Mettre fin à la fixation des prix des produits importés à des niveaux artificiels, utilisation des solutions conjoncturelles à un problème structurel

Mamadou Safayiou DIALLO, analyste Economique

C’est avec à la fois stupéfaction mais aussi et surtout un grand intérêt que nous avons suivi l’intervention du Président de la transition devant les commerçants guinéens. A en croire au Président, le rétablissement de l’équité fiscal au niveau du cordon douanier a permis de stabiliser des prix. Toutefois, il a rappelé un point fondamental selon lequel, les commerçants libèrent leur stock de façon à créer la pénurie ainsi que la psychose à travers la flambée des prix que nous connaissons de nos jours.

Il poursuit son discours en soulignant que la fixation des prix des produits importés notamment les denrées alimentaires à des niveaux artificiels résulte de plusieurs facteurs notamment les monopoles mais aussi la hausse fulgurante des droits de douanes pour lesquels d’ailleurs, il y avait une injustice totale. C’est pourquoi, les autorités de la transition ont procédé à la suppression du monopole, la restauration de l’équité fiscal en passant par la faible valeur des dédouanements etc.

En ce qui nous concerne, nous saluons vivement cette initiative qui consiste à identifier les véritables causes de la cherté de la vie afin de trouver des solutions adaptées. Cependant, au regard de la limite de la mesure, nous avons des fortes raisons de penser que le Président de la transition est mal conseillé sur le plan économique quoi que l’actuel ministre des finances (haut cadre de ce pays qui fait partir de mes mentors) connait bien la solution à ce problème en sa qualité d’ancien Directeur National des Etudes Economiques et de Prévision. Toutefois, nous tenons à rappeler que l’inflation que nous connaissons aujourd’hui est un peu particulière car renforcée par la Covid-19. Pour preuve, l’inflation a atteint respectivement 6,8% aux Etats-Unis en glissement annuel, 5,3% dans l’Union Européenne et 4,2% dans l’espace UEMOA alors que de par le passé, rare sont les fois où les taux d’inflation de ces différents pays ont dépassé les 2%.

Nonobstant, nul besoin de rappeler que le contrôle des prix par l’Etat guinéen dans un contexte de libéralisme économique, relève simplement de l’utopie car, la Guinée est une économie extravertie (nous ne consommons pas ce que nous produisons et nous ne produisons ce que nous consommons) donc fortement dépendante de la production étrangère dont les prix ainsi que le transport ont augmenté dans les pays d’origines. C’est pourquoi, cette tentative de réduction des tarifs d’entrées n’a pas produit les effets escomptés.

En d’autres termes, toute tentative qui consiste à maintenir le prix d’une denrée quelconque au-dessous de son prix de marché sans pour autant préciser la durée de la mesure à une très courte période en attendant de revenir à l’équilibre aura deux conséquences principales. La première est d’en accroître la demande. Si en effet cette denrée baisse de prix, on aura à la fois plus de tentation et plus de moyens d’en acheter davantage. La seconde est qu’alors ladite denrée deviendra plus rare. Puisqu’on en achètera davantage, on la verra disparaître des rayons des boutiques. Et de plus, la production ou encore l’importation (puis c’est cela qu’il s’agit) de cette denrée sera découragée. De plus, la marge des profits sera réduite ou même supprimée. Du coup, les importateurs seront amenés à vendre leurs marchandises à perte.

A titre d’illustration, lorsque l’Etat contrôle les loyers pour protéger les locataires, le logement se raréfie par ce qu’il n’est plus rentable de construire ou d’entretenir les immeubles et les maisons d’habitation. L’histoire fournit bon nombre d’exemples spectaculaires de ces effets pervers. Mais cela est exactement le contraire de ce à quoi les autorités ayant voulu contrôler les prix prétendaient arriver.

Pour ne pas tellement abuser du temps précieux du lecteur, nous conseillons simplement au Président Doumbouya et son Gouvernement de mettre fin à la taxation des denrées alimentaires dont ils veulent stabiliser les prix pour une durée de 2 mois maximum (quoi que l’on nous dira que l’Etat a besoin de plus de ressources aujourd’hui car, nous sommes dans un régime d’exception) de manière à permettre aux citoyens d’accéder à ces produits à des prix raisonnables surtout en cette période de carême chrétiens mais aussi à l’approche du mois de Ramadan qui commence au début du mois d’avril 2022.

Pour compléter cette mesure, l’Etat devrait instaurer un mécanisme de contrôle des prix pratiqués sur le marché mais aussi et surtout veiller à l’affichage obligatoire des ceux fixés librement par les commerçants. Ceci pourrait les pousser ainsi à s’aligner sur les prix des concurrents que de jouer sur d’autres facteurs de différenciation sous prétexte que leurs produits sont de meilleure qualité.

Cependant, à moyen et long terme, l’Etat devrait s’atteler à s’attaquer aux causes profondes de cette problématique afin de mettre en place des stratégies allant dans le sens de la résolution du problème de façon structurel et non conjoncturel. Cela passera à notre humble avis par la création des conditions favorables au développement de l’agriculture afin de permettre aux agriculteurs d’accroitre la production locale et décourager l’importation de certaines denrées alimentaires (renchérissement des taxes à l’importation) qui ne développent que les pays producteurs. Une telle initiative pourrait pousser ces importateurs à s’orienter vers cette nouvelle activité et/ou vers une autre plus rentable.

Safayiou DIALLO, Economiste

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