Pouvoirs du président, mandat présidentiel, vice-présidence de la République : Faya Millimouno sur la nouvelle constitution

Faya Millimouno, président du Bloc Libéral

La junte militaire du Colonel Mamadi Doumbouya est déterminée à doter la Guinée d’une nouvelle constitution avant la fin de la Transition (normalement prévue pour 2025). Le Colonel Mamadi Doumbouya veut d’une « constitution qui va résister au temps ». Et, au symposium sur le constitutionnalisme qui vient de s’achever à Conakry, le président de la Transition a clairement dit au Conseil national de la Transition (qui fait office de parlement pendant période d’exception) que la nouvelle constitution ne doit pas être du copier-coller. Le chef de l’Etat a aussi prévenu que cette nouvelle constitution ne doit pas être taillée sur mesure pour satisfaire les ambitions d’un homme.

Dans un entretien accordé à Guineematin.com ce mercredi dernier, 22 février 2023, Dr Faya Millimouno, le président du Bloc Libéral (BL), s’est inscrit sur cette logique du chef de l’Etat. Ce leader politique a d’ailleurs fait des propositions pour une constitution qui donne de la stabilité et de la paix à la Guinée. Dr Faya Millimouno a notamment souhaité une « réduction des pouvoirs du président de la république, la création de la vice-présidence de la république, un mandat présidentiel suffisamment long et la création de possibilités de contrôle de l’action des collectivités ».

Le président du BL souhaite aussi la création d’un organe technique de l’organisation pour l’organisation des élections. Des élections qu’il souhaite « groupées » pour atténuer les charges.

« Une ou deux élections par an pour un pays pauvre et mal géré comme la Guinée, c’est comme un incendie. Il faut veiller à une gestion parcimonieuse des fonds publics », a-t-il déclaré.

Décryptage !

Guineematin.com : Comment faire pour avoir une constitution qui résiste au temps ?

Dr Faya Millimouno : Une constitution qui résiste au temps et aux hommes doit être complètement impersonnelle. Parce qu’on a l’impression que beaucoup de constitutions qui ont été rédigées dans notre pays ont regardé les présidents en fonction pour leur conférer des pouvoirs. Donc, il faut que nous ayons une constitution complètement impersonnelle et qu’il y ait un véritable équilibre. L’un des grands problèmes qu’on a pointés du doigt depuis 2008 lorsque le CNDD est arrivé, c’est le pouvoir royal du président de la république. Il faut veiller à réduire drastiquement les pouvoirs du président de la république pour que les autres pouvoirs (législatif et judiciaire) puissent s’épanouir. Par exemple, dans notre constitution, on dit que le président nomme à toutes les fonctions civiles et militaires. C’est trop donné à un homme ou à une femme. Il faut, peut-être, ayant un mandat du peuple, permettre au président de choisir les hommes et les femmes avec qui il voudra gouverner. Mais, une partie du pouvoir de cette nomination doit être conférée à l’organe législatif pour qu’on évite le recyclage des prédateurs. C’est-à-dire, lorsque quelqu’un est nommé ministre, qu’il puisse passer devant le parlement pour qu’on s’assure qu’il a les compétences, l’intégrité. Ça peut nous éviter que quelqu’un qui, une fois dans son parcours professionnel, a été radié de la fonction publique, ne revienne au gouvernement. Parce que s’il a été radié de la fonction publique, c’est qu’il s’est rendu coupable de mauvaise gestion. Et, si quelqu’un comme ça revient au gouvernement, c’est comme si on a effacé son passé et on a espéré qu’il va mieux faire. Or, ça ne s’est jamais démontré.

Une constitution qui résiste au temps est une constitution qui crée d’abord la stabilité dans le pays. Les constitutions qu’on a eu par le passé ont tout sauf cette stabilité qu’une constitution doit conférer à un pays comme le nôtre qui n’a pas beaucoup de ressources. Nous ne pouvons pas avoir une constitution qui nous oblige à avoir des élections à chaque fois qu’un président ne peut plus gouverner. Or, dans nos constitutions passées depuis l’indépendance, on dit : en cas de vacance du pouvoir, le président de l’Assemblée nationale assume le pouvoir (l’intérim) dans 90 jours et organise les élections. A supposé que Dieu veille prendre nos présidents deux mois après leur investiture, donc en un an on peut avoir trois élections présidentielles. Il faut que, pour créer la stabilité nécessaire, si le mandat est pour 5 ans, le président et son vice-président élus, quel que soit ce qui va se passer après l’investiture du président, il faut que les 5 ans soient consommés avant qu’il n’y ait une autre élection. Cela donne à ce pays la stabilité. Parce qu’à chaque fois que nous sommes en consultation, c’est comme si c’est la guerre qui est entre les Guinéens. Il faut espacer cela (les élections) au maximum. Et, les mandats même que nous calquons aujourd’hui sur d’autres pays (4 ans, 5 ans,…), non. Il faut donner des mandats suffisamment longs pour que même si c’est un seul mandat que fait un président, qu’il puisse avoir ne serait-ce que 4 ans nets pour mettre en œuvre les promesses qu’il a faites au peuple. Parce que quand on dit 5 ans le mandat, le plus souvent la dernière année qu’on dit année électorale, on ne travaille pas. On cherche à se faire réélire ou à faire élire celui qui va nous succéder. Donc, il faut donner un mandat suffisant. Il faut également décentraliser le pouvoir et enlever pour cela toutes les barrières actuelles qui empêchent l’épanouissement des pouvoirs locaux chez nous. Lorsque nous voyons le code des collectivités dans notre pays, il y a beaucoup de bonnes choses qui sont dites dedans. Mais, dans la réalité, ce sont les préfets et les sous-préfets qui administrent le pays, selon leur gré. Or, les préfets et les sous-préfets sont des personnes qui sont nommées, alors que les élus sont des personnes qui ont la légitimité populaire. On ne peut donc pas créer une relation, un lien hiérarchique entre les structures déconcentrées de l’Etat et les collectivités. C’est très dangereux. Donc, il faut donner deux possibilités de contrôle de l’action des Collectivités. Premièrement, la loi : les cours et tribunaux. Et, ensuite, l’électeur. Qu’on est plus quelqu’un qui soit à la fois juge et partie. Le rôle qu’on fait jouer au préfet, au sous-préfet, si nous voulons une constitution qui résiste au temps, il faut que dans cette constitution-là, toujours dans le cadre de la diminution des pouvoirs du président de la république, qu’il ne soit jamais question qu’un président de la république dissolve l’Assemblée nationale. Il provient d’un vote et l’Assemblée provient d’un vote. La gouvernance elle-même se fait par négociation. Ce n’est pas par la coercition. Quel est le principe qui est utilisé quand on dit que le président de la république peut dissoudre l’Assemblée ? C’est-à-dire que si à une élection le peuple envoie les représentants plus nombreux du côté de l’opposition que de la mouvance, on pense que cela peut empêcher le président de gouverner. Et donc, on lui donne le droit de dissoudre. Non ! Quand vous êtes président, c’est que le peuple vous a donné le mandat de présider. Mais, qui dit président dit négociation. Pour gouverner, il faut apprendre à négocier. Si le peuple vous envoie une Assemblée qui est à 70% contre vous, apprenez à négocier. Cela fait partie des qualités d’un bon président.

Nous avons, nous au niveau du Bloc Libéral, une vision claire de ce que la constitution prochaine doit revêtir pour qu’elle résiste au temps.

Guineematin.com : vous parliez tantôt d’un « mandat suffisamment long ». Mais, concrètement, un tel mandat doit comporter combien d’années ?

Dr Faya Millimouno : On peut par exemple avoir un mandat de 6 à 7 ans. Même le mandat des députés peut avoir 6 ou 7 ans. Prenez le Libéria voisin, le Sénateur a un mandat de 9 ans, à la chambre des représentants le mandat est de 6 ans. Donc, on peut essayer de voir dans quelle mesure le président, lorsqu’il prend fonction, qu’il ait au moins quatre années franches pour pouvoir gouverner, mettre en pratique son programme.

Guineematin.com : Quand on revisite l’histoire récente de notre pays, on se rend compte qu’il y a eu beaucoup de problèmes liés à la politique. Beaucoup d’observateurs incriminent la pléthore de partis politiques en Guinée. Alors, à votre avis, notre pays devrait continuer avec le multipartisme intégral ou migrer vers le bipartisme ?

Dr Faya Millimouno : Je sais que le bipartisme est très séduisant, mais il n’existe pas en réalité. Parce que beaucoup de ceux qui voient le bipartisme le voient à travers les Etats-Unis. Mais, je ne connais pas un pays qui a strictement le bipartisme comme système. Ce dont on a besoin, c’est d’abord de faire en sorte que les partis politiques fonctionnent de façon démocratique et impersonnelle. Parce que chez nous, les partis politiques, c’est comme si ce sont des entreprises privées dont les leaders sont des présidents directeurs généraux. Il faut partir du principe qu’un parti politique est géré par quelqu’un pendant un mandat. Mais, quant au leader, il faut qu’on sache qu’on sache que dans un parti politique il y a toujours plusieurs leaders. Et, qu’il soit prévu un jeu démocratique et transparent qui permette pendant les jougs électorales que, au sein d’un parti politique, plusieurs leaders se confrontent pour choisir le meilleur d’entre eux qui peut défendre les couleurs du parti. Ça, ce sont des choses qu’on peut essayer d’implémenter à travers les lois qu’on peut élaborer. Aujourd’hui, quand on dit un parti politique, au regard de la loi, lorsqu’on essaie d’évaluer strictement l’ensemble des partis sur l’échiquier politique, on ne trouvera pas autant de partis politiques que nous avons actuellement. Parce que nous trouvons des situations où le parti ne comprend qu’un seul membre, son leader, qui parfois se promène d’un studio à un autre pour montrer son existence. Donc, il faut essayer de s’assurer que les partis politiques que nous avons dans notre pays ont une existence réelle conformément à la loi. Maintenant, qu’il se dégage deux ou trois tendances, c’est par le jeu des alliances et par l’affinité des doctrines. Imaginez, est-ce que par le système politique on peut obliger un communiste d’être un socialiste ou un conservateur ? Je pense que sur la question on a besoin d’un véritable débat de société pour ne pas que ça devienne un jeu mécanique à la stalinienne.

Guineematin.com : Sur le plan de la gouvernance, est-ce qu’il est aujourd’hui nécessaire d’instaurer la vice-présidence ?

Dr Faya Millimouno : Je milite pour la vice-présidence. Pourquoi ? D’abord parce que ça nous crée un système stable. Parce que le président de la république est un être humain qui peut tomber malade, qui peut mourir, et on ne peut assurer que si on l’élu pour 5 ans il va vivre 5 ans. Il peut faire juste un mois et tomber malade ou mourir. Mais, s’il y a le vice-président à côté, on sait qu’il a autant de légitimité que le président, en cas de vacance, le vice-président assume le pouvoir. Et, on prévoit un mécanisme permette pendant le temps que lui aussi va exercer qu’il choisisse quelqu’un qui va faire l’objet de confirmation par l’Assemblée nationale pour lui servir de vice-président. Cela crée une stabilité.

On a aussi dans notre pays cette ethnisation à outrance du pouvoir ou de la politique. En disant par exemple que vous ne pouvez pas choisir votre vice-président au sein de votre groupe ethnique, au sein de votre région, je crois qu’on peut implicitement tenter de résoudre le problème de cette ethnisation. Mais, cette ethnisation va être beaucoup combattu si on partage le pouvoir de nomination entre l’Assemblée nationale et le président de la république. Parce qu’aujourd’hui le président peut choisir ses frères, ses sœurs, ses neveux et les mettre au gouvernement. Et, personne ne peut lui poser de question, parce qu’on dit que c’est son pouvoir discrétionnaire. Si on a l’assemblée qui doit confirmer toutes les nominations du président de la république, on va s’assurer qu’il ne nous crée pas un gouvernement monoethnique. L’accent va être mis sur la compétence et la probité, parce qu’on va être regardant quant à l’intégrité de la personne. Si par le passé quelqu’un a été éclaboussé par des scandales et on le nomme ministre, c’est à l’assemblée nationale que cela va être bloqué.

Guineematin.com : Et si malheur n’arrive pas au président de la république, quel sera le rôle du vice-président ?

Dr Faya Millimouno : On peut affecter au vice-président des rôles en plus de celui de remplacer le président en cas de vacance. Dans la littérature, il y a plusieurs modèles. On peut aussi voir en fonction des réalités qui sont propres à nous les rôles qui peuvent être confiés au vice-président.

Guineematin.com : Dans un tel système, quelle sera la place d’un Premier ministre chef du gouvernement ?

Dr Faya Millimouno : On n’en a pas besoin. Je crois qu’il faut partir d’un principe simple. L’homme public ne produit pas, il consomme le superflu du peuple qui devient le nécessaire du public. En Guinée aujourd’hui, le nécessaire n’existe pas pour parler du superflu. Donc, il faut que le gouvernement soit minimisé au maximum. D’ailleurs, dans le contexte guinéen, le Premier ministre est parfois nommé le dernier ou après d’autres ministres. On n’est pas dans un régime parlementaire qui est pour des pays qui ont un certain niveau de développement économique qui peut leur permettre en un an de faire deux ou trois élections dès lors que le Premier ministre perd le vote de défiance. Donc, on peut faire l’économie d’un Premier ministre. Les fonds publics doivent être utilisés avec la plus grande parcimonie. En Guinée, on n’a pas besoin d’un gouvernement de plus de 20 personnes.

Guineematin.com : Pour ce qui est de l’organisation des élections en Guinée, doit-on aujourd’hui confier cette tâche au ministère de l’administration du territoire ou faire confiance encore à une CENI ?

Dr Faya Millimouno : Le modèle de la CENI (commission électorale nationale indépendante) n’a pas fonctionné chez nous. Le modèle de l’organisation des élections par le ministère de l’administration du territoire n’a pas non plus fonctionné. On a d’ailleurs commencé par ce modèle avec d’aller à la CENI. Donc, ces deux modèles n’ont pas marché, maintenant il faut aller chercher un autre modèle. Parce que la CENI, même si on l’a voulu paritaire, le fait que les politiques en fasse partie a fait un lieu de football. Il faut qu’on imagine un organe d’organisation des élections qui soit vraiment technique. Et, pour cela, on peut s’inspirer des modèles comme celui du Ghana.

Guineematin.com : Justement, par rapport aux élections dans notre pays, faut-il les organiser séparément ou de manière groupée pour atténuer les charges financières ?

Dr Faya Millimouno : Pour une question de gestion parcimonieuse des fonds publics, j’ai toujours fait l’avocat des élections groupées. Parce qu’une ou deux élections par an pour un pays pauvre et mal géré comme la Guinée, c’est comme un incendie. Il faut veiller à une gestion parcimonieuse des fonds publics. Ceci est extrêmement important.

Entretien réalisé par Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

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