Dr Mamoudou Touré : « on a la perception que les gens sont de plus en plus pauvres » en Guinée

Dr Mamoudou Touré, analyste économique

Depuis 1992, l’humanité célèbre le 17 octobre de chaque année la journée internationale pour l’élimination de la pauvreté. Cette journée -instituée par les Nations Unies- est une occasion pour les Etats à travers le monde de présenter et de promouvoir des activités concrètes visant à combattre la pauvreté et la misère. Elle est placée cette année sous le thème : « la dignité pour tous dans la pratique ». Et, sa célébration intervient dans un contexte particulier de crise économique et sociale dû aux conséquences de la guerre en Ukraine et à la pandémie de COVID-19 dans le monde.

En Guinée, aucune célébration officielle de cette journée n’a été annoncée cette année par les autorités. Et, pourtant, elle intervient dans un contexte de précarité engendrée par la détérioration du pouvoir d’achat des populations, la hausse des prix des denrées alimentaires sur le marché et le difficile accès des populations à certains services sociaux de base. Plusieurs familles ne parviennent pas à assurer les trois repas journaliers et la pauvreté est perceptible dans tous les secteurs de la vie du pays. Selon Dr Mamoudou Touré, analyste économique, la pauvreté est « une dynamique qui peut s’attaquer à tout le monde » et à tout moment.

« La pauvreté, ce n’est pas quelque chose de statique. Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui on est pauvre qu’on y restera, ce n’est pas parce qu’on est riche qu’on y restera également. La pauvreté, ce n’est pas que par rapport au revenu que nous gagnons, on peut avoir beaucoup d’argent et être pauvre, parce que tout simplement nous sommes dans une zone enclavée où il n’y pas d’accès à l’eau potable, à l’électricité, à une école normale. Vous avez tous les moyens, mais vous êtes considérés sous l’angle multidimensionnel comme pauvre…

La Guinée, nous nous sommes, selon les dernières statistiques de 2018, à 43,7% de pauvres contre 55,2% selon les résultats de l’enquête de la pauvreté de 2012. Parallèlement à cela, comparé au taux de pauvreté dans le monde qui est aujourd’hui aux alentours d’un peu plus de 4% avec une net amélioration des pays de l’Asie pour des raisons évidentes liées à un certains nombres de politiques publiques, notamment des investissements pour améliorer les conditions de vie et pour créer la richesse. La preuve en est que sur le plan économique, ce sont ces pays qui tirent essentiellement l’économie mondiale notamment la Chine », a indiqué Dr Mamoudou Touré.

A en croire cet analyste en économie, les politiques de lutte contre la pauvreté vont au-delà d’une seule politique sectorielle. « Elles doivent embrasser l’ensemble des politiques publiques, parce que les besoins d’un être humain sont divers et variés. Et, cette diversité doit aussi être prise en compte dans l’implémentation des politiques publiques. Lutter contre la corruption passe nécessairement par l’amélioration de la gouvernance économique et financière. Même si on a les plus grandes volontés et les plus nobles au monde, si on n’a pas les moyens de nos politiques, on ne s’en sortira pas. D’où la nécessité de mobiliser des ressources internes d’abord et d’utiliser des ressources externes comme appoint.

Au-delà de cela, s’assurer de l’utilisation rationnelle des ressources vers les politiques publiques ciblées… Ce ne sont pas des politiques de tape à l’œil et des politiques conjoncturelles, mais des politiques qui doivent s’engager dans la durée afin de permettre à nos populations et à nos pays d’être relativement stables. Parce qu’avoir des pauvres, c’est avoir des pressions sociales, politiques et économiques à supporter, d’autant plus que cette journée intervient dans un contexte où le pouvoir d’achat des populations ne fait que fuiter compte tenu du contexte qui n’est pas du tout favorable lié à la guerre en Ukraine, mais aussi qui vient à la suite de la Pandémie de Covid19 », a expliqué Dr Mamoudou Touré.

Selon cet économiste, il est très difficile de toucher du doigt l’ensemble des paramètres de la pauvreté. Mais, les paramètres observables actuellement en Guinée montrent que les populations deviennent de plus en plus pauvres.

« A travers la dégradation des routes, des difficultés liées aux soins de santé et des difficultés liées aux accès d’emplois décents, on a la perception que les gens sont de plus en plus pauvres. Et, en plus de cela, compte tenu de la flambée des prix ces derniers temps, les gens se disent que les politiques publiques ne suivent pas et ils sont laissés pour compte et la situation ne fait que s’aggraver. Il faut aussi comprendre que lutter contre la pauvreté, surtout la pauvreté endémique, est une lutte de longue haleine.

Et, pour cela, il y a eu beaucoup d’initiatives qui ont été prises et qui sont salutaires, dont la mise en œuvre d’initiatives d’insertion socioéconomique des populations, des initiatives orientées vers les jeunes diplômés ou non. Il y a eu d’autres initiatives comme le fond d’indulgence, l’agence nationale d’insertion économique et sociale », a indiqué Dr Mamoudou Touré.

Mamadou Tanou Bah pour Guineematin.com

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