Massacre du 28 septembre 2009 : « là où j’étais couché, à ma droite il y avait un coin, c’est là que les militaires violaient les filles »

Âgé de 35 ans et staffeur-ornemaniste de profession, Mamadou Baïlo Sow a comparu devant le tribunal criminel de Dixinn (délocalisé à la Cour d’appel de Conakry) ce mardi, 25 juillet 2023, dans le cadre du procès du massacre du 28 septembre 2009. Il s’est présenté devant cette juridiction de première instance en qualité de partie civile. Et, dans sa déposition, il est longuement revenu sur sa mésaventure au stade du 28 septembre. Il dit avoir été blessé par balle et battu par des militaires. Il déclare aussi avoir vu des militaires violer des filles au stade.

Guineematin.com vous propose ci-dessous un extrait de la déposition de cette partie civile devant le tribunal criminel de Dixinn.

« Nous avons décidé de venir au stade le 28 septembre 2009 derrière les leaders [des forces vives]. Nous détenions des papiers blancs sur lesquels il était écrit : non à la candidature de Dadis… Arrivés au rond-point de Bellevue, ils (les agents du commissariat de Belle vue) ont décidé que personne ne va passer là-bas. Ils étaient armés jusqu’aux dents et ils ont tiré à volonté. Deux de nos amis ont été atteints par les balles… Mais, certains d’entre nous ont pu poursuivre la marche pour aller au stade. Et, au fur et à mesure qu’on s’approchait du stade, on voyait des gens venir du stade en courant. Mais, cela ne nous a pas découragé, nous avons continué jusqu’au stade. Arrivés sur les lieux, nous y avons trouvé le colonel Tiegboro. Il était arrêté à la terrasse vers Madina. Nous aussi, nous sommes venus nous arrêter au niveau de la station… J’ai vu de mes yeux trois bérets rouges dans le cortège de Tiegboro. Ils ont lancé du gaz lacrymogène sur nous pour nous disperser… Quand nous sommes entrés au stade, moi je n’avais pas confiance en Tiegboro, ils ont encore tiré du gaz lacrymogène sur nous. Finalement, on a décidé de sortir du stade… Et, après un temps, Tiegboro a disparu. Ensuite, nous avons vu les bérets rouges, les phares de leurs véhicules étaient allumés. J’étais avec un ami, j’ai dit à ce dernier : tu vois celui qui est là-bas, il ressemble à Pivi (un des accusés dans cette affaire) ; et si c’est lui, ils vont tuer ici. Parce que je le connais. Après quelque temps, ils ont repris à lancer le gaz lacrymogène sur nous. Là, nous étions vraiment épuisés. Mais, on a pris une dizaine de briques qui étaient sur place pour barrer là-bas. Après, des bérets rouges à bord d’un pick-up ont foncé sur nous pour entrer au stade. Les portillons vers Sahara n’étaient pas encore ouverts. C’est nous qui avons ouvert ces cinq portillons. Et si on n’avait pas ouvert ces portillons, personne n’allait sortir de là… Quand nous sommes entrés sur la pelouse, on a vu les militaires tirer dans tous les sens. Certains tiraient à bout portant. C’est au milieu de ces tirs que nous avons traversé la pelouse pour aller monter à la tribune. J’ai trouvé un garde du corps de Cellou en accrochage avec un militaire. En descendant de la tribune, j’ai trouvé quelqu’un en train de bastonner Cellou Dalein… Le dernier portillon que nous avions ouvert, je me suis dit de partir là-bas pour sortir. Mais, à chaque portail, il y avait des agents coiffés de bérets noir et qui détenaient des couteaux. Ils poignardaient les gens. Donc, je me suis dit d’aller escalader le mur pour sortir vers l’autoroute. C’est en ce temps que quelque chose m’ atteint dans le dos. Et, quand j’ai mis ma main droite là-dessus, c’est du sang noir qui coulait. J’ai pensé que j’allais mourir… Mais, je me suis efforcé à continuer ma route pour aller vers le manguier. Et, au moment où j’ai commencé de grimper, un est venu me tirer par le pied. Je suis tombé, il m’a bastonné, il a tenu contre moi des propos que je ne peux pas répéter ici. Il m’a bastonné là-bas jusqu’à ce qu’il a cru que je suis mort. Là où j’étais couché, à ma droite il y avait un coin. C’est là qu’ils (les militaires) violaient les filles… Ceux qui n’avaient pu passer par le manguier pour sortir sont venus me trouvé couché, ils m’ont pris. Ils ont continué jusqu’au niveau de la ruelle qui mène vers la mairie de Dixinn. C’est là qu’ils ont tiré sur celui qui me tenait à la tête. Il est tombé là-bas, mais les trois autres ont continué avec moi jusqu’au niveau du portillon. Ils m’ont abandonné là-bas, ils se sont enfuis. C’est là qu’un grand frère, un certain Amadou Kann, m’a reconnu. Ils m’ont mis dans une charrette à ordure pour me faire traverser la route… Ensuite, ils m’ont conduit dans une clinique, je crois chez un certain docteur Sow. Celui-ci a suggéré qu’on évacue les blessés graves. Il a envoyé quatre de ses véhicules, ils nous ont mis dedans… Ils nous ont conduit jusqu’au Camp Boiro, ils nous ont laissé à la porte de l’hôpital là-bas. C’est là que les médecins sont venus nous prendre pour nous envoyer au troisième étage. Ils se sont occupés de nous. J’ai fait trois jours à l’hôpital Donka », a expliqué Mamadou Baïlo Sow.

Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

Tél. : 622 97 27 2

Facebook Comments Box