qui arrivent sur les lieux et ils ne parlent plus du problème. Nous avons réclamé les équipements de sécurité. Il faut que nous soyons considérés et respectés par les indiens. Ils n’ont aucun égard pour les noirs. Sinon, en principe, il y a des travaux dans cette usine qui doivent être fait par les robots, comme le contact avec le feu. Mais, comme pour eux, le noir n’a pas de peau, c’est pourquoi. Sinon, comment peut-on retenir quelqu’un là où le fer se fond, sachant que ça peut s’éclater à tout moment. En plus, nous avons demandé l’embauche, que nous ayons des contrats. Parce que quand ils constatent que la production est suffisante, ils peuvent renvoyer certains travailleurs sans prise en charge. Nous avons également demandé l’augmentation de salaire. Imaginez, 52 mille par jour, pendant que nous avons une famille à nourrir, le loyer à payer, les enfants scolarisés », a expliqué Léaba Kolié, alias « Prince », porte-parole du collectif des travailleurs de Odhav multi-Industries.

Par ailleurs, Léaba Kolié a laissé entendre qu’ils ne reprendront pas le travail avant la satisfaction de leurs revendications.

« Si les autorités ne viennent pas voir et les conditions ne sont pas mises en place, on ne va pas travailler et on va manifester », a-t-il martelé.

Recruté depuis février 2019 à ODHAV, Ibrahima Tely Diallo assure qu’aucun travailleur de cette usine n’est embauché, encore moins être enregistré à la caisse nationale de sécurité sociale.

Ibrahima Telly Diallo, employé de l’usine Odhav multiIndustries SA

« C’est l’enfer que nous traversons pour fondre le fer ici. Nous sommes là comme si nous étions ailleurs. Tout notre groupe est considéré comme des personnes licenciées. Parce que tout simplement on s’est levé pour ne pas que nous périssions ici. Les contrats qui sont là aujourd’hui sont ceux fabriqués par l’usine. En réalité, personne n’a un contrat digne de nom. Tu viens, on te dit tu as un contrat, tu signes là-bas sans savoir même le contenu. Or, chacun devrait avoir une copie de ce contrat lui permettant de réclamer quelque chose s’il y a des problèmes. Au niveau de la caisse nationale de sécurité sociale, c’est mentionné « embauche » sur nos bulletins qui sont là-bas. C’est faux ! Personne n’est embauché ici, même les contrôleurs et les superviseurs. Tout récemment, les travailleurs ont réclamé leurs bulletins de paie pour savoir s’ils sont réellement enregistrés au niveau de la caisse nationale de sécurité sociale. Après vérification, ils ont trouvé qu’ils n’y étaient pas enregistrés, alors qu’à chaque fin du mois, la direction ampute sur leur salaire comme leur cotisation à la caisse. C’est la faute de la direction et du syndicat. D’ailleurs, les syndicats qui sont là aujourd’hui, nous ne les reconnaissons pas. Ils ne sont pas venus à l’issue d’une élection, on les a trouvés comme ça. Même les indiens nous ont dit que ce n’est pas eux qui les ont installé », a dit Ibrahima Tely Diallo.

Selon Mohamed Soumah, leur syndicat est aujourd’hui du côté de la direction de l’usine pour défendre des intérêts personnels au détriment des travailleurs.

Mohamed Soumah, doyen des grévistes

« Nous travaillons dans le fer et dans le feu. C’est un danger pour nous. C’est Dieu seulement qui veille sur nous, sinon quiconque ne peut pas tenir à Odhav. Mais, avec tout ça, il n’y a pas de considération, pas de respect à l’endroit des travailleurs que nous sommes. Moi qui vous parle, j’ai mes 45 ans révolus, mais je travaille avec les jeunes. J’ai, pendant plusieurs années, combattu cette maltraitance des indiens. Les indiens qui sont là n’ont point de considération pour les noirs. Ce que nous traversons ici, c’est seulement ici qu’on peut voir cela. Le travail est très dur. Moi par exemple je travaille au niveau de la fonderie. Mais, là-bas, c’est trop risqué. Parce que c’est au-dessus de nous qu’on fait passer les grilles transportant du fer. La partie se situe sous le haut fourneau qui fond le fer. Ce que tu endures là-bas, d’ici là fin de l’heure, c’est toi seul qui le sait. Avec tout cela, nous avons un salaire misérable. Pire, nous n’avons pas d’interlocuteur direct. Un indien peut te mettre dehors à deux heures ou une heure de la fin d’heure et tu ne verras aucun syndicat lever le petit doigt pour te défendre. Ils sont tous du côté des indiens… Nous demandons aux autorités à tous les niveaux de nous sauver de ce calvaire », a dit Mohamed Soumah.

A l’usine d’ODHAV le reporter de Guineematin.com s’est rendu ce samedi pour tenter de rencontrer la direction de cette multi-industrie, c’est silence radio. Un agent de police posté à l’entrée lui a refusé l’accès, arguant « qu’aucune autorité n’était présente sur les lieux ». Mais, deux pick-up du commissariat central de Dubréka et de la CMIS N°5 étaient postés à l’entrée  principale de l’usine.

Malick Diakité pour Guineematin.com

Tel : 626-66-29-27

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