CRIEF : nouvel instrument de moralisation de la vie publique ou simple toile d’araignée ?

ParHabib Yembering Diallo : En faisant incarcérer les principaux lieutenants d’Alpha Condé, la CRIEF a opéré une rupture radicale avec le passé. Jamais, depuis la purge qui avait suivi la mort de Sékou Touré, des hauts perchés n’avaient été inquiétés dans ce pays. Même après le renversement du régime auquel ils appartiennent. On se souvient qu’après la disparition du président Conté, son successeur s’était livré à une mise en scène devant les caméras des télévisions. Mais, c’était beaucoup plus un folklore qu’une volonté de mettre fin à l’impunités. On connaît la suite.

Cette fois, le président de la transition n’intervient pas. Du moins officiellement et directement. Même si, pour le commun des mortels, il est impensable qu’un commis de l’Etat, fût-il un magistrat, puisse faire ce que les très redoutés membres de la CRIEF sont en train de faire sans la bénédiction du palais. Comme dit un proverbe de chez nous, seul celui qui a les pieds solidement posés sur terre peut pousser un poids lourd.

Forte de l’appui du palais donc, la CRIEF donne de l’insomnie à bien d’anciens responsables de ce pays. À commencer par les principaux leaders politiques. Car, dans le contexte actuel, on ne peut pas parler des leaders de l’opposition. Dans la foulée, ce 13 juin 2022 déchainé les passions ces derniers temps. Cette date est celle à laquelle la très redoutable CRIEFconvoque le patron du principal parti de l’opposition au régime renversé le 5 septembre dernier.

Après quelques jours de suspens sur la question répondra-répondra pas, Cellou Dalein Diallo a apporté la réponse. A travers notamment le détail de son agenda de visite nord-américain. Comme si de rien n’était, le président de l’UFDG poursuit cette visite dans le pays de l’Oncle Sam. C’est vrai que quelques jours après sa convocation, son avocat avait tourné en dérision la fameuse convocation qui n’aurait pas respecté les règles qui sied en la matière.

Dans tous les cas, et selon maints observateurs, même le pire ennemi de Cellou Dalein Diallo reconnait que ce dernier fait l’objet d’acharnement de la part des nouvelles autorités. Son vieil ami, Sidya Touré a écrit que « l’injustice que Cellou subit n’est semblable qu’à celle qu’Alassane Ouattara avait subie en Côte d’Ivoire ».

En démolissant sa maison alors que la justice avait été saisie par les deux parties, les nouvelles autorités ont apporté de l’eau au moulin de celui qui a polarisé la vie politique de ce pays ces dernières années. Cette démolition extra judiciaire a attiré la sympathie pour la victime de cette injustice. Du coup,avant même de savoir si Cellou perd ou gagne devant la justice, il a gagné devant l’opinion publique. Pour beaucoupd’observateurs, l’affaire d’Air Guinée s’inscrit dans la mêmelogique que celle de sa maison.

Les partisans de Cellou ne manquent pas d’arguments. Pour eux, s’il est normal que les anciens responsables du pays rendent compte de leur gestion passée, il est tout aussi normal de commencer par le commencement. Les affaires les plus récentes pour aboutir à celles des plus anciennes. Ou, inversement, commencer par les plus anciennes mais en ce moment-là passer au peigne-fin tous les scandales.

Il est par exemple incompréhensible de demander des comptes à celui qui a vendu un avion sur une décision gouvernementaleen faisant fi du démentiellement de la voie ferrée Conakry Niger. Le premier a vendu légalement et versé l’argent dans la caisse tandis que le second a vendu illégalement et de surcroîta mis l’argent dans sa poche. Un Etat peut décider d’acheter un nouvel avion dans les brefs délais. Mais il ne peut pas construire un chemin de fer en un temps record. Cette voie ferrée a une double dimension : à la fois économique et symbolique. Parce qu’elle a été construite avec la sueur et le sang des devanciers. Qu’un homme ou un groupe d’hommes se lèv un beau matin pour démanteler et vendre ce patrimoinenational, ce fut le comble.

Il ne s’agit pas d’inciter la CRIEF à demander des comptes à un homme ou à un groupe. Mais si cet organe veut se crédibiliser il évitera le deux poids deux mesures. Comme l’arrestation et l’incarcération de certains caciques du RPG pendant que le président Alpha Condé, lui, est libre d’aller et venir. La justice guinéenne nous dira que ses sorties sont exigées par la communauté internationale. Mais on pourrait lui poser la question de savoir où est notre indépendance chèrement acquise en 1958 ?

Le moins que l’on puisse dire est que notre justice confirme l’assertion selon laquelle la loi ressemble à une toile d’araignée : elle attrape le faible et le garde solidement. Et se fait écraser par le fort. Encore une fois, il ne s’agit pas pour nous de défendre des gens qui auraient confondu leurs poches à notre caisse commune. Mais il s’agit de demander voire d’exiger une justice équitable pour tous.

Habib Yembering Diallo pour Guineematin.com

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