Abdourahamane Bah au procès du 28 septembre : « les bérets rouges ont tiré et tué beaucoup de gens »

Comme annoncé précédemment, le procès du massacre du 28 septembre 2009 se poursuit ce lundi, 8 mai 2023, devant le tribunal criminel de Dixinn (délocalisé à la cour d’appel de Conakry). Et, c’est Abdourahamane Bah, un garde rapproché de Cellou Dalein Diallo (le président de l’UFDG), qui est encore à la barre. Il y dépose en qualité de partie civile et se plaint de blessure par balle à l’épaule.

Devant cette juridiction de première instance, Abdourahamane Bah s’est remémoré le film des douloureux événements du 28 septembre 2009. Il a notamment retracé son parcours avec Cellou Dalein Diallo pour rejoindre le stade du 28 septembre, l’ambiance qui régnait dans le stade avant l’entrée des bérets et la débandade qui a suivi quand les tirs ont commencé. Abdourahamane Bah a aussi évoqué le rôle joué par le colonel Moussa Tiegboro Camara dans la répression des manifestants, les tirs à bout portant sur les civils et la descente de Claude Pivi et d’autres bérets rouges au domicile de Cellou Dalein Diallo.

« Les bérets rouges ont commencé à tirer sur notre groupe. Mais, comme j’avais entendu ce que Tiegboro avait dit, dès qu’ils ont commencé à tirer, je me suis jeté à terre. Je suis resté là, inerte, mais j’ai vu beaucoup de civils sur lesquels ils ont tirés », a-t-il dit.

Guineematin.com vous propose ci-dessous un extrait de la déposition de Abdourahamane Bah à cette audience du 8 mai 2023 devant le tribunal criminel de Dixinn.

Abdourahamane Bah, partie civile dans le procès du massacre du 28 septembre 2009

« Le matin du 28 septembre [2009], je me suis rendu chez mon président, Cellou Dalein Diallo. Et, avec lui (Cellou Dalein Diallo), nous sommes allés chez Jean Marie Doré. De chez Jean Marie Doré, nous avons pris la direction du stade avec les autres leaders. Nous sommes venus jusqu’à l’université Gamal, nous avons aperçu Tiegboro et ses amis gendarmes. Ils quittaient le stade et venaient à notre direction. Ils venaient et tiraient en l’air. Quand on s’est rencontré, Tiegboro a dit : monsieur le président Cellou [Dalein Diallo], je veux que vous rebroussez chemin avec tous vos compagnons. Mais, président Cellou a répondu : je ne peux pas rebrousser chemin alors que tous mes militants sont arrivés au stade ; et, j’ai appris que certains d’entre eux sont même blessés. Ensuite, Mouctar Diallo a pris la parole et il a commencé à s’insulter avec Tiegboro. Et, dans leur dispute, Tiegboro a dit : président Cellou, c’est à vous que moi je m’adresse, si vous partez au stade, tout ce que vous aurez là-bas, ne dites pas que vous êtes surpris. Entre-temps, les militants qui nous regardaient ont pensé que Tiegboro nous a bloqués. C’est ainsi qu’ils sont venus vers nous. Mais, dès que Tiegboro et son groupe ont vu la foule, ils ont immédiatement dévié pour aller vers la corniche. Alors, nous avons foncé au stade et nous sommes allés à la tribune…

Chacun faisait la fête à sa manière. Et, c’est en ce moment que nous avons vu les bérets rouges entrer avec des tirs. La débandade a commencé, les gens couraient dans tous les sens. Ils (les bérets rouges) ont tiré et tué beaucoup de gens ; et, beaucoup d’autres aussi ont été blessés. Après, un moment, les seuls qui étaient arrêtés au stade, c’était les agents, les leaders politiques et nous qui assurions la sécurité des leaders politiques. Il y a eu un groupe de bérets rouges qui a quitté la pelouse pour nous rejoindre à la tribune. Ils ont dit aux leaders de venir. Il y avait beaucoup de civils autour de nous. Et, dès que les leaders ont bougé, tout ce monde-là les a suivis. Mais, à moins de cinq mètres de parcours, ils ont tiré sur un de nos amis qui s’appelle Abdoulaye Sylla. C’est là que le président Cellou a dit : sauvez-vous ! Mais, on l’a quand-même suivi jusqu’à la porte où se trouvent les grillages qui séparent la pelouse de la tribune. Tiegboro se trouvait de l’autre côté des grillages. Il a demandé à ce qu’on laisse seulement les leaders passer et il a dit : les autres-là, tirez sur eux. Notre chef, Aldiouma, et Abdoulaye 3 Bah ont pu passer avec le président Cellou. Quand les gens-là sont passés, les bérets rouges ont commencé à tirer sur notre groupe. Mais, comme j’avais entendu ce que Tiegboro avait dit, dès qu’ils ont commencé à tirer, je me suis jeté à terre. Je suis resté là, inerte, mais j’ai vu beaucoup de civils sur lesquels ils ont tirés. C’est là que je suis resté jusqu’à ce que les bérets rouges ont quitté, j’ai rampé pour tenter de m’enfuir. Mais, je suis venu trouver l’ancien ministre, Abdoulaye Yéro Baldé, couché quelque part. Il a levé la main et m’a dit : jeune frère, ne me laisses pas ici. Je lui ai alors pris la main et on a couru pour aller là où les journalistes s’assaillent. Il y avait beaucoup de gens dedans. Et, quand les bérets rouges ont vu les policiers venir vers nous, ils ont : tirez sur eux ! Mais, les policiers, au lieu de nous tirer dessus, ils nous ont fouillé. Un des policiers a reconnu là-bas un des gardes du corps de Mamadou Sylla, il est venu le gifler. Ensuite, il l’a tiré pour le faire sortir ; mais, ses amis lui ont demandé qui est ce jeune pour lui. Il a répondu : c’est mon jeune frère. Alors, j’ai profité de ça pour prendre la main de ce garde de corps de Mamadou Sylla ; Abdoulaye Yéro aussi a pris ma main. Nous sommes sortis et nous sommes venus ensemble jusqu’à la dernière cour. Les policiers nous ont laissé là-bas et ils se sont retournés…

Nous avons foncé vers la porte, ils nous ont frappés avec des bois. Mais, Dieu merci, on a pu sortir. Abdoulaye Yéro est parti d’un côté ; et moi, je suis allé chez le président Cellou. Quelque temps après mon arrivée chez Cellou, Pivi et certains bérets rouges sont venus nous trouver. Ils tiraient. Il y a un blanchisseur du nom de monsieur Diallo qui nous a dit : n’ouvrez pas les portes-là. Mais, un des bérets rouges est entré dans la cour de Auguste le roi, puis il a sauté la cour pour entrer chez Elhadj Cellou. Il a ensuite ouvert la porte. C’est ainsi que ses amis sont entrés en tirant et tout le monde dans la cour a fui. Moi et certaines personnes avons fui vers la mer, nous avons plongé dans l’eau et avons nagé pour aller vers Sainte Marie. Aliou Condé et d’autres ont fui vers le cimetière. Et, quand je suis arrivé à la maison, je suis allé voir docteur Diallo qui travaille à Donka pour lui demander de voir ce qui m’a blessé au dos. Ce dernier m’a dit que j’ai une balle à l’omoplate, mais elle n’est pas entièrement entrée. J’étais aussi blessé au pied. Alors, docteur Diallo m’a demandé si on va partir à Donka pour des soins, mais je lui ai dit que j’ai appris que les militaires sont allés chasser tous ceux qui étaient allés à Donka. Je lui ai dit que je préfère venir chaque fois dans sa clinique pour mes soins », a longuement narré Abdourahamane Bah en langue nationale poular.

Propos décryptés par Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

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